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Le gosse s’enfuit en courant. Malko poussa la porte donnant sur une petite cour et resta en arrêt.

Au milieu de la cour, un groupe de Noirs riaient aux éclats, en cercle autour de quelque chose qu’il ne voyait pas. La plupart portaient l’uniforme blanc rouge et vert de la J.N.K., l’association des jeunes du Parti.

Malko s’avança. Un des Noirs se retourna et fit quelque chose aux autres. Aussitôt le cercle se défit. Trois ou quatre Noirs passèrent près du Blanc, les yeux baissés, le visage fermé. D’autres disparurent vers le fond de la cour, et sautèrent une petite clôture.

Il n’en resta qu’un, de dos. Il urinait, tenant son sexe délicatement, entre deux doigts. Malko arriva à sa hauteur et le Noir l’aperçut. Un mélange de peur, de haine et de quelque chose qui ressemblait à de la honte apparut sur son visage. Rapidement, il fit disparaître son sexe dans son boubou et partit en courant, découvrant l’objet sur lequel il urinait.

C’était une tête d’homme.

Interdit, écœuré, Malko vit la tête bouger et une voix dit doucement :

— Si vous pouviez creuser un peu autour de moi, ensuite, c’est facile de me tirer.

La voix était humble et calme. Malko s’agenouilla, et, surmontant son dégoût, écarta la terre meuble imprégnée d’urine. L’homme qui était enterré vivant jusqu’au cou était presque chauve, avec un visage rond et des yeux papillotants de myope. Quand il sourit, Malko aperçut ses dents gâtées.

Vert de rage, il creusait comme un castor. S’arcboutant, il tira l’homme par les épaules. Il n’y avait plus un seul Noir en vue.

Couvert de terre, le malheureux émergea de son trou. Il passa une main sale sur son visage, titubant un peu. Sa chemise et son pantalon de toile étaient dans un état pitoyable.

— Vous êtes Michel Couderc ? demanda Malko.

— Oui.

A petits pas, il se dirigea vers la porte de la maison et entra, invitant Malko à le suivre. La pièce était pauvrement meublée, avec, sur la table, unpetit ventilateur portatif.

Couderc prit une paire de lunettes qu’il chaussa immédiatement, expliquant avec un pauvre sourire :

— Ils n’ont pas été trop méchants, ils m’ont laissé enlever mes lunettes avant… Excusez-moi, asseyez- vous, je vais prendre une douche…

Vu l’odeur qu’il exhalait, ce n’était pas un luxe.

Pendant qu’il disparaissait au fond de la pièce, Malko leva les yeux au ciel, découragé. Il était réussi l’ami de Pap ! Si c’est tout ce qu’il avait comme guide…

Michel Couderc, revint avec un pantalon et une chemise propres, mais son teint était toujours aussi jaune, comme imprégné d’urine.

— Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ? interrogea Malko.

L’autre soupira.

— Si vous saviez ! Cela, ce n’est rien. Ils ne me voulaient pas de mal. Mais vous savez, les Africains…

II prononçait le mot avec une sorte de crainte.

— Pourquoi vous traitent-ils ainsi ?

— C’est une longue histoire, murmura Couderc. Il y a quinze ans que je suis dans ce pays. J’avais une petite revue et je vivais bien. Il y a eu la première révolution et tout s’est bien passé. Ils n’avaient rien contre les Blancs. Au contraire on m’a demandé de rester et de collaborer avec le nouveau gouvernement. Et puis, dans un numéro de ma revue, j’ai publié une enquête sur le nombre exagéré de fonctionnaires, en conseillant au roi de les envoyer aux champs. Le lendemain, j’ai été jeté en prison. J’y suis resté jusqu’au mois dernier. Quand l’ambassadeur a intercédé pour moi, le roi a menacé de rompre les relations diplomatiques. Comme je n’étais pas assez important, on m’a laissé croupir en prison.

