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A tâtons, Malko s’assit sur un siège libre à côté de lui et frissonna. A la place où il se trouvait quelques minutes plus tôt, il n’y avait plus de hublot. Au milieu de l’encadrement, on apercevait un trou noir par ou s’engouffrait le vent glacé à -25°. La température avait baissé de 50° en quelques secondes, l’air pressurisé de la cabine s’échappant à 400 mètres/seconde par l’ouverture.

Deux passagers du premier rang perdirent connaissance. Le DC 6 plongeait toujours dans un grondement aigu de moteurs.

Dans le cockpit, le commandant De Kroner serrait les dents. En vingt ans de vol, c’était la première fois qu’il faisait piquer un DC 6 chargé de passagers. Il fallait d’urgence revenir à une altitude où la pression atmosphérique soit supportable. Machinalement, les trois membres de l’équipage avaient mis leur inhalateur. Mais s’il leur permettait de respirer, il ne les protégerait pas du froid intense.

Coty, le radio, envoyait fiévreusement un message en phonie à Bujumbura.

«Ici C.JGOY. Suite rupture accidentelle hublot descendons 7 500 pieds, verticale de Kimbasha. 20 h 23. »

Heureusement, ce sont des choses qui n’arrivent pas tous les jours.

Un calme terrifié régnait dans la cabine. Lentement, le gros appareil se redressa. Tous les passagers avaient des palpitations, mais le brouillard bleuâtre se dissipait. Le steward et les hôtesses passèrent dans les travées pour rassurer tout le monde : le danger était écarté.

A part Malko personne ne s’était encore aperçu du meurtre.

Le gros Grec décida de regagner sa place, mais il s’immobilisa soudain en face du hublot béant et poussa un cri, puis fit un lent signe de croix :

« Quelqu’un était assis ici », murmura-t-il.

Des passagers se levèrent et vinrent voir. Malko, lui aussi, regardait. Un peu pâle, il se tourna vers le steward et demanda :

— Vous avez du Champagne ?

— Certainement, monsieur. Je vous en apporte tout de suite.

Le Grec poussa un second cri :

— Il a perdu une chaussure !

C’était vrai. L’homme, aspiré par la décompression fabuleuse à 400 mètres/secondes, avait heurté le bord du hublot et un de ses mocassins était resté à l’intérieur, seul vestige de sa présence.

Malko frissonna en pensant à la chute à 250 kilomètres à l’heure dans le noir. Si le passager n’avait pas été assommé sur le coup, ce qu’il savait être ses dernières secondes avait dû lui paraître long !

Et s’il ne s’était pas trompé de place — il devait être à moitié endormi, sans doute ! — c’est lui, Malko, qui serait mort, très probablement. Le destin a de ces hasards.

On lui apportait son Moët et Chandon. Il le but lentement, sans quitter des yeux l’homme qui avait tiré. Déjà le visage était gravé dans sa mémoire infaillible.

Dans le cockpit, le radio envoya un second message :

« Un passager, M. Nash, je répète Nash, a été aspiré dehors suite rupture hublot issue de secours tribord. Stop. Continuons sur Bujumbura. »

Julius Nieder ne faisait plus semblant de dormir. Silencieusement, il jurait. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour reconnaître Malko parmi les survivants. Avoir raté une occasion pareille ! C’eût été le meurtre parfait. L’explosion du hublot et le coup de feu s’étaient confondus. Personne ne retrouverait jamais les débris des deux épaisseurs de verre spécial, pas plus que la balle qui avait brisé le hublot. Quant au corps, il ne porterait aucune trace suspecte.

L’arme étant à barillet, il n’y avait même pas de douille à récupérer.

Tout ce mal pour rien, pour tuer un pauvre crétin qui n’avait pas eu de chance. Il faudrait recommencer.

Cette méditation morose fut troublée par le steward qui demandait poliment à tous les passagers de se regrouper à l’avant dans la cabine des premières, pour fuir le froid. Julius Nieder se leva et passa sa veste. Le pistolet avait regagné la mallette.

