Выбрать главу

Malko, qui abhorrait la violence, devait se forcer pour menacer le malheureux Couderc. Mais il fallait quitter Bujumbura coûte que coûte. Bien entendu, il n’aurait pas tiré.

— Bon, grommela Couderc. J’accepte. Mais j’espère que vous êtes régulier.

Malko ne répondit pas mais tira une liasse de billets de sa poche et en détacha un billet de 100 dollars.

— Voilà un acompte. Vous allez acheter ce qu’il faut pour préparer le voyage. Comptez quinze jours. Il faut trouver une voiture. Une bonne, qui ne nous laisse pas en panne. Je paierai le prix. Rendez-vous demain après-midi au Pagidas. J’ai la chambre 25.

Il partit, laissant le billet sur la table.

La rue du Kiwu était déserte. Il se décida à marcher jusqu’à l’hôtel.

— Eh, attendez, fit Couderc. Vous croyez qu’on y va comme ça chez les Mossos.

J’ai regardé la carte, répliqua Malko. La route suit la rive du lac. Il n’y a pas plus de 150 kilomètres.

Michel Couderc ricana.

— La carte ! Est-ce qu’elle vous dit, la carte, que les ponts sont effondrés sur le Rvzibazi, et sur le Karonge. Sans parler des autres qui ne sont pas signalés… On peut mettre quinze jours !

— On verra bien. De toute façon, il faut y aller voir.

Chapitre V

Trouver une plus sale gueule entre le tropique du Cancer et le tropique du Capricorne eût demandé de longues et patientes recherches.

Basun Nicoro, grand patron de la police burun- dienne, alliait la servilité de vingt ans de colonialisme à la puissance toute neuve de son poste. Impeccablement vêtu d’une tunique de tergal presque blanc qu’il changeait deux fois par jour parce qu’il transpirait, les mains manucurées et les cheveux défrisés à prix d’or, il s’efforçait d’avoir l’air d’un gentleman, mais toutes ses tentatives dans ce sens étaient vouées à l’échec à cause de son physique.

On aurait encore passé sur les cicatrices tribales fendant les deux joues ; sur la taie recouvrant l’œil droit, reste du bon vieux trachome des familles, aussi. Mais l’expression de la bouche épaisse et l’œil gauche était proprement répugnante. Un mélange de méchanceté, d’avidité et de lâcheté en proportions idéales. Passé directement d’indicateur à commissaire principal de Bujumbura, Nicoro effrayait même ses subordonnés.

Ceux-ci racontaient sous le manteau qu’il faisait venir des enfants en contrebande du Kenya, pour effectuer des sacrifices rituels et que sa puissance venait de là.

Toutes les putains du Quartier indien lui versaient leur dîme mais ses principales ressources venaient de ses liens avec les trafiquants de diamants et du racket systématique auquel il soumettait les acheteurs officiels. En plus des 50 000 dollars de la concession, ils lui en versaient 20 ou 30 000 pour éviter d’interminables tracasseries administratives. Comme Nicoro n’avait aucune confiance dans les banques, il cachait son argent dans tous les coins de sa maison et régulièrement il torturait presque à mort un de ses boys pour s’assurer que personne ne toucherait à son trésor. Il s’amusait même à laisser traîner chez lui des billets, pour voir.

Fanatique de la Chine et des Chinois, il ne portait plus que des tuniques à col militaire et clamait à qui voulait l’entendre sa haine contre toute la race blanche, y compris les Russes. Il effectuait de fréquents voyages en Tanzanie, autre fief chinois. Pratiquement, c’était l’homme le plus puissant de Bujumbura.

C’est ce que se disait Michel Couderc, debout devant le bureau impeccablement rangé. Se détachant sur l’acajou, un billet tout neuf de 100 dollars attirait l’œil irrésistiblement.

Une heure après le départ de Malko les hommes du commissaire étaient chez lui, avertis par les jeunes du J.N.K. Ils l’avaient fouillé et trouvé ce billet. Et les ennuis avaient commencé.

— Alors ?

