Выбрать главу

» Si on en demande une poliment aux macaques, ils ne vont pas refuser. De toute façon, vous ne risquez rien jusqu’à demain matin. Ils ne patrouillent jamais la nuit, ils ont une trouille affreuse de l’obscurité. A cause des fétiches.

Royal, Malko recommande une autre tournée de bière. On boit religieusement. Kurt regarde sa montre :

— Faut que je rentre. On est en patrouille. Bonne chance !

Les deux types assis à l’écart regagnent la jeep. Kurt emballe le moteur, fait un geste d’adieu et gueule :

— Dites à Turco qu’il nous manque. Salut.

La jeep démarre sur les chapeaux de roues et disparaît.

Etonnant de discrétion, ce Kurt, il n’a même pas demandé pourquoi ils étaient poursuivis par toute l’armée burundienne. Comme si ça allait de soi.

— Ne nous éternisons pas ici, dit Malko. Les gens du village vont parler.

Il paie et ils remontent dans la Land Rover. En avant pour la rivière. Effectivement, ils trouvent la piste à gauche. Et au bout, c’est le Kiwu. Large de 200 mètres, boueux à souhait, du courant. Et pas une pirogue en vue. De grosses jacinthes d’eau dérivent le long du courant, avec une kyrielle de bestioles. La piste se termine en cul-de-sac au bord de la rive marécageuse.

— Dormons ici, propose Malko, puisque Kurt a dit que les autres ne patrouillaient pas la nuit. On verra demain matin.

Basilio s’étend sur le sol et s’endort immédiatement sur sa toile de tente. Malko et Ann se tassent à l’arrière, membres mêlés et calant tant bien que mal leurs corps ankylosés contre les tôles rugueuses. Ann s’endort la première, la tête sur l’épaule de Malko.

Celui-ci rêve tout éveillé un long moment, écoutant le bruissement de la rivière. De l’autre côté, c’est le salut, le rendez-vous avec Allan.

Chapitre XVIII

Ils sont sagement étalés au soleil comme de gros troncs d’arbres verdâtres et inoffensifs.

De temps en temps, l’un d’eux ouvre une gueule énorme semée de crocs irréguliers et mortels. Leur haleine fétide se mélange à l’odeur de pourriture de la berge marécageuse, dans la zone intermédiaire où l’eau et la terre se rejoignent dans un délire de plantes aquatiques, de feuilles en suspension, de tunnels de verdure.

Les crocodiles.

Ils sont là par dizaines, attendant qu’il passe une proie à leur portée. Certains ont près de 4 mètres de long. Il y a une force surhumaine dans leurs mâchoires. Même mourants, ils peuvent sectionner le bras d’un homme d’un seul coup de dents.

C’est un univers glauque et oppressant, où la moindre ride sur l’eau verte vous donne le frisson.

— Impossible de franchir cette fichue rivière, dit Malko sombrement.

Ils sont réveillés depuis deux heures. Basilio est parti déjà deux fois en reconnaissance pour chercher une pirogue. Sans résultat. Ann est très pâle, mais ne dit rien. Pour une femme, la perspective de tomber dans les pattes des Burundiens n’a rien de joyeux.

Depuis une heure, il y a des bruits dans la forêt, des appels. On les cherche. Mollement. Heureusement, l’armée burundienne est un mélange d’audace et de prudence, dans la même proportion que le pâté d’alouette et de cheval… Même les instructeurs de la SS s’y sont cassé les dents.

Mais, si molles que soient leurs recherches, ils finiront par les trouver. A trois contre deux cents, cela peut finir mal.

— Revenons en arrière, vers le village, dit Ann. Il vaut mieux être prisonniers que bouffés par ces sales bêtes. Votre ami empêchera, j’espère, qu’ils nous traitent trop mal.

Malko secoua la tête. Il n’y croit pas beaucoup à l’aide de Kurt. Il y a un long moment de silence. Soudain, le visage d’Ann s’anime. Une lueur passe dans son regard.

