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Ann rompit le silence.

— Quand partons-nous dans le Sud ?

Malko la regarda, à la fois ennuyé et touché.

— Ann, vous savez ce que cela signifie. C’est dangereux. Il y a des gens qui feront n’importe quoi pour m’abattre. Au Burundi, je suis un hors-la-loi, un évadé de prison. Sans compter que je n’ai aucune idée de l’endroit où je vais.

Elle haussa les épaules et se versa une rasade de gin :

— Avez-vous. déjà chassé le rhinocéros ?

— Non.

— Eh bien, ce n’est certainement pas plus dangereux. Et j’ai abattu deux rhinos, toute seule. D’ailleurs, votre ami est hors d’état de voyager et seul, vous ne ferez pas 100 milles. Dans les villages les gens ne parlent que le swahéli et un Blanc isolé, ne connaissant pas le pays, est une proie bien tentante…

— Mais votre père…

— Je lui dirai que je vous raccompagne à Bujumbura.

— Que va-t-il penser ?

— Vous lui êtes sympathique. Autrement, il vous aurait déjà chassé à coups de fusil.

— Evidemment.

Le boy s’approcha et mit de la glace dans le verre de Malko.

— On se croirait dans un club de Londres, remarqua-t-il. Ils sont très stylés.

Ann rit de bon cœur et désigna un des boys.

— Vous voyez celui-là ? Il sort tout droit de son village. Quand il est arrivé, il y a trois mois, c’était un vrai sauvage. Le premier jour, je lui ai dit : «Tu vas faire de la soupe au chien.» Je suis partie chasser. Quand je suis revenue le soir, il m’attendait, assis sur ses talons, tout fier. Il m’a conduite à une marmite où bouillait un mélange infâme : il avait pris mon teckel, l’avait tué, découpé et fait cuire ! Et que pouvais-je dire ?

Ils rirent de bon cœur tous les deux. Ann avait vidé le tiers de la bouteille de gin. Ses yeux brillaient et elle n’avait plus rien de commun avec la tigresse de l’après-midi. Elle s’étira et regarda le costume taché et déchiré de Malko.

— Je vais me changer et me laver. J’ai dit au boy de vous prêter un des costumes de mon père. Vous êtes de la même taille. A tout à l’heure.

La nuit tombait. Malko alla dans sa chambre et prit une douche. Même l’eau froide était tiède. Il n’y avait pas l’air climatisé mais un vieux ventilateur que le poids d’un moustique aurait paralysé. II s’étendit sur le lit et s’assoupit immédiatement. Son genou allait beaucoup mieux.

Des coups frappés à sa porte le réveillèrent. Il s’enveloppa dans une serviette et alla ouvrir. Le boy tueur-de-chien était là, tout sourire.

— Miss Ann want… to see mister, dit-il en mauvais anglais.

Malko passa une chemise et un pantalon et le suivit. Il était pieds nus et le guida jusqu’au premier étage. Après avoir frappé, il s’effaça pour laisser entrer Malko, puis referma et disparut.

C’était visiblement la chambre d’Ann, avec un grand lit à colonnes drapé d’une moustiquaire rose, et une petite commode en bois de santal.

Mais Ann n’était pas là.

Il s’apprêtait à ressortir, croyant à une erreur du boy quand la voix de la jeune fille l’arrêta :

— Malko, je suis là.

Une porte était entrouverte. Il la poussa et s’immobilisa sur le seuil.

Ann était étendue très gracieusement dans une baignoire vieux style, les cheveux enroulés dans une serviette, son torse menu presque hors de l’eau. La pointe de ses seins affleurait juste l’eau mousseuse. Le reste de son corps était parfaitement visible. Une lueur amusée dansait dans ses yeux. Elle tendit la main :

— Entrez, et fermez la porte.

Malko obéit. Décidément, l’Afrique réservait des surprises. Très à l’aise, Ann annonça :

— J’ai toujours aimé qu’on me frotte le dos dans mon bain. Pas vous ? Tenez, prenez ce gant de crin. Otez votre chemise, vous allez vous éclabousser.

