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C’est ce qu’on appelle de la démocratie directe.

Malko sourit en pensant à la tête des comptables de la C.I.A. quand ils verraient la note de frais. Pour ce prix-là, à New York, on avait un appartement au Waldorf avec une douzaine de femmes de chambre.

Un Noir en boubou prit sa valise, le visage indifférent, et le précéda dans l’ascenseur. Sa chambre était au troisième. Le Pagidas, vu de près, était un composé d’H.L.M., de prison et de hangar. Le Noir déposa la valise sur le lit et disparut. Le seul éclairage consistait en une sorte de Scialytique de table d’opération braqué sur le lit. Quant au climatiseur, il faisait un peu moins de bruit qu’un Boeing au décollage et soufflait un air tiède et nauséabond.

Découragé, Malko s’assit sur le lit. Il mourait d’envie de reprendre le premier avion. Pour n’importe où. Dans leurs bureaux climatisés de Washington, ses patrons n’avaient certainement aucune idée précise sur ce qu’était le Burundi. Ou plutôt, ils devaient en avoir une, puisqu’ils l’avaient expédié pour cette mission de dingue. Il revoyait David Wise dans son fauteuil tournant en train d’expliquer la situation sur une carte d’Afrique :

— Pour nous, le Burundi n’existe pas. Pas de relations diplomatiques, aucune liaison économique, ils ont juste délégation aux Nations unies.

» Les Russes ne sont pas mieux lotis que nous d’ailleurs. Après différentes avanies, leur ambassadeur a été expulsé après avoir attendu deux jours sans manger dans l’aérogare. Seuls les Chinois sont bien vus, du moins de certains membres du gouvernement.

» Et encore ! Avant la révolution, le roi s’était aperçu que quarante Chinois de la mission diplomatique étaient entrés dans le pays avec dix passeports seulement. Il les a fait jeter en prison. Ils y sont peut-être encore.

— Charmant pays, avait remarqué Malko. Vous ne croyez pas que ce serait plus simple d’envoyer un bataillon de marines faire un safari là-bas ?

Sur la carte d’Afrique, le Burundi n’était qu’une mince tache verte, entre le lac Tanganyika et le Congo. David Wise avait mis le doigt sur un point au sud du pays, presque à la frontière de la Tanzanie.

— C’est dans cette zone qu’a atterri notre satellite, d’après les calculs des ordinateurs. A 150 kilomètres de Bujumbura, mais la plupart des ponts sont hors d’usage. Et depuis l’Indépendance, on ne les répare pas. Vous aurez à faire des détours. Peut-être deux ou trois fois le parcours initial…

» Je sais que ce n’est pas une mission facile. Depuis son Indépendance, le Burundi retourne tout doucement au Moyen Age dans un bain de sang. Ils en sont à leur quatrième révolution. A part Bujumbura, il n’y a que des villages perdus dans la jungle. Une fois sorti de la capitale, avec une voiture et un guide, ce sera relativement facile. Vous parlez le français couramment… »

Oui, mais il fallait en sortir, de Bujumbura. Et Pas les pieds devant.

Malko para au plus pressé. Il pendit ses costumes pour qu’ils ne ressemblent pas à des chiffons et sortit sa trousse de toilette.

D’abord le tube de dentifrice. Avec des ciseaux, il coupa l’extrémité pour en extraire le mince canon d’un pistolet automatique, qu’il nettoya dans le lavabo

Ensuite, il déboîta le fond d’une flasque d’alcool et en sortit la crosse. Avec quelques petites pièces récupérées dans sa valise, il remonta en deux minutes son pistolet extra plat fabriqué spécialement dans le laboratoire technique de la C.I.A. Il était si plat qu’on pouvait le porter facilement sous un smoking. Et il tirait aussi bien des cartouches normales que des balles anesthésiantes.

Malko l’essaya et garnit le chargeur. Puis il le remit dans sa petite Samsonite à double fond et la ferma à clef, en espérant ne pas avoir à s’en servir.

L’homme qui avait voulu le tuer dans l’avion se trouvait en ville. Rien ne prouvait qu’il ait renoncé à son projet.

