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Le mécanisme se remit en marche dans le cerveau de Couderc et le sourire revint à ses lèvres. Il sentait encore dans ses côtes le bout pointu des chaussures des envoyés du Grec.

D’un geste sec, il arma la Remington.

Ari bondi de son siège et fonça dans la maison. Couderc tira de la hanche et la balle mit une armoire en pièces.

Sans se presser, il entra, un peu ébloui par le luxe de la villa. Le gros homme finissait de monter l’escalier. Couderc tira au jugé et un morceau de la rampe se transforma en allumettes. Puis, toujours sans se presser, il monta l’escalier à son tour.

Au premier, il hésita. Mais il n’y avait qu’une porte fermée. Il essaya la poignée. Au même moment, un coup de feu éclata à l’intérieur et une balle traversa le panneau, ratant Couderc de peu. Il eut un petit rire et appuya le canon de la Remington sur la serrure et pressa la détente.

Cela fit à peu près l’effet d’une tornade, et la porte se rabattit violemment contre le mur.

Ari-le-Tueur était appuyé au mur d’en face, ses petits yeux bordés de rouge affolés. Il leva son P. 38 en voyant Couderc. Il y eut un claquement sec et le chien retomba. La cartouche avait fait long feu. Aristote n’eut jamais le loisir de se demander pourquoi. La balle explosive de la Remington lui déchiquetait déjà les intestins. Il mourut avec l’impression d’être coupé en deux par une scie circulaire. Et ne sentit même pas la seconde balle qui lui arracha l’épaule gauche.

Couderc se détourna. Le spectacle était assez horrible et il ne supportait pas la vue du sang. Mais le masque figé de terreur du Grec lui remonta le moral.

Il quitta la villa en sifflotant et remonta dans la Land Rover. Une nouvelle fois, il fit le plein de son magasin. Puis reprit la route de Bujumbura.

Avec un peu de chance, il serait revenu à la ferme pour le dîner.

La Land Rover remonta lentement la rue du Kiwu pour s’arrêter devant la permanence des J.N.K. Un jeune Noir en uniforme était sur le pas de la porte, les mains dans les poches. En reconnaissant Couderc, il ricana et cria une injure en swahéli.

Michel Couderc prit la Remington et le tua d’une balle en pleine poitrine.

Puis il descendit de la voiture et entre dans le local. Une dizaine de noirs étaient assis à des tables. II n’avait pas de préférences particulières, aussi balaya-t-il la pièce de droite à gauche, tirant posément sur tout ce qui bougeait.

Les huit balles du magasin y passèrent. Les Noirs, déchiquetés par les balles explosives, hurlaient et tentaient de s’enfuir. L’âcre fumée de la cordite fit tousser Couderc. Soudain sa culasse claqua : l’arme était vide. Tranquillement, il entreprit de la recharger. Au même moment, un Noir bondit à travers la pièce, les yeux fous, le bouscula et disparut dans la rue, hurlant et sanglotant.

Lorsque Michel Couderc ressortit, la rue était déserte. Un peu déçu, il attendit quelques secondes puis remonta dans la voiture. Il avait encore quelque chose à faire.

En arrivant avenue de l’Uprona, il remarqua un barrage en face du Palais présidentiel : trois jeeps militaires entourées d’une foule de soldats. Il se demanda le pourquoi de cette agitation.

Mais cela l’arrangeait plutôt. A cause de ses yeux déficients, il n’aimait pas les cibles isolées.

Il gara la Land Rover, mit une poignée de cartouches dans ses poches et s’avança tranquillement sur le trottoir, dans un silence de mort.

Un porte-voix cracha une phrase qu’il ne comprit pas. Comme il se trouvait à bonne distance, il tira sur la première jeep. Il eut la joie de voir un Noir décoller du sol et retomber, cassé en deux. La mimique désespérée de l’homme en train de mourir lui arracha un rire aigrelet.

Au même moment, un fusil mitrailleur tira une longue rafale. Une série de chocs ébranla la poitrine de Couderc et il ouvrit la bouche, cherchant de l’air. Le trottoir lui sauta au visage.

Il mourut, un sourire aux lèvres, écrasant ses lunettes dans sa chute. Jamais, il n’avait été aussi heureux de sa vie.

