— Sors de là ! aboya le type.
Du moment qu’on parlait, ce n’était pas la guerre.
— Vous voulez la douche ?
C’était sorti malgré lui. Idiot, mais on ne se refait pas.
La rage fit virer l’autre au violet épiscopal. Il appuya encore plus le canon de l’arme et gronda :
— Ta gueule, macaque. Qu’est-ce que tu fous ici ?
Une seconde, Malko se demanda si ce n’était pas
tout simplement l’amant jaloux de Jill. Mais il n’avait vraiment pas le physique de l’emploi.
— Vous voyez, je me lave, fit-il en s’enroulant dans une serviette.
Le gros leva une main grande comme une feuille de bananier et gifla Malko à toute volée.
— Si tu fais encore le malin, je te flingue ici. Qui es-tu et qu’est-ce que tu fous dans ce bled ?
Encore étourdi, Malko répondit prudemment :
— Je m’appelle Malko. Malko Linge. Je suis dans les affaires.
Ce n’était pas le moment de faire étalage de ses titres : Altesse Sérénissime, Bailli de l’Ordre de Malte et autres…
— Menteur, hurla le gros. T’es dans les diams, oui.
Malko commença à s’essuyer discrètement. Il était sur un terrain brûlant.
— Si vous le savez, pourquoi me le demandez- vous ?
— Je ne te le demande pas. Je te dis de foutre le camp. Et vite.
— Est-ce que je pourrais tout de même m’habil- ler ?
L’autre s’écarta légèrement.
— Démerde-toi.
Jill terminait l’inventaire du portefeuille de Malko quand il s’empara de son pantalon. Sans un regard pour lui, elle annonça :
— Il a des papiers comme il dit. Et un reçu de 40 000 dollars de la banque pour l’Afrique de l’Est.
Malko acheva de se rhabiller. Intérieurement, il bouillonnait de rage. Michel Couderc l’avait trahi. Jill avait remis sa robe, mais avec un soutien-gorge dessous. Quand son regard croisa celui de Malko, il était complètement inexpressif. Le gros type, debout, soufflait comme un phoque d’un air méchant.
— Qu’est-ce que tu veux faire de ce fric ?
Habillé, Malko ne se sentait plus en état d’infériorité. Il répliqua :
— Vous l’avez dit, je suis ici pour acheter des diamants. Cela vous gêne ?
Le gros faillit en avaler son P. 38, qu’il agita furieusement sous le nez de Malko.
— Tu sais qui je suis ? glapit-il. Ari-le-Tueur, ça te dit quelque chose ? Si tu ne fous pas le camp, je te descends tout de suite, ici.
— Et elle ?
— Elle s’en fout. Alors ?
— Alors, quoi ?
Le canon du pistolet se trouvait à deux centimètres de la bouche de Malko. Celui-ci n’hésita pas. De la main droite, il poussa le cran de sûreté en arrière, et de la main gauche, tira violemment l’arme à lui. Sa mémoire étonnante lui permettait de savoir comment marchaient à peu près toutes les armes. Le Grec appuya une fraction de seconde trop tard sur la détente. Pour éviter d’avoir l’index arraché, il lâcha le P. 38.
Malko n’eut plus qu’à le faire passer dans sa main droite et relever le cran de sûreté.
— Asseyons-nous, dit-il. Et causons. Pourquoi voulez-vous mon départ ?
Décontenancé, Aristote bredouilla :
— C’est moi et mes copains qui avons les filières ici. Ça nous a coûté cher. On veut personne dans nos pattes.
Les brillants cerveaux de la C.I.A. n’avaient pas prévu les réactions d’un trafiquant obtus.
— Je ne m’occupe pas de vos affaires, dit Malko. Ne vous occupez pas des miennes. D’ailleurs, je ne resterai pas longtemps.
Voyant que Malko ne tirait pas, Ari reprit du poil de la bête.
— Si tu touches à un diam ici, gronda-t-il, tu es mort. C’est à nous. Et si un corniaud a accepté de t’en vendre il crèvera avec toi.
