Выбрать главу

Le commissaire Nicoro, sanglé dans une tunique boutonnée jusqu’au cou en dépit de la chaleur, était assis, les pieds sur son bureau. Il ne bougea pas quand on poussa Malko dans la pièce, où intentionnellement, il n’y avait aucun siège pour s’asseoir.

— C’est scandaleux, protesta Malko.

— Tolia[7], grogna M’Polo.

Le commissaire leva la main. Bakari entrait, tirant Couderc, la chemise pleine de sang et l’œil droit violet. Son bras gauche pendait le long de son corps, inerte. D’une seule main, il prit ses lunettes et les mit dans la poche de sa chemise. Il avait l’air soumis, veule et terrorisé. Malko le maudissait. Sa tentative de fuite était stupide et les mettait dans une position impossible.

Bakari faisait son rapport en urundi. Durant sa diatribe, les deux flics en uniforme apportèrent les valises des deux hommes et le sac. Sans façon, ils le vidèrent sur le plancher.

Malko avait déjà vu des cadavres, mais jamais dans cet état. Les parties sexuelles avaient été arrachées. Une serviette roulée en boule bouchait le trou. Les doigts étaient disloqués et le corps entier couvert de meurtrissures et de coupures. Il n’y avait pas un centimètre carré intact. Une boucherie. Il détourna les yeux, écœuré.

Son œil valide à demi fermé, Nicoro jubilait. Il faisait d’une pierre deux coups. On colporterait l’histoire du cadavre mutilé et les initiés seraient prévenus. Cela faisait de plus une charge merveilleuse contre ce Malko Linge. La deuxième partie du plan était bien engagée. Il enchaîna d’une voix douce quand Bakari eut terminé :

— L’inspecteur Bakari me dit que, d’après son enquête, vous avez tué ce malheureux pour lui voler ses diamants, après l’avoir affreusement torturé pour lui faire avouer où il cachait ses autres pierres… C’est un crime particulièrement horrible, fit-il tristement en hochant la tête.

Malko bondit.

— Quelle enquête ? Nous avons été arrêtés il y a une demi-heure. Et j’ignore qui a tué ce malheureux.

— On vous a vus ensemble. Il vous proposait des diamants. Dans sa voiture. Vous étiez filés.

Sale truc. Qu’est-ce qu’il cherchait ? Malko ne comprenait pas encore quel intérêt le commissaire avait à lui mettre cette sale histoire sur le dos. A moins que ce ne soit une machination particulièrement tortueuse d’Aristote.

Le Noir continua.

— C’est très, très grave… Un assassinat avec préméditation. Vous êtes passible de la peine de mort.

— Prévenez mon ambassade immédiatement, dit Malko. Je suis innocent.

— Je ne peux pas, fit douloureusement Nicoro. Notre code pénal interdit aux inculpés de communiquer avec l’extérieur.

En français, il ordonna à M’Polo :

— Fouillez les bagages de ces hommes.

Le policier noir se précipita et renversa les trois valises par terre. Dans les deux Samsonites de Malko, on ne trouva rien de particulier. Le double fond avait résisté à l’examen rapide.

Mais un petit paquet tomba du sac de voyage de Michel Couderc. M’Polo se rua dessus et le déposa sur le bureau du commissaire.

Celui-ci, avec des gestes volontairement lents, le défit. Malko savait déjà ce qu’il allait y trouver.

Effectivement, Nicoro fit glisser dans le creux de sa main une petite poignée de diamants, ceux que le malheureux chauffeur de taxi avait offerts à Malko deux jours plus tôt.

— Voici la preuve de votre forfait, dit-il d’une voix d’outre-tombe. Vous êtes vraiment de bien tristes individus…

Malko bouillonnait de rage. Que faire contre la police légale d’un pays ? Il savait bien que la C.I.A. n’interviendrait pas. C’était la règle du jeu. A la rigueur, ses patrons de Washington lui feraient envoyer une belle couronne. Anonyme. Aussi, se contenta-t-il de répéter :

— Prévenez mon ambassade. Il s’agit d’une machination dont nous sommes victimes. Si vous vous obstinez dans votre erreur, l’opinion internationale aura une triste idée du Burundi…

L’opinion internationale, Nicoro s’en balançait comme de son premier boubou.