Malko n’avait pas l’intention de faire de vieux os dans la capitale du Burundi. Mentalement, il avait noté le nom et l’adresse de l’homme qui pouvait l’aider, sur la recommandation d’Allan Pap. Mort de fatigue, il s’endormit immédiatement. Ce n’était pas le moment d’aller se balader en pleine nuit dans Bujumbura.

A l’autre bout de la ville, juste à la limite du quartier indien, vers le lac, Julius Nieder passait un moment très désagréable. Blême et honteux, il se faisait agonir d’injures par un personnage énorme, vêtu d’un costume bois de rose, qui tournait autour de lui en hurlant : les colères d’Ari-le-Tueur étaient célèbres jusqu’en Afrique du Sud.

— Imbécile, hurlait-il. J’avais ordonné que ce type ne mette pas les pieds au Burundi. Je sais pourquoi il vient. Il y a des gars dans le Sud qui essaient de fourguer un lot de pierres sans passer par nous. Ce type l’a su, je ne sais pas comment, et il vient les rafler.

Julius se défendit :

- Je n’ai pas dit mon dernier mot. Ici, ce doit être facile.

Ari se planta en face de lui.

— Non. Je n’aime pas les ratages. Vous seriez encore foutu de faire une connerie. Demain matin, il y a un avion pour Kamasha. Prenez-le et ne foutez plus jamais les pieds ici.

Il fouilla dans sa poche et lui tendit un billet.

C’était un billet de 5000 francs belges. Julius l’empocha humblement. Il ne perdait pas tout.

Fou de rage, Ari-le-Tueur hurla :

— Je vais m’en occuper moi-même de ce type. Au moins, ce sera bien fait.

Quand Malko quitta l’hôtel Pagidas, le lendemain matin, deux Noirs se battaient furieusement devant la porte, sous le regard d’une douzaine de gamins qui sautaient de joie à chaque coup assené. L’un des combattants avait ôté sa chemise et sautillait, dans la position des boxeurs professionnels.

En voyant Malko, le portier du Pagidas se précipita sur les combattants la matraque haute, et repoussa le groupe au coin de la rue.

— Où est la rue du Kiwu ? demanda Malko au portier.

— Par-là. Pas loin, patron.

L’imprécision africaine. Ça pouvait être à 100 mètres ou à 10 kilomètres. Comme il n’y avait aucun taxi en vue, il partit à pied. Très vite, le macadam fit place à la terre battue.

Plusieurs fois, Malko se renseigna. Au bout de 2 kilomètres, fourbu et trempé de sueur, il vit enfin un poteau avec une pancarte à 60 centimètres du sol « rue du Kiwu ». Dans cette ville on aurait dit que les plaques des rues avaient été faites pour des nains.

La rue du Kiwu était bordée d’un ensemble hétéroclite de buildings modernes et de cabanes en bois. Sur la plupart des maisons, il n’y avait pas de numéro. Les Noirs dévisageaient Malko avec curiosité. Les Blancs ne devaient pas être nombreux dans ce quartier.

Soudain, il tomba sur un poste de police entouré de barbelés, et occupé par des soldats au béret vert.

Las d’errer, Malko passa devant la sentinelle soupçonneuse et entra. Un sergent était assis derrière un bureau crasseux et deux Noirs — des suspects probablement — étaient accroupis contre un mur, le visage tuméfié et sans expression.

— Savez-vous où se trouve le numéro 64 ? demanda Malko.

Le sergent prit l’air totalement abruti et secoua la tête. Puis il bredouilla :

— Non, patron.

Pour l’encourager, Malko demanda :

— Ici, c’est quel numéro ?

L’autre plissa désespérément le front. Mais cela dépassait ses attributions.

— Je ne sais pas, patron.

Il se replongea dans son registre. Autour de Malko, les soldats attendaient silencieusement. Découragé, il ressortit.

En désespoir de cause, il héla un gamin et tendit un billet de 5 francs.

— Tu connais la maison de M. Couderc ?

C’était la bonne méthode. Le gosse prit Malko par la main et trois minutes plus tard, ils s’arrêtaient devant une maison d’un étage en pisé. Ecrit à la craie, on distinguait vaguement le numéro 64.