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— Vous voulez pas qu’on prévienne le type ? suggéra timidement Bakari.

— Hors d’ici, moins que rien, hurla le commissaire. Si tu fais la moindre connerie, je te tue et je te révoque !

Resté seul, Nicoro se mit à jurer en swahéli à haute voix. Si ces imbéciles laissaient faire Ari, tout son plan s’effondrait. Il ne verrait jamais les 40 000 dollars.

Il éteignit, sortit, et se heurta presque à une Noire en larmes, qui s’accrocha à sa tunique. D’une voix entrecoupée de sanglots, elle commença à expliquer une histoire confuse de mari qui la battait, qui l’avait jetée dehors. Nicoro allait l’envoyer au diable quand il remarqua la poitrine haute et ferme moulée par le boubou orange.

L’œil unique du commissaire flamba. Il la repoussa et, à toute volée, lui envoya une gifle. Puis il la prit par la main et l’entraîna dans l’escalier menant au sous-sol.

— Viens, dit-il. Je vais te mettre à l’abri.

Ce n’est pas le cadavre du chauffeur de taxi qui protesterait.

La Noire avait compris. Vaguement flattée qu’un aussi haut personnage s’intéresse à elle, elle le suivit, pleurnichant et reniflant. Arrivée en bas, elle avait déjà défait son boubou.

Quand elle apparut sur scène, un frisson parcourut la salle. C’était l’attraction majeure du Ritz. Une fille de seize ans environ, avec une poitrine et des fesses qui semblaient taillées dans du granit noir, tant elles étaient dures et agressives, et un visage très attirant aux pommettes saillantes. Les cheveux étaient lisses, tirés en arrière en queue de cheval.

Elle était vêtue d’un costume de stretch argenté se composant d’un pantalon coulé sur elle et d’un boléro découvrant le nombril.

Trois musiciens arrivèrent avec des tam-tams et commencèrent à jouer. Sur un rythme très lent, la fille se trémoussait, psalmodiant toujours la même phrase d’une voix basse.

Tout son corps vibrait. Peu à peu, elle se rapprochait du bord de la scène. Tout en dansant, elle ouvrit son boléro et peu à peu s’en débarrassa. Elle avait une poitrine extraordinaire pointant à l’horizontale, veinée de bleu. Les pointes sautaient suivant le rythme du corps.

Les Blancs de la salle en restèrent pétrifiés. Ce n’était pas à proprement parler un strip-tease, mais une danse primitive. Maintenant, son ventre ondulait, mimant l’amour avec une précision anatomique. Les yeux révulsés, le buste en arrière, elle laissait filtrer sa sourde complainte.

Malko en avait oublié ses soucis. La fille n’était pas à un mètre de lui ; il pouvait sentir son odeur et voir les gouttes de sueur sur sa peau noire. Après le poulet de brousse frit à l’huile de vidange, c’était plutôt une agréable surprise. Le folklore a du bon, parfois.

Le tam-tam s’arrêta brusquement. La lumière s’éteignit et se ralluma. La fille resta immobile, sourit et disparut dans les coulisses.

Quelques instants plus tard, elle revint dans la salle, vêtue cette fois d’une combinaison d’une seule pièce, style salopette. Mais une salopette en or massif : encore du stretch. Elle contourna les tables et alla s’asseoir au bar, avec trois autres entraîneuses. Malko termina ses mangues tandis que l’orchestre réapparaissait. Il n’avait pas envie de rentrer à l’hôtel tout de suite. Quand les musiciens attaquèrent Strangers in the night, il alla jusqu’au bar et s’inclina devant la fille en or.

— Voulez-vous danser ?

Elle ne répondit pas, mais se laissa glisser de son tabouret. Elle avait d’immenses yeux marron foncé, lointains et froids. Mais elle se colla à Malko ; il eut l’impression qu’une bombe explosait entre leurs deux ventres. Elle dansait, cambrée en arrière, la pointe de ses seins ne touchant même pas le costume d’alpaga.