Atterrés, Malko et Ann avaient suivi, par l’intermédiaire de radio Bujumbura, repris par le gouvernement républicain, l’odyssée de Couderc.

— Il haïssait les Noirs, conclut Malko. Le choc de l’accident l’a rendu fou. Il s’est vengé en bloc de mois d’humiliations. Pauvre garçon.

Il raconta à Ann dans quelles circonstances il avait rencontré Michel Couderc, et conclut :

— Maintenant, je suis seul. Je vais être encore plus traqué que jamais après le massacre de Couderc.

D’un côté, pensait-il, c’est presque mieux pour lui. Il n’aurait jamais pu s’acclimater à l’Europe. Et l’Afrique ne voulait plus de lui.

— Ma Land Rover est prête, dit simplement Ann. Nous partirons quand tu voudras. J’emmène le plus sûr de mes boys, Basilio. Il connaît les dialectes que je ne parle pas. Nous camperons dans la forêt ; ce sera plus prudent. J’ai prévenu mon père que nous partirons à la chasse pour quelques jours afin qu’il ne s’inquiète pas. Mieux vaut ne rien lui dire.

Il était un peu plus de midi.

— Eh bien ! parton, dit Malko.

Une heure plus tard, ils s’engageaient sur une piste déserte. Ann conduisait. Au moment du départ, elle avait embarqué dans la Land Rover une mystérieuse boîte noire en disant à Malko :

— Si nous avons le temps, je t’emmènerai chasser le crocodile.

Il ne lui fit pas remarquer qu’il y avait très peu de chance qu’ils aient le temps.

Chapitre XVI

La Land Rover cahotait sur la latérite défoncée par des infiltrations. Ann était au volant, avec, à côté d’elle, le Noir qui les menait au rendez-vous.

Derrière, à côté de Basilio, Malko veillait, la carabine américaine en travers des genoux, et une poignée de chargeurs dans sa veste de toile.

Cela ne servirait à rien s’ils tombaient dans une embuscade. Ils seraient percés de flèches et de décharges de fusils « pou-pou »[12] avant d’avoir eu le temps de faire «ouf».

Les phares éclairaient une sorte de savane faite de buissons épineux, d’arbres rabougris et de hautes herbes. La nuit était tombée depuis deux heures déjà. Autour d’eux, c’était l’obscurité totale.

Ann interrogea le Noir qui leur servait de guide :

— C’est encore loin ?

— Très prochement près. Presque adjacent, répondit-il dans son étonnant français tropical.

« Ce n’est pas trop tôt », pensa Malko.

Cinq jours qu’ils roulaient ! Heureusement, ils avaient pu se ravitailler en essence dans des villages, à même des fûts. C’était la seule trace de civilisation. Depuis les révolutions successives, cette région retournait tout doucement à la sauvagerie. Même Bujumbura paraissait civilisé à côté de ces villages où la cuvette d’émail portée sur la tête remplaçait le sac à main.

Des bandes armées venues du Congo et du Katanga écumaient des pistes importantes. L’administration centrale ne mettait plus les pieds dans ces villages éloignés. C’était trop dangereux.

Malko était en admiration devant la patience d’Ann. Depuis qu’ils étaient parvenus dans la zone approximative où étaient tombés les cosmonautes, elle interrogeait chaque Noir rencontré au détour de la piste, engageait d’interminables palabres.

Etant donné l’imprécision africaine et le goût des Noirs pour l’affabulation, c’était chercher une aiguille dans une botte de foin. Ils retournaient sur leurs pas, tournaient en rond, interrogeaient dix fois les mêmes personnes. Alléchés par la perspective d’une prime, les Noirs auraient raconté n’importe quoi. Ils étaient peut-être à 1 kilomètre de leur but, mais il aurait fallu se déplacer à pied.

Malko avait l’impression d’être là depuis six mois, de tourner sans fin dans cet enfer vert sans points de repères. Enfin, ils avaient rencontré un Noir un peu plus évolué, qui avait compris qu’ils cherchaient deux Blancs tombés du ciel. Il leur avait demandé une journée et, finalement, avait juré qu’il les conduisait aux gens qui savaient où se trouvaient ces Blancs. Cela pouvait évidemment être un guet-apens. Mais il n’était pas permis de négliger cette piste.

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12

Fusils rudimentaires fabriqués par les Noirs.