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Le boy dormait sur son tabouret près de l’entrée. Quand Malko le secoua il se redressa en vacillant et balbutia quelques mots inintelligibles en urundi.

— J’ai besoin d’un taxi, dit Malko.

— Y a n’a pas des taxis, bwana.

Et il se rassit, puant l’alcool comme un alambic. Découragé, Malko scruta l’avenue de l’Uprona. C’était l’heure de la sieste. Deux ou trois Noirs dormaient à l’ombre, à même le sol, contre les arbres.

Soudain, une petite Austin rouge apparut, tourna le coin de la place de l’Indépendance en direction de l’hôtel. Elle stoppa en face de Malko et deux jolies jambes bronzées, découvertes jusqu’en haut des cuisses par une robe jaune de soie légère pivotèrent gracieusement. Une jeune femme s’extirpa de la petite voiture et se dirigea droit vers Malko.

Blonde, mince, des lunettes noires et les cheveux sur les épaules. En passant devant lui, elle fit un léger signe de tête et s’approcha de la réception.

— M. Malko Linge est-il là ?

Elle avait parlé assez fort pour qu’il puisse l’entendre.

— Mademoiselle !

Elle se retourna et s’arrêta :

— Oui ?

Les jambes un peu écartées, les épaules rejetées en arrière, elle avait une allure de mannequin.

— Je vous prie de m’excuser. Je suis la personne que vous cherchez.

Elle le toisa avec une expression indéfinissable.

— Je m’appelle Jill. Je viens de la part de votre ami Michel Couderc. Il a été retardé. A cause de la voiture. Il vous rejoindra chez moi. C’est plus discret qu’à l’hôtel. Si vous voulez venir avec moi…

Malko hésita, partagé entre des sentiments divers.

Le fait que Couderc soit en retard n’avait rien d’extraordinaire. Mais il était un peu étonné qu’il soit en relation avec une fille aussi ravissante.

Elle avait l’air ouvert et sympathique. Et quand on rencontre une fille pareille dans un pays comme le Burundi, on se prosterne face contre terre pour rendre grâce à Dieu.

— Allons-y.

Ils montèrent dans l’Austin. Sans souci de son compagnon, la jeune femme — elle pouvait avoir vingt-cinq ans — laissa sa robe remonter très haut sur ses cuisses bronzées. Elle conduisait vite et bien.

— Quel est votre prénom, déjà ? demanda-t-elle.

— Malko. Je suis autrichien.

— Enchantée, Malko, dit-elle. Que faites-vous à Bujumbura ?

— Et vous ? Ce n’est pas tellement un endroit pour une jolie femme.

Elle haussa les épaules avec insouciance.

— On y gagne de l’argent. J’habille les Noires élégantes. Comme elles le veulent. J’étais mannequin à Johannesburg, en Afrique du Sud. Ici, je gagne dix fois plus d’argent. Après je repartirai.

Malko ressentit au bout des doigts un picotement qui le trompait rarement : Jill avait envie de lui. Cette agréable constatation dissipa son dernier reste de méfiance.

Il ôta ses lunettes et la regarda. Le profil était parfait et délicat. Avec un rien de dureté dans la bouche. Elle sourit, se tournant à demi vers lui.

Ils ne parlèrent plus. Dix minutes plus tard, l’Austin s’engagea entre deux haies de flamboyants et stoppa devant une maison blanche, de style colonial, à un étage. Ils étaient dans le bas de la ville, près du lac Tanganyika.

Malko suivit Jill. Ils entrèrent par la cuisine. Les trois pièces du rez-de-chaussée étaient encombrées de rouleaux de tissu, de cintres et d’ébauches de robes. Dans un coin, il y avait un grand canapé et un électrophone. Les stores étaient fermés et il régnait une pénombre et une fraîcheur agréables.

— Il n’y a personne, dit Jill. Mes ouvrières viennent à 5 heures. Cette maison me sert à la fois d’atelier et de home. C’est pratique.

Ses grands yeux noisette dévisagèrent Malko sans ciller. Elle était presque aussi grande que lui.

— Excusez-moi.