Il dit aigrement :

— Vous autres, les Blancs, vous vous croyez invulnérables. Mais nous sommes maintenant une nation indépendante. Nous avons le droit de juger les criminels de droit commun.

C’en était trop pour Couderc. Retrouvant un peu de vie, il glapit :

— Vous êtes des singes, des macaques, tout juste bon à bouffer des noix de coco. Salauds ! salauds ! Quand t’étais sergent, tu léchais les bottes des Blancs, Nico. On aurait dû te laisser crever dans le ventre pourri de ta putain de mère.

A toute volée, Bakari abattit la crosse du colt. Il y eut un bruit de chair éclatée et Couderc tomba comme une masse.

— Ce sera dans le procès-verbal, que les accusés ont grossièrement accusé l’Etat du Burundi, observa d’une voix docte Nicoro. En la personne d’un de ses plus hauts fonctionnaires. Votre instruction va être très longue d’ailleurs, car c’est le ministre en personne qui se charge de ces actes. Il a beaucoup de travail car il est aussi ministre des P. et T. et de la Guerre. Qu’on emmène les accusés.

Bakari et M’Polo empoignèrent Malko, chacun par un bras. En voyant le panier à salade rangé devant le commissariat, Malko eut un mouvement de recul : c’était une camionnette entièrement grillagée, comme un véhicule de fourrière. Déjà des Noirs s’attroupaient près de la porte pour voir le Blanc arrêté. Malko dit fermement :

— Je ne monterai pas là-dedans.

M’Polo brandit la crosse du colt au-dessus de sa tête :

— Tu montes ou…

Inutile de se faire assommer. Malko monta. Cela avait l’odeur d’un poulailler mal tenu. Rien pour s’asseoir. Il s’accrocha au grillage. Quelques instants plus tard, M’Polo et Bakari jetèrent le corps inerte de Couderc sur le plancher et le véhicule s’ébranla.

Il était temps : il y avait bien une centaine de Noirs agglutinés autour du panier à salade, plaisantant, crachant, criant des injures, pendant que le conducteur détaillait complaisamment pour les badauds les crimes des deux Blancs.

M’Polo et Bakari jubilaient. Afin que toute la ville voie bien la puissance de leur chef, il ordonna au conducteur de faire un détour pour aller à la prison et de promener les deux prisonniers dans tout Bujumbura.

Après avoir descendu l’avenue de l’Uprona, ils firent ainsi le tour de la place de l’Indépendance. Des lazzis fusaient de toutes parts.

Ils passèrent devant La Crémaillère et le panier à salade fut obligé de stopper brusquement à cause d’un camion qui déboîtait.

La grande jeune femme blonde à la silhouette sensuelle qui se tenait sur le pas de la porte du restaurant s’approcha, curieuse.

En voyant Malko accroché au grillage, elle sursauta et vint encore plus près.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle en français. Pourquoi vous fait-on cela ?

Malko répondit au moment où le camion redémarrait.

— C’est une erreur. Une machination. Prévenez…

Le bruit du moteur couvrit sa voix. Mais ses yeux dorés restèrent quelques secondes plongés dans ceux de l’inconnue. Le beau visage se troubla. Elle resta immobile, au bord du trottoir, pendant que le véhicule s’éloignait, profondément troublée.

Enfin, le panier à salade arriva à la Maison-Blanche. C’était le nom poétique de la vieille prison construite par les Belges. Entre-temps, Michel Couderc avait à peu près repris conscience. Malko l’aida à descendre et ils pénétrèrent dans le greffe ensemble.

вернуться

7

Taisez-vous.