Evidemment, c’aurait été plus simple de dire la vérité. Mais Malko était obligé de jouer son rôle jusqu’au bout. Allan avait raison : la « couverture » était tellement bonne qu’elle risquait de se transformer en linceul. Il se leva.
— Je n’ai pas le temps de discuter. Je pourrais vous descendre, mais je n’y tiens pas. Je suis venu ici pour faire une affaire et c’est tout, vous n’y perdrez rien.
Ari lui jeta un regard vipérin et menaçant.
— Connard. Tu es déjà mort…
Malko fit semblant de ne pas avoir entendu. Il aurait pu abattre le Grec. Mais outre les complications, il n’était pas un tueur et ne le serait jamais.
— Jill, fit-il, puisque vous m’avez amené ici, voulez-vous avoir l’obligeance de me raccompagner ?
Une lueur de panique passa dans les yeux noisette. Jill quêta un geste d’Ari mais le gros homme était trop en rage pour le remarquer.
— Fais ce qu’il dit, grogna-t-il. Et fous-le dans le lac si tu peux.
Malko s’inclina.
— J’espère ne plus avoir le plaisir de vous revoir. Mais souvenez-vous de ce que je vous ai dit. Je n’aime pas qu’on se mêle de mes affaires.
— Tu ne foutras pas le camp de ce pays vivant, répliqua le Grec. Ou je ne m’appelle plus Ari-le- Tueur.
Malko passa le P. 38 dans sa ceinture et fit signe à Jill. Elle précéda et ils montèrent dans l’Austin. En sortant de l’allée de flamboyants, il ordonna :
— Allez vers le lac.
Jill eut un sanglot convulsif. Depuis qu’il l’avait rencontrée, c’est la première fois qu’elle exprimait un sentiment humain.
— Non. Je vous en supplie. Je…
— Je ne veux ni vous tuer, ni vous battre, dit doucement Malko.
Elle le regarda, indécise, un tic au coin de la lèvre, crevant de peur.
— J’ai peur, dit-elle. Ari m’a à moitié tuée, une fois. Et maintenant, vous l’avez humilié devant moi, il va encore…
— Mais pourquoi restez-vous avec ce singe ?
— Le fric, fit-elle, amère. A cause de lui, j’ai été six mois en cabane, en Afrique du Sud. Je passais des diamants. Maintenant, je travaille pour la bande, ici. Dès que je peux, je pars. N’importe où…
Ils avaient atteint une petite route bordant le lac Tanganyika, avec seulement quelques cagnas de Noirs et des villas fermées depuis le départ des Belges. Mais la vue était magnifique.
— Arrêtez là.
Docile, elle obéit. Malko descendit et alla jusqu’au bord marécageux. De toutes ses forces il jeta le pistolet. L’arme disparut dans l’eau verte.
— Inutile que votre petit camarade me dénonce à la police, remarqua Malko en remontant en voiture… Ramenez-moi au Pagidas.
Jill ne se le fit pas dire deux fois. Elle n’était qu’à moitié rassurée. Malko lui jeta un regard de pitié.
— C’est triste de voir une aussi jolie femme que vous dans ce pétrin…
— Je m’en sortirai. Mais vous, faites attention, Ari est un tueur, un vrai. Il a des relations puissantes ici, et des amis. Il y a eu un type comme vous qui est venu une fois. On a retrouvé ce que les vautours et les chacals avaient laissé dans la brousse, trois mois après. Maintenant qu’il a promis de vous tuer, devant moi, il tentera tout pour y arriver.
- Je me méfierai. Mais pourquoi veut-il tellement m’empêcher d’acheter des pierres ?
-Il a peur. Avec ses amis, ils ont un monopole de fait. Alors, ils achètent à très bas prix. Quand les vendeurs ne veulent pas, ils les menacent ou ils les font disparaître. Il a peur que vous offriez trop. Les vrais bénéfices viennent de l’achat ici. Il ne veut pas que vous appreniez les vrais prix qui se pratiquent ici. Ceux de Beyrouth seraient furieux. Ils ont beaucoup plus de risques et gagnent moins.
— C’est très intéressant cela…
— Ne dites jamais que je vous en ai parlé, souffla Jill. Il me tuerait.