— Il y a deux mois, on m’a annoncé que j’allais être fusillé pour activité antinationale, à cause de mon article. Ils étaient sérieux. Pour eux, c’était la seule façon de se débarrasser de moi sans perdre la face. Quand le roi a été renversé, on m’a sorti de ma prison. Le président m’a convoqué, m’a dit que son prédécesseur était une grande canaille et qu’il me prenait comme sous-ministre de l’Information. Ma revue allait reparaître. Simplement, je lui soumettrai tous les articles avant la parution. Je lui ai dit que je préférais quitter le pays. Il est entré dans une colère terrible, m’a traité de mauvais citoyen et m’a dit qu’il me ferait changer d’avis. Que le Burundi avait besoin de moi. Depuis, tous les jours, les jeunes du Parti viennent me houspiller. On m’a pris mon passeport, tous mes biens ont été confisqués, je n’ai pas d’argent. Je donnerais n’importe quoi pour partir. Aujourd’hui, ils sont venus en me disant qu’ils allaient faire fondre les mauvaises idées dans ma tête. Ils ne voulaient pas vraiment me faire de mal…

Qu’est-ce qu’il lui fallait ! Sa résignation fit bouillir le sang de Malko.

Michel Couderc cligna des yeux en le regardant, et dit :

— Pourquoi êtes-vous venu me voir ?

— Je suis un ami d’Allan Pap, dit Malko prudemment.

— Ah !

Couderc s’assit sur un tabouret :

— Comment va-t-il ? Ici, à Bujumbura, on perd tout le monde de vue.

— Il va bien. Il m’a dit que vous pourriez me rendre service.

— Service !

Un rire aigrelet sortit d’entre les dents gâtées.

— Mais je ne suis plus rien, je n’existe plus. Même les nègres me pissent dessus et je ne peux rien dire… Alors…

— J’ai besoin de vous. Et cela peut vous rapporter beaucoup.

Michel Couderc se leva et posa sa petite main potelée aux ongles sales sur le revers immaculé du costume d’alpaga. L’haleine fétide fit reculer Malko.

— Je ne veux qu’une chose, souffla Couderc. Partir, foutre le camp de ce putain de pays et ne plus jamais voir un nègre de ma vie, vous m’entendez ? Si j’avais du pognon, j’irais à l’ONU et je leur dirais, moi, ce que c’est que les nègres.

— Avec de l’argent, vous pourrez partir, dit Malko. Je vous promets de vous faire franchir la frontière.

— Comment ?

— Je ne peux pas vous le dire maintenant. Est-ce que vous acceptez de m’aider ?

— En quoi ?

— Vous parlez kirundi, swahéli et vous connaissez bien le pays, n’est-ce pas ?

— Oui.

— J’ai besoin d’un guide pour aller dans le Sud.

Couderc haussa les épaules :

— Nicoro ne me laissera pas sortir de Bujumbura.

— Cela peut s’arranger. Et vous n’aurez plus jamais à y remettre les pieds.

Couderc se rongeait les ongles. Il regarda Malko en dessous :

— Qu’est-ce que vous voulez aller foutre dans le Sud ? Il n’y a rien. C’est le pays Mosso. Des vrais sauvages. Même les Hutus ne veulent pas en entendre parler.

— Est-ce que je vous demande ce que vous ferez de l’argent que je vous donnerai ? répliqua Malko.

Nerveusement, Couderc enfonça ses mains dans ses poches :

— Vous travaillez pour Ari-le-Tueur. Ne me racontez pas d’histoire. Vous êtes comme les autres, vous allez chercher les diamants de la Copper-belt.

— Je ne travaille pas pour Ari, dit lentement Malko. Je travaille pour moi.

Couderc devint encore plus jaune.

— Je ne veux pas de votre fric. J’ai assez d’emmerdements comme ça. Je n’ai pas envie de finir dans le lac Tanganyika avec une pierre au cou.

Malko sentit qu’il fallait frapper un grand coup. Calmement il sortit le pistolet de sa ceinture et en menaça Couderc.

— Vous aurez 5000 dollars en argent liquide, dit-il, avec un passeport, je vous ferai passer la frontière moi-même. Moi non plus je ne reviendrai pas à Bujumbura. Ou alors, une balle dans la peau tout de suite, car je ne peux pas vous laisser derrière moi après ce que je viens de vous dire. Vous avez trente secondes pour vous décider.