— Ne craignez rien.
L’Austin était arrivée devant l’hôtel Pagidas.
— Adieu, Jill dit Malko. Sans rancune. Malgré la présence d’Aristote, le rendez-vous en valait la peine.
— Malko !
Elle posa sa main sur sa cuisse.
— Ce… ce n’était pas prévu comme cela. Renseigné par Couderc, Ari m’avait seulement dit de vous amener et de m’assurer que vous n’aviez pas d’arme.
— Quelle conscience professionnelle !
— Non.
Il était déjà à moitié hors de la voiture. Jill cria à voix basse.
— J’en avais vraiment envie.
Malko eut un geste évasif et s’éloigna.
Jill le suivit des yeux avec une étrange expression dans le regard, faite de colère, de soumission et presque de tendresse.
Malko ne fit qu’entrer et sortir dans le hall du Pagidas.
Cette fois, il y avait des taxis. Il se fit conduire à la rue du Kiwu, numéro 64.
La silhouette chafouine de Couderc parut se tasser quand Malko poussa la porte. Il recula, protégeant son visage de ses mains. Pas beau, le Couderc. Malko serra les lèvres avec mépris.
— Si je suis vivant, ce n’est pas de votre faute, fit-il. Votre ami Aristote ne m’aime pas beaucoup.
Couderc se tordit les mains.
— Il m’a forcé. Il m’aurait tué autrement. Nicoro lui avait dit que je travaillais pour vous. D’ailleurs, je ne veux plus rien avoir à faire avec vous. Tenez, voilà votre argent.
Il tendit à Malko le billet de 100 dollars.
Décidément, la situation ne s’améliorait pas. Sans guide, Malko n’avait plus qu’à reprendre l’avion. Il repoussa le billet.
— Ne faites pas l’idiot. Ma proposition tient toujours. Mais j’aimerais que vous me trahissiez un peu moins. Dans votre intérêt, parce que, si je reste à Bujumbura, vous y restez aussi.
Cette idée fit considérablement réfléchir Couderc :
— Vous êtes sûr, fit-il d’un ton craintif, que nous pourrons sortir du pays ?
— Je vous l’ai dit, répondit Malko patiemment. Vous croyez que je tiens à laisser mes os au Burundi ?
C’était l’évidence même. Un peu ragaillardi, Couderc précisa :
— J’avais trouvé une voiture. Une Ford en bon état pour 1000 dollars. Elle a de bons pneus et un bon moteur. Elle sera prête demain matin. Seulement, pour sortir de la ville, il faut un permis. Vous devez le demander au Palais. Peut-être qu’ils n’oseront pas refuser. Mais c’est trop tard ce soir. Il faut y aller demain.
— Bien, j’irai demain. Cette fois, attendez-moi là. C’est moi qui viendrai vous chercher…
Couderc cligna frénétiquement des yeux :
— Laissez-moi venir avec vous. J’ai peur ici. Ari va peut-être revenir. A l’hôtel, il n’osera rien faire.
— Si vous voulez, fit Malko.
Couderc ferma la porte et ils partirent à pied dans la rue du Kiwu. Heureusement, le taxi qui avait amené Malko attendait 100 mètres plus loin. Ils montèrent et se firent conduire au Pagidas.
L’électricité était revenue.
Et, au milieu du hall, dans le meilleur fauteuil, trônait une apparition étonnante ; un évêque noir, tout en violet, très digne.
— C’est un vrai ? demanda Malko.
— Bien sûr. C’est l’évêque du Burundi. Mais il n’a pas beaucoup de succès. Les Noirs disent qu’il est évêque, mais que, n’étant pas blanc, il « n’a pas les secrets ». Et ils réclament le retour de l’évêque belge.
Malko éclata de rire mais Couderc était nerveux. Il regardait sans cesse autour de lui comme s’il s’attendait à voir surgir Ari-le-Tueur.
— Finalement, je crois que je vais aller m’occuper de la voiture, dit-il. Trop de gens peuvent me voir ici.
— J’espère que tout sera prêt demain.
— J’espère, fit humblement Couderc.
