» Sur le plan économique… »
Le lieutenant général Fay coupa le haut-parleur avec agacement et raccrocha son téléphone sur un mot d’excuse. Il se moquait éperdument de la situation économique du Burundi.
— Je ne vois pas ce qu’on pourrait apprendre de plus mauvais demain, fit-il sombrement. Où est la base la plus proche de l’Air Force ?
— Monrovia. 3 500 milles, fit Chips. Ou Téhéran, idem.
— En tout cas, remarqua Fay, nos amis Russes, cette fois, vont être aussi embêtés que nous. Et ce
1 International Labour Association.
n’est pas ce qui arrange nos affaires. Demandez au Stratégic Air Command ou à Monrovia d’envoyer immédiatement une reconnaissance aérienne sur place, pour tâcher de savoir quelque chose. Si on était absolument sûr qu’ils sont au fond du lac…
— Et s’ils ont atteint le sol ? demanda le capitaine.
Fay haussa les épaules.
— Vous le saurez demain, en lisant les journaux.
— Pas sûr. Cette région est absolument déserte. Nous avons une chance de les récupérer.
— Avec une colonne blindée peut-être, ou des hélicoptères. Vous vous croyez au Viêt-nam ? Et vous connaissez des hélicoptères qui ont 7 000 milles de rayon d’action ?
— S’il y a une chance sur mille pour qu’ils soient vivants, dit Chips, nous devons les sauver. Ce sont nos hommes. Et, de plus, la découverte de leur mission causerait un scandale énorme.
— Je sais, je sais, coupa Fay. Je m’en charge. Allez vous coucher. Conférence demain matin à 9 heures.
Le ton était sans réplique. Chips et le colonel se levèrent et saluèrent. Resté seul, Fay se prit la tête dans les mains.
Devant le général Chips et le colonel, il n’avait pas voulu montrer son désarroi. Mais la situation était très grave. Du moment que le satellite-espion ne s’était pas désintégré en rentrant dans l’atmosphère, il y avait trois possibilités : il avait atterri sur la terre ferme et il était urgent de le détruire, ou il avait sombré en touchant le lac Tanganyika ; ou encore, son équipage l’avait volontairement coulé après l’amerrissage.
Il fallait de toute façon savoir à quoi s’en tenir. Sinon, cela risquait de déclencher un scandale international auprès duquel celui de l’U2 espionnant la Russie ferait figure d’aimable plaisanterie…
C’était presque une chance dans leur malheur que le satellite ait échoué dans une région très peu peuplée, où les risques d’être repéré par les autorités locales étaient très faibles. Mais, plus le temps passerait, plus ces risques augmenteraient. D’autant plus que les cosmonautes tenteraient de regagner la civilisation.
Sur une ligne directe, Fay appela le Centre de Contrôle des satellites et eut une longue conversation technique. Lorsqu’il raccrocha, le pressentiment qu’il avait eu dans la voiture s’était vérifié.
Les Chinois étaient une fois de plus beaucoup plus en avance que prévu. Ils avaient trouvé le moyen de télécommander les rétrofusées du satellite, de façon à fausser sa trajectoire de rentrée dans l’atmosphère. Un peu plus, il serait retombé en Chine…
Nerveusement, le lieutenant général se mit à faire les cent pas dans son bureau. C’est lui qui avait pris la décision de mettre deux hommes dans le satellite, les résultats des satellites-espions automatiques étant trop décevants. Alors que là, les rapports auraient été fabuleux. Les deux cosmonautes étaient parvenus à descendre jusqu’à 100 kilomètres du Sikiang, berceau de l’industrie nucléaire chinoise.
Mais il fallait récupérer les films des caméras. Impossible de les transmettre par télévision. Or, ceux-ci gisaient au fond du lac Tanganyika ; ou dans un coin de brousse africaine, si les cosmonautes avaient eu beaucoup de chance.
Il valait mieux les retrouver avant que cela ne s’ébruite.