Après cinq minutes de ce manège, Malko ne savait plus s’il écoutait une rumba, du Beethoven ou entendait la messe. Chaque muscle de son corps était tendu vers la fille qui semblait toujours indifférente. Mais le ventre doré agissait comme une sangsue.

La musique s’arrêta. Elle parla pour la première fois en français, d’une voix rauque :

— Vous voulez venir avec moi ? J’ai envie d’aller boire un verre au Maharée.

Le ton était neutre, indifférent. Malko n’eut pas le courage de dire « non ». Il savait que c’était une putain, mais c’était une détente agréable. Et il avait encore envie de danser avec elle.

Il paya l’addition et rejoignit la fille au bar. Elle l’attendait debout. Ils partirent suivis pas les courbettes obséquieuses des garçons. L’un d’eux murmura une phrase en swahéli sur le passage de Malko. Celui- ci sourit poliment, ignorant que l’autre le traitait de « fils de rat ayant entretenu avec sa mère des relations sodomiques ».

Ils descendirent les deux étages en silence.

— C’est à côté, dit la fille.

— Comment vous appelez-vous ?

— Luala.

Il avait les yeux fixés sur la croupe dorée quand il ressentit une terrible douleur à la nuque. Il y eut un froissement derrière lui et il reçut un second choc sur le côté de la tête. Instinctivement, il tendit ses bras en avant et sombra dans un trou noir.

Trois silhouettes avaient surgi de l’obscurité. Pendant que deux Noirs se penchaient sur le corps de Malko, Ari-le-Tueur prit la fille par le bras.

— Fous le camp, gronda-t-il. Et ne dis rien à personne.

Docile, Luala fit demi-tour. Tout cela ne la regardait pas. C’était des affaires de Blancs. Elle rentra au Ritz.

Dans leur vieille 403, Bakari et M’Polo se regardèrent. Les ennuis sérieux commençaient.

Chapitre VIII

Malko reprit connaissance avec un horrible mal au crâne. Il était étendu par terre, en plein air, dans du gazon.

Il faisait jour, mais il devait être très tôt car le soleil était encore sur l’horizon vers le lac Tanganyika. Sa montre était arrêtée à 10h40. Surpris de ne pas être attaché, il se leva à grand-peine. La tête lui tournait et son costume était froissé, plein de taches et de poussière, comme s’il avait été traîné par terre. Au-dessus de son oreille gauche, il avait une plaque de sang séché.

Les yeux complètement ouverts, il essaya de deviner où il était. C’était un jardin tropical, avec des jeunes manguiers, quelques cocotiers, des flamboyants, le tout très bien entretenu. Une seule particularité étrange : sur trois côtés d’environ 100 mètres chacun, courait un fin mais solide grillage de près de 5 mètres de haut, un peu comme un court de tennis. Une haie de flamboyants et d’orchidées délimitait le quatrième côté du jardin.

Titubant, il s’approcha de la clôture. Elle était fixée solidement par des crampons profondément enfoncés dans le sol et des poteaux de métal léger plantés dans un socle de ciment. Inébranlables.

Le jardin pouvait avoir un hectare. Malko se sentit pris d’une vague inquiétude. Ce décor paradisiaque ne lui disait rien qui vaille. On ne l’avait pas assommé pour l’amener à la campagne. A part les grincements des innombrables insectes tropicaux, il n’y avait aucun bruit. Un oiseau-mouche fondit comme un minuscule hélicoptère bariolé sur une orchidée et resta immobile, ses ailes diaphanes battant l’air à toute vitesse et son long bec plongé dans la fleur, tel l’avant d’un chasseur supersonique.

Pas une maison en vue. Le Paradis terrestre. La chaleur n’était pas encore assez forte pour incommoder et au loin, le soleil se reflétait dans les eaux vertes du lac Tanganyika. Malko en déduisît qu’il se trouvait dans le district élégant de Bujumbura, sur les collines. Intrigué et inquiet, il s’avança vers la haie de flamboyants, qui paraissait être la seule issue.

Encore à demi assommé, il titubait. Dès qu’il effleurait le côté gauche de sa tête, il ressentait une névralgie fulgurante.