— J’ai une idée, dit la jeune femme. Nous allons franchir le Kiwu à la nage. Tant pis pour la voiture. De l’autre côté, on se débrouillera toujours.

Malko la regarde, un peu inquiet. Le paludisme, ça commence comme ça.

Mais Ann farfouille à l’arrière de la Land Rover.

Soudain, elle extirpe une grosse boîte noire qu’elle pose par terre. Elle ouvre le couvercle.

— Vous vous souvenez que je voulais vous emmener à la chasse au croco ? dit-elle.

Malko ne peut s’empêcher de sourire.

— Ce n’est peut-être pas exactement le moment ; les chassés, c’est plutôt nous.

Mais Ann tripote les boutons fébrilement. La bande se met en marche, un bruit geignard jaillit de l’appareil. Elle coupe.

— Ça marche.

— Quoi ?

Les yeux pleins de malice, elle se plante devant Malko. Pour la première fois depuis quatre jours, son visage est détendu et souriant.

— Nous allons franchir la rivière sans danger, si vous êtes bon nageur.

— Je sais nager, mais moins vite qu’un croco. Et je n’ai pas envie de faire la course avec eux.

La jeune femme jeta un regard plein de reproche à Malko.

— Vous croyez que j’ai envie de me faire dévorer ?

— Alors ? Vous voulez qu’on leur jette Basilio et qu’on passe pendant qu’ils le croquent ?

Secouant la tête, Ann prend Malko par le bras et l’amène devant la boîte posée par terre.

— Regardez, c’est un magnétophone. Nous chassons comme cela ici. On le met sur une pirogue et on passe la bande pour attirer les crocos cachés sur les berges. Ce sont des cris de crocos blessés qui sont enregistrés. Dès qu’ils entendent, les autres se précipitent pour déchiqueter leur copain sans risque. Le temps qu’ils s’aperçoivent que c’est un piège, nous serons de l’autre côté…

Malko en reste muet. Mais il regarde l’appareil avec une méfiance non dissimulée.

— Et s’il y a une panne ? Ou un crocodile sourd ?

Ann hausse les épaules.

— C’est ça ou les Burundiens. Dans une demi-heure, ils seront là. On ne va pas tenir tête à un bataillon.

Long moment de silence. On n’entend que le bruissement du Kiwu et des craquements dans la forêt. Les troupes burundiennes sur le sentier de la guerre.

— Bon. Allons-y, dit Malko. Et Dieu fasse que votre truc soit bon.

Tirant de la Land Rover un sac en plastique, il se déshabille rapidement, ne gardant qu’un slip. Ann est déjà en slip et soutien-gorge. Basilio louche sur le corps musclé et nerveux, les fesses rondes et dures et la petite poitrine haute, aux seins écartés.

Ann le foudroie du regard et il détourne les yeux.

Ils empilent rapidement leurs affaires dans le sac, avec la carabine démontée en deux morceaux, des munitions, quelques boîtes de conserves et la tête du malheureux Keenie, qui répand une odeur à faire fuir les crocos. En dépit de la chaleur, ils frissonnent.

Accroupie près du magnétophone, Ann fait saillir sa croupe involontairement. Une fraction de seconde, pour Malko, les Burundiens sont loin. Mais la jeune femme le dégrise vite :

— Prêts ?

Malko et Basilio avancent jusqu’au bord du Kiwu. Le froid de la rive marécageuse leur donne la chair de poule. Cela doit être plein de sangsues. Ils s’enfoncent jusqu’à mi-mollets dans l’humus spongieux.

— Attention, crie Ann, nous allons partir un peu en amont, pour être entraînés par le courant.

Elle tourne un bouton du magnétophone et un gémissement s’élève immédiatement. Ann se relève vivement et rejoint les deux hommes. Maintenant, les gémissements sont plus forts, avec de petits cris.

— Un cri de jeune, précise Ann, pour faire venir les femelles.

Malko n’y croit pas encore. Il inspecte avec méfiance l’eau verte.

Soudain, il y a un plouf en face. Sortant d’un couvert de branches, un gros crocodile, nageant rapidement dans une profonde écume, fonce droit sur eux.