Fay frappa du poing sur son bureau. Puis décrocha son téléphone. Il aurait donné cher pour laver son linge sale en famille. Mais, à la D.I.A., ils n’étaient absolument pas équipés pour ce genre d’opération. En dehors des espions électroniques, ils ne disposaient que d’un réseau d’attachés militaires et civils, bien incapables de mener une opération « noire ». Et de plus, uniquement dans les pays où ils avaient une représentation diplomatique. Ce qui n’était pas le cas du Burundi.
Il n’existait qu’une agence fédérale capable de lui venir en aide : la C.I.A. Division des Plans. Eux disposaient des éléments nécessaires à l’organisation d’une expédition.
En dépit de ses soucis, le général ne put retenir un mince sourire. Il n’aurait pas voulu être dans la peau des agents obligés d’aller récupérer au milieu de l’Afrique un satellite et deux bonshommes. Le tout discrètement, bien entendu.
Un vrai safari-suicide ! Palomarès, à côté, n’était qu’une aimable fumisterie.
Le DC 8 des Scandinavian Airlines toucha doucement de ses huit roues le ciment de la piste de Nairobi. Pour la plupart des passagers, c’était le premier contact avec l’Afrique et ils collaient curieusement leurs visages aux hublots dans l’espoir de découvrir une vision bien pittoresque. Mais il n’y avait que beaucoup d’arbres. Depuis longtemps les Mau-Mau faisaient partie du folklore.
— Il est 9 h 30, heure locale, et nous venons d’atterrir à Nairobi, annonça l’hôtesse. Les passagers pour Johannesburg sont priés de descendre les derniers.
Son Altesse Sérénissime le prince Malko s’étira dans son fauteuil de première. On y était presque aussi confortablement installé que dans un lit.
Devant sa fatigue manifeste, les deux hôtesses s’étaient relayées pour le chouchouter. Il avait même eu droit à sa vodka russe favorite. C’était plutôt inattendu, au cœur de l’Afrique.
Il faut dire que vingt-quatre heures plus tôt il était encore à New York. Avec un problème : arriver le plus vite possible à Nairobi.
Un premier vol de la Scandinavian l’avait amené à Copenhague directement. Il s’était reposé quelques heures dans les cabines de relaxation mises à la disposition des passagers de la Compagnie Scandinave avant de reprendre le vol 961 à destination de Nairobi. Mais ils avaient dû s’arrêter à Hambourg, Zurich, Athènes, Khartoum et Kampala. A cette dernière escale, il avait flanché : endormi au fond de son fauteuil, rien n’avait pu le faire bouger.
Pourtant, cette fois, il fallait y aller. Comme un automate, il se leva et s’engagea sur la passerelle. Heureusement, à cause de l’heure matinale, il ne faisait pas encore trop chaud.
Un Noir en uniforme des Scandinavian Airlines demandait à la cantonade :
— Le prince Malko, s’il vous plaît ?
Malko s’approcha et se fit connaître. L’employé lui tendit un message plié.
A l’intérieur, il n’y avait qu’une phrase : « Rendez-vous au Koriko à midi. » Même pas de signature.
Malko regarda avec regret le gros Jet. Il aurait bien continué jusqu’en Afrique du Sud pour se faire choyer. Il aimait prendre l’avion et particulièrement la Scandinavian, où il retrouvait une politesse et un accueil qu’on ne trouvait plus aux U.S.A.
Mais hélas, son voyage se terminait là. Du moins pour l’instant. Car, la dernière étape, même la S.A.S. n’y allait pas. Encore endormi, il se dirigea vers la douane.
Quand Allan Pap entra dans le bar du Koriko, les trois putains noires assises à la table près de l’entrée se retournèrent d’un seul geste et jacassèrent avec animation.
L’une d’entre elles enleva une des pointes Bic plantées dans ses cheveux et se gratta la poitrine, égrillarde. Pap était le type d’homme qui plaisait aux Noires : 1,90 m, le crâne rasé, des épaules de débardeur et des yeux bleus faussement naïfs. Pas un pouce de graisse, mais 110 kilos.