Tassés les uns contre les autres, les passagers bavardaient maintenant avec animation, très excités par l’incident. Eux étaient vivants. Le Grec récitait son chapelet. L’hôtesse passa, les bras chargés de couvertures et emmitoufla tout le monde. Dire que 2 500 mètres plus bas on crevait de chaleur…

Malko, tout en buvant son Champagne, réfléchissait. Il se doutait bien qu’il n’allait pas être le bienvenu, mais il ne s’attendait tout de même pas à une réaction aussi immédiate. Il est vrai que les intérêts en jeu étaient colossaux.

A moins qu’Allan Pap ne se soit complètement trompé et que leurs adversaires soient bien les gens du K.G.B. Pourtant, les renseignements de Washington étaient « en béton ». Il n’y avait pas de Russes sur le coup.

Pour en avoir le cœur net, il examina de nouveau l’inconnu qui avait voulu le tuer. Il était trop bronzé pour ne pas être en Afrique depuis longtemps.

Leurs regards se croisèrent. L’autre avait des yeux gris, intelligents et impénétrables.

Alors que tous les passagers parlaient avec animation avec leurs voisins, ayant besoin de chaleur humaine après leurs émotions, l’inconnu restait dans son coin, sans rien dire. Malko examina le profil énergique, la main tenant tranquillement une cigarette à bout filtre, les cheveux coupés court, la carrure massive… cela sentait à une lieue le militaire.

Malko ne se trompait pas tellement. Julius, avant de s’appeler Julius, avait été un des plus beaux fleurons du 60e commando de mercenaires katangais, plus connu sous le nom de Groupe Cobra.

Durant leurs beaux jours, les Cobras s’étaient loués à l’ancien roi du Burundi pour liquider une petite insurrection de gauche. Hélas, dans leur enthousiasme révolutionnaire, ils avaient pris d’assaut quelques ambassades et quelque peu malmené des diplomates. Désavoués publiquement, ils erraient depuis dans la zone équatoriale, à la recherche de basses besognes pour subsister.

Ce qui rendait l’échec de Julius tragique c’est qu’il n’avait plus que 1 000 francs belges pour finir le mois. Et, pas de cadavre, pas de prime.

Malko ignorait évidemment les tristes pensées de son assassin. Mais il revoyait Allan Pap lui dire tranquillement : « Je vous donne une bonne couverture. Mais faites attention qu’elle ne se transforme pas en linceul. Ils feront tout pour vous empêcher de vous installer là-bas. » Apparemment, ils avaient commencé.

Chapitre II

— Décidément, les Chinois n’ont pas inventé que la poudre, pensait avec amertume et avec colère le lieutenant général Fay, de l’U.S. Air Force.

Lapalissade peut-être, mais peu réjouissante.

Précédée d’une Ford noire de la Military Police avec quatre hommes à bord, sa Lincoln Continental dévalait à 90 milles la route 101, direction San Francisco. Les conducteurs des véhicules tenus au sempiternel 65 milles, doublés par les deux voitures, regardaient avec envie disparaître leurs feux rouges.

Le feu tournant sur le toit de la Ford était allumé. De temps en temps, le conducteur, un gros sergent rougeaud, donnait un discret coup de sirène pour écarter un gêneur roulant sur la file de gauche. A côté de lui, un autre sergent, trapu et noir, restait en communication radio permanente avec la base de Vandenberg. A l’arrière, le major général Fay écoutait les mêmes nouvelles, grâce à un petit haut-par- leur dissimulé dans l’accoudoir de cuir.

Nerveusement, il mordillait son cigare, sans prendre garde à la cendre qui tombait sur son uniforme impeccable. Depuis qu’on était venu le chercher au dîner du Gouverneur, il n’avait pu se débarrasser de l’angoisse qui l’étouffait. C’était une sale histoire et cela allait encore retomber sur lui. La D.I.A.1 était à couteaux tirés avec les Services de Renseignements de l’Armée de l’Air.