Couderc cligna des yeux.

— Quoi, monsieur le commissaire ?

Nicoro fit un signe de tête. Bakari et M’Polo, les deux inspecteurs noirs qui encadraient Couderc, tombèrent dessus à bras raccourcis. Ses lunettes sautèrent à l’autre bout de la pièce. Ils le frappaient à tour de rôle, avec des sautillements de danseur, le visage appliqué. Couderc saisit la cravate de Bakari pour se défendre ; le Noir le mordit cruellement à la main droite.

Michel Couderc tomba. Comme des automates bien réglés, les deux Noirs s’arrêtèrent, rajustèrent leur cravate et attendirent, en dansant d’un pied sur l’autre. Bakari essuya le bout de son escarpin poussiéreux sur le pantalon de Couderc, qui se relevait lentement.

— Alors, monsieur Couderc ? fit Nicoro, très calme.

Le malheureux secoua la tête.

— Pourquoi vos hommes me frappent-ils, monsieur le commissaire ?

L’œil valide de Nicoro se ferma de rage. Bien que parlant un excellent français, il avait du mal à prononcer les consonnes sifflantes, et quand il était en colère, son accent revenait.

Son poing s’écrasa sur le billet de 100 dollars.

— Chalauperie de Blanc, hurla-t-il, tu as fini de te moquer de la pouliche. Où as-tu trouvé ce billet de 100 dollars ? Chalaud, ji va ti faire crever. Ti te moques de la pouliche, ha, tu te moques de la pouliche, atta…

Il suait la haine par tous les pores, l’honorable Nicoro. Une gargouille de Notre-Dame aurait paru gracieuse à côté de son visage crispé. Bondissant de derrière son bureau, il envoya une claque à toute volée à Couderc qui alla s’aplatir sur la porte. Goguenards, les deux policiers noirs regardaient le Blanc, acculé et misérable.

Le commissaire envoya un coup de pied dans les reins de Couderc, qui gémit. Puis il le saisit au collet et le releva. Collant ses grosses lèvres contre le visage verdâtre de Couderc, il l’injuriait, mêlant le swahéli, le kirundi et le français.

— Tu volé aux Noirs ton argent, chalaud ! Je casse ton gueule, je va tuer chi faut.

Il se tourna.

— Bakari. Ton couteau.

Le policier sortit un long poignard fixé à sa ceinture dans une gaine de peau et le tendit à son chef. Nicoro le lui arracha presque. Un sourire méchant découvrit ses dents. Il avait retrouvé son calme. D’un geste sec, il glissa le bout de la lame dans la ceinture de Couderc et releva le poignet. Coupée net, la ceinture s’ouvrit. Précipitamment, Couderc saisit son pantalon à deux mains.

— Sur la tête, les mains, glapit Nicoro.

Il appuya son invective d’une estafilade sur le poignet de Couderc.

Celui-ci leva les mains et son pantalon s’affaissa sur ses chevilles, découvrant un caleçon de toile grise. Le commissaire brandit encore son arme et le caleçon s’ouvrit en deux. Machinalement, Couderc chercha à protéger de ses deux mains son ventre rond et blanc. La lame pointait déjà vers son bas- ventre.

— Maintenant, tu vas parler. Si tu dis un seul mensonge, je te coupe, fit le commissaire.

Ricanants, Bakari et M’Polo se déplacèrent pour contempler Couderc de face. A voix basse, ils échangeaient des quolibets sur ses facultés sexuelles, forts de leur supériorité.

— Alors ?

— Quoi, monsieur le commissaire ? fit faiblement Couderc.

La pointe s’enfonça de deux millimètres dans la toison châtain. Couderc fit un bond en arrière et se cogna à la porte. Lentement, Nicoro s’avança sur lui, le poignard à l’horizontale, menaçant le sexe du Blanc.

— On me l’a donné, cet argent ! hurla Couderc.

— Qui ?

— Je ne l’avais jamais vu. Il est venu chez moi. De la part d’un ami. Il s’appelle Malko Linge.