Il s’assit sur un coin de canapé.

Cinq minutes plus tard, elle était de retour avec un plateau, du whisky et des verres. Malko se força pour accepter un whisky, car il n’aimait que la vodka.

Jill s’assit sur le divan à côté de lui et leva son verre :

— A votre heureux séjour au Burundi. A propos, qu’est-ce que vous y faites ?

— Des affaires. Une sorte de prospection, si vous voulez.

— C’est pour cela que Michel Couderc vous aide. C’est un gentil garçon.

Elle vida son verre d’un trait, se leva et mit l’électrophone en marche. La voix chaude de Franck Sinatra s’éleva dans la pièce. Pas très couleur locale.

Jill revint vers le canapé, virevolta et tendit son dos à Malko.

— Aidez-moi.

Une seconde, il ne comprit pas. Le dos se rapprocha légèrement.

-La fermeture, fit Jill. Attention, ne coincez pas la soie.

La main de Malko descendit lentement le long de son dos. Cela fit un « zip » soyeux, la robe s’ouvrit, découvrant un dos bronzé, et le haut d’un slip blanc, montant jusqu’à la taille. D’un tour de hanche, Jill fit tomber la robe à ses pieds et se tourna vers Malko.

Sa poitrine était aussi bronzée que le reste de son corps. Petite et haute, elle était en parfaite harmonie avec les muscles allongés.

— N’est-ce pas plus joli que les femelles bicolores d’Europe ?

Malko n’eut pas le temps de répondre. Elle s’allongea près de lui et ordonna :

— Déshabillez-vous.

On se serait cru chez le docteur. Malko s’exécuta, mi-amusé, mi-intrigué. Elle le regardait. Quand il fut nu, elle passa une main légère sur ses reins.

— Viens. J’ai envie de faire l’amour.

Il la prit dans ses bras. Elle murmura : « Tu m’as plu tout de suite. Quand on te voit, on pense tout de suite à l’amour. »

Elle appuya son corps contre le sien, impérieusement. Elle avait ôté son slip elle-même. Malko voulut l’embrasser mais elle détourna la bouche.

— Après.

Ses yeux noisette avaient foncé et de ses mains dures elle pétrissait les muscles du dos de Malko. S’actionnant sur lui avec sa bouche et avec ses dents, Malko éprouvait une curieuse impression. Il n’y avait ni amour ni joie entre eux, pas même de désir raisonné. Seulement deux corps affamés.

Elle ne ferma pas les yeux ; pas une parole ne fut échangée. Une seconde, une expression presque tendre passa dans son regard et ils restèrent l’un près de l’autre, essoufflés et en sueur.

— Il fait trop chaud, même pour faire l’amour, dans ce foutu pays, remarqua Jill d’une voix égale. Pourtant, on en a tout le temps envie. Je suis sûre que les boys mettent des trucs dans la nourriture, en espérant qu’ils vont en profiter.

Sans répondre, Malko essuya la sueur qui coulait en rigoles le long de ses côtes.

Jill sourit.

— Tu veux prendre une douche ? La salle de bains est là.

Il se leva, un peu étourdi, entra dans la salle de bains et referma la porte. Jill fumait, étendue sur le dos.

Malko ouvrit en grand le robinet d’eau froide. Sa forme revint instantanément. Quelle poisse de faire ce fichu métier ! Empoignant un savon, il commença à se frotter.

Couvert de savon, aveuglé par la douche qui coulait à fond, il allait se rincer quand il aperçut une silhouette dans la glace embuée du lavabo. Une fraction de seconde, il crut que c’était Jill. Mais la silhouette se précisa et il sentit une forte pression contre son flanc. Chassant le savon de son visage, il se trouva nez à nez avec un gros type aux yeux injectés de sang, boudiné dans un costume trop petit pour lui : il lui enfonçait dans le foie le canon d’un P. 38, le chien levé.

La première pensée de Malko fut qu’il devait avoir l’air totalement idiot, nu et plein de savon. La seconde, c’est que les ennuis recommençaient. Il n’eut pas le temps de formuler la troisième.