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Malko arriva chez Couderc à 10 heures du matin. Il avait dû marcher près de 2 kilomètres avant d’être ramassé par un autobus qui allait au marché. Les Noirs s’étaient serrés sans rien dire, regardant curieusement ce Blanc sale et hâve qui n’avait pas de voiture. Prudemment, Malko s’était fait déposer à l’entrée du Bujumbura. Il ne tenait pas à revenir à l’hôtel. Du moins, tant qu’il ne serait pas prêt à partir.

Michel Couderc poussa un cri en le voyant.

— Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

Il le lui expliqua pendant qu’il nettoyait sa blessure. Sans donner trop de détails, pour ne pas effrayer l’autre. Et sans parler de Jill.

— Peut-être voulait-on seulement m’intimider, conclut-il. Mais il est temps de quitter Bujumbura. La voiture est prête ?

L’autre hésita :

— Oui, mais…

— Allons-y. Je veux avoir quitté la ville dans une demi-heure. D’autant plus que le Grec, croyant m’avoir éliminé, va probablement vous rendre une petite visite…

Cela décida Couderc mieux que n’importe quel discours. Un instant plus tard, ils étaient dans la rue, Couderc portant un petit sac de voyage :

— Tout ce qu’il me reste de dix-sept ans d’Afrique, dit-il amèrement.

Au coin de la rue, ils trouvèrent un taxi 203. Le garage était à l’autre bout de la ville. Durant le trajet Malko ravala sa rage. S’il s’était écouté, il serait allé directement à l’hôtel, aurait pris son pistolet et se serait mis à la recherche d’Ari-le-Tueur.

Il n’aimait pas la violence et l’idée de tuer quelqu’un de sang-froid lui faisait horreur. Mais il y avait l’image de Jill, déchiquetée par la panthère. Dans un monde normal, ce sont des choses qui se paient.

Seulement, il ne vivait pas dans un monde normal. La C.I.A. le payait cher pour accomplir une mission, pas pour jouer les chevaliers servants. Même si Jill avait essayé de lui sauver la vie, Dieu seul savait pourquoi.

Chapitre IX

Un panneau délavé indiquant « Kabuki, 32 kilomètres » était cloué contre un arbre.

— Enfin ! soupira Malko.

Michel Couderc grogna. Il jetait des coups d’œil effarés derrière ses lunettes aux passants que Malko évitait avec adresse. Ils venaient de franchir le grand pont métallique sur la rivière Muha, à la sortie sud du Bujumbura, et suivaient l’avenue de la Limite.

— On ne peut pas aller un peu moins vite ? demanda-t-il. Nous n’en sommes plus à une heure près…

Certes, mais Bujumbura et son tambour sacré, Malko en avait par-dessus la tête. Le garagiste chez qui ils avaient été chercher la voiture lui avait inspiré une méfiance instinctive : trop poli, trop obséquieux. Comme s’il avait eu hâte qu’il s’en aille. Pourtant la Ford semblait en parfait état.

Ils quittèrent l’asphalte pour une latérite mal nivelée. Maintenant qu’ils sortaient de Bujumbura, il n’y avait presque pas de circulation, à part quelques bicyclettes portant chacune trois personnes, et des gamins qui surgissaient des sentiers. Le réservoir était plein — 80 litres — et ils avaient quatre jerricans d’essence auxquels ils ne toucheraient qu’à la dernière extrémité. Malko était tout de même repassé à l’hôtel en coup de vent, le temps de ramasser ses affaires et de payer sa note. Le réceptionnaire avait failli tomber à la renverse en le voyant. Dommage qu’il n’ait pas eu le temps de poser quelques questions.

En dépit des soins apportés à sa blessure, qu’un gros morceau de sparadrap recouvrait au-dessus de l’oreille, Malko éprouvait encore des élancements atroces dans la tête.

Michel Couderc, habillé de neuf, avait presque l’air humain. Ses petites mains boudinées croisées sur son ventre, il regardait la route.

— Il y a quelque chose devant, dit-il soudain.