Lentement, Malko défit les boutons de sa chemise. Quand il se pencha pour prendre le gant. Ann passa la main sur sa poitrine et murmura :

— C’est Dieu qui m’a envoyée à toi.

— Pourquoi ?

— Je lui avais demandé un bel amant.

Consciencieusement, Malko frottait la peau fine du dos de la jeune fille. Elle ferma les yeux, laissant filtrer à travers ses lèvres une sorte de ronronnement. Puis elle lui prit la main et la ramena sur sa poitrine.

— Frotte là aussi.

Où était la sauvageonne prête à le tuer ? On aurait dit que l’alcool avait fait tomber toutes les barrières. L’alcool et l’Afrique.

Il la sentit frémir sous le contact rude du gant de crin. A son tour, malgré sa fatigue et ses soucis, il avait envie d’elle. Sa main s’appesantit sur la peau délicate et Ann ouvrit les yeux.

— Viens.

Comme Malko hésitait, elle l’attrapa par sa ceinture et tira. Déséquilibré, il tomba dans la baignoire avec son pantalon.

Ann le reçut sans broncher. Il sentit ses cuisses musclées l’enserrer, l’eau gicla de tous côtés. En dépit de sa position inconfortable, Ann se démenait furieusement. Puis elle se détendit et resta un bras hors de l’eau, l’autre passé autour du torse de Malko, les yeux fermés. La serviette qui retenait ses cheveux s’était défaite et ils trempaient dans l’eau.

Malko bougea un peu et lui embrassa la commissure des lèvres. Il remarqua que sa jolie bouche était encadrée de deux plis d’amertume qui la faisaient paraître plus vieille.

Il sortit de la baignoire et retira son pantalon trempé. Ann le regardait, les yeux mi-clos,

— Tu me prends probablement pour une folle ou pour une refoulée, dit-elle doucement. Tu as peut-être raison. Mais ici, on ne vit pas comme ailleurs, on ne sait jamais si on sera vivant la semaine suivante. J’avais une amie, au Kassaï, il y a deux ans, elle a été arrêtée par une patrouille de gendarmes katangais. Elle avait mon âge. Tout ce qu’elle a pu leur dire, pour éviter d’être égorgée, en plus, c’est : « O.K. mais sans le casque et pas tous ensemble… »

» Alors, quand on a envie d’un homme, on n’attend pas qu’il vous fasse la cour trop longtemps. De toute façon, demain, nous allons partir ensemble.

— Je ne te prends pas pour une folle et je te comprends, dit Malko. Mais je voudrais bien reprendre une tenue décente. Si ton père arrivait…

— O.K.

Elle sauta de la baignoire, se drapa dans un peignoir de bain et disparut. Elle revint avec un costume de toile blanche et une chemise, qu’elle jeta sur son lit.

— Et les boys ? demanda Malko.

— Les boys ?

Elle était sincèrement surprise.

— Pour moi, ils ne comptent pas plus que les meubles. Anyway, ils pensent que toutes les Blanches sont des putains.

En un clin d’œil, elle avait passé des dessous et une robe de toile boutonnée sur le devant. Elle s’approcha de Malko et l’embrassa légèrement :

— Tu vois, nous sommes très convenables maintenant.

Le dîner s’achevait. George Whipcord n’était pas bavard. Les yeux dans le vague, il répondait par monosyllabes aux essais de conversation polie de Malko, qui se débattait vaillamment avec le poulet de brousse grillé au soja. Immangeable. Ils dînaient sur la véranda et tout autour d’eux, le domaine bruissait de mille bruits d’insectes invisibles.

Ann, très digne, entretenait une conversation faite de riens, typiquement anglo-saxonne. Quelques phalènes tournaient lentement dans le cercle lumineux.

Un boy servit du café sans goût. George Whipcord se leva et s’excusa, expliquant qu’il devait se lever très tôt. Ann et Malko s’installèrent dans les fauteuils. D’innombrables étoiles brillaient dans un ciel fabuleusement violet. A droite, on apercevait les lumignons du village des ouvriers noirs. La ferme était éclairée grâce à un groupe électrogène.