Il tendit sa petite main grassouillette et partit à toutes jambes, suivi par le regard grave de l’évêque qui « n’avait pas les secrets ».
Malko monta dans sa chambre. L’hôtel était presque vide : quelques hommes d’affaires, des fonctionnaires, et des officiers africains chamarrés comme des portiers d’hôtel. Il s’étendit sur le lit, et en dépit du ronflement du climatiseur, s’endormit presque immédiatement.
Dans la chambre voisine, les inspecteurs Bakari et M’Polo transpiraient dans leurs costumes sombres. Ils n’osaient pas retirer leurs cravates, car, sans cravate, un policier n’inspire plus le respect. Le commissaire Nicoro leur avait donné l’ordre de ne pas lâcher le Blanc d’une semelle. Jusqu’ici, c’était facile. Et même agréable. Ils avaient passé un moment plaisant à regarder la séance avec Jill.
Malko se réveilla vers 8 heures en sursaut. Il faisait relativement frais, mais une sourde angoisse lui serrait l’estomac. Il se sentait complètement isolé. Même Allan Pap était au bout du monde. Ils devaient se ronger les ongles à Washington. Il eut une pensée émue pour les deux cosmonautes. S’ils étaient encore vivants ! Six jours déjà…
C’était stupide de penser aux moyens colossaux de la C.I.A. alors qu’il était tout seul à se débattre dans ce pays de fous. Evidemment une expédition plus importante se serait fait remarquer. N’empêche qu’il avait une sacrée responsabilité.
Il se leva et choisit un costume d’alpaga bleu marine ultra-léger et une chemise de voile. Le pistolet extra-plat était caché au fond de la valise. Il jugea plus prudent de l’y laisser. Aristote n’oserait pas s’attaquer à lui en pleine ville. Un tueur qui s’appelait Aristote ! Vraiment, il fallait venir dans ce pays pour voir cela !
Cette fois, six taxis étaient en ligne devant l’hôtel. Un petit négrillon jaillit de l’obscurité et prit Malko par la main.
— Taxi, bwana ? Viens.
D’autorité, il le conduisit à une 2 CV Citroën et le poussa à l’intérieur ; le chauffeur se retourna avec un grand sourire :
— Où ti veux aller bwana ? Ti veux des filles ?
— A la Croix-du-Sud !
C’était un des meilleurs restaurants de Bujum- bura. La 2 CV démarra péniblement, suivie à distance respectueuse par la 403 hors d’âge des deux flics, sortis précipitamment de leur chambre.
Le chauffeur balafré de Malko, après avoir roulé dix minutes, se retourna et dit, avec un large sourire :
— Bwana. Moi parler bien français et anglais.
— Ah ! bon.
— Bwana, toi intéressé par des beaux diamants ?
Malko ne put s’empêcher de sursauter. Il aurait ouvert une bijouterie que cela n’aurait pas été plus notoire. De mieux en mieux.
— Non, pourquoi ?
Le Noir eut un rire malin.
— Bwana, moi savoir, sûr.
— Tu te trompes.
L’autre secoua la tête, désolé.
— Bonne affaire, bwana. Moi, pas parler flics. Très belles pierres. Si tu veux, je t’emmène à place que je connais…
Ça sentait le guet-apens à plein nez. Encore un gars payé par son ami grec…
— Je n’achète pas de diamants, dit Malko fermement.
Le chauffeur, soudain, eut un petit hoquet et porta la main à sa bouche. Puis, il arrêta la voiture et se tourna vers Malko, la main tendue. Quelque chose brillait dans sa paume.
— Rega’de, bwana, les belles pierres, 50 000 francs seulement.
Malko ne put s’empêcher de prendre les diamants dans sa main. C’étaient trois pierres, sorties de leur gangue. Il les tendit au Noir.
— Merci, mais cela ne m’intéresse pas. Je t’ai dit que je n’achetais pas de diamants.
Le chauffeur reprit les pierres et les recoinça dans ses gencives.
— Réfléchis, bwana. Demain, je serai devant l’hôtel.