Malko avait vu. Des soldats, près d’un camion et de deux jeeps. Tout de suite, il eut un sale pressentiment. Pour rassurer Couderc, il fit, désinvolte :

— Ils doivent être en manœuvre. De toute façon, nous sommes en règle…

Au milieu de la route, un Noir immense, jambes écartées, brandissait un fusil mitrailleur à bout de bras. Prudemment, Malko freina et stoppa sur le bas-côté. Puis il sortit de la voiture.

Le Noir au F.M. arrivait en courant, suivi par deux civils. Malko flaira le piège.

— Toko ya Motokaa[5], glapit le Noir.

Comme Malko ne comprit pas, un des civils dit en français :

— Vos papiers. Descendez.

Malko tendit les papiers et le laissez-passer signé par le général Uru. Les deux civils qui dissimulaient leurs yeux derrière des lunettes noires et dont le visage perdait ainsi toute expression, n’avaient pas ouvert la bouche. Par l’entrebâillement de leur veste, Malko aperçut des pistolets automatiques à crosse de nacre.

Le grand Noir examinait tranquillement les papiers à l’envers. Il les rendit à Malko sans mot dire.

— Merci.

A ce moment, l’un des civils qui tournait autour de la voiture, demanda :

— Qu’est-ce que vous avez dans le coffre ? Ça sent drôle.

Interloqué, Malko répondit :

— De l’essence et des vivres.

— Ouvrez.

Le Noir en civil avait ouvert sa veste et posé sa main sur la crosse, comme s’il s’attendait à ce qu’un polichinelle bondît du coffre. Résigné, Malko prit la clef de contact et ouvrit. Couderc n’avait pas bougé de son siège.

Entre deux jerricans d’essence, il y avait un sac de jute marron taché de sombre qu’il n’avait jamais vu auparavant.

Le cœur de Malko battit plus vite.

Le nègre aux lunettes noires tâta le sac.

— Il y a un type là-dedans, fit-il d’un ton froid.

Avec l’aide du sergent, il bascula le sac sur la route et il défit la corde toute neuve qui le fermait. Puis ils rabattirent un pan de jute. Malko devint livide.

Une tête venait d’apparaître. Mais une tête sans yeux ni oreilles, au nez martelé, les dents absentes, une bouche déchirée et béante. Les lèvres avaient été coupées au rasoir.

Malko ne comprenait pas le pourquoi de cette horreur. Mais celui qui avait déposé le cadavre dans le coffre ne lui voulait certainement pas du bien.

Il n’eut pas le temps de se poser de questions. Le sergent lui enfonçait brutalement le F.M. dans les reins.

— Chalaud de Blanc. Tu as assassiné un frère !

— Vous êtes fou !

— Je n’aime pas la façon dont vous parlez, dit le civil aux lunettes noires. Vous êtes un Blanc pas bien poli. Si vous continuez, je vais vous tuer. Je suis l’inspecteur Bakari, de la Sécurité de Burundi.

Il avait sorti un colt 45 à crosse de nacre, qu’il brandit sous le nez de Malko.

— Je vous arrête, avec votre complice. Pour meurtre, fit le Noir.

Le second civil s’était approché et avait aussi sorti son arme. En swahéli, il ordonna au soldat de remettre le corps dans la voiture. L’autre s’en acquitta avec la plus parfaite indifférence et referma le coffre.

Bakari poussa brutalement Malko dans la voiture et monta derrière avec M’Polo, l’arme toujours à la main.

— Demi-tour, ordonna-t-il.

Vingt minutes plus tard, ils s’arrêtaient devant le commissariat. Le flic empocha la clef de contact et descendit. Couderc n’avait rien dit pendant tout le voyage. Il était livide et une sueur acide dégoulinait le long de sa chemise. Une seconde, Malko avait cru à sa trahison, mais sa peur n’était pas de la comédie.

Couderc sortit de la voiture et brusquement, il se mit à courir, de toute la force de ses petites jambes un peu torses. Bakari leva d’abord son arme, puis éclata d’un grand rire et hurla : Simba ! Simba ![6] Comme Couderc ne ralentissait pas, il se lança à sa poursuite. M’Polo poussa Malko dans le commissariat, le colt dans les reins, pendant que deux flics en uniforme vidaient la voiture.

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5

Sortez de la voiture.

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6

Viens ici !