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Et, par moments, Malko souhaitait que l’avion n’arrive pas. C’était idiot, mais, lui qui avait horreur de l’Afrique, se sentait bien dans cette jungle, avec Ann près de lui. Elle y était tellement à son aise ! Laissant son esprit vagabonder, il se voyait vivant dans une plantation, chassant, et se mettant en smoking pour dîner en tête à tête avec Ann. Ils partiraient chasser ensemble, et feraient l’amour à la belle étoile, espionnés par les innombrables créatures de la forêt. Et un jour, après avoir gagné beaucoup d’argent, ils reviendraient en Europe et s’installeraient dans le château…

— Le voilà !

Ann s’était levée d’un bond.

Perdu dans son rêve, Malko n’avait pas entendu le bourdonnement. Un point noir se rapprochait au ras de l’horizon. Il grossit et Malko reconnut un petit aérocommander bimoteur à aile haute.

Déjà, il était au-dessus d’eux. Le pilote inclina l’appareil et Malko reconnut le crâne rasé de Pap. Il pilotait en manches de chemise, seul dans l’avion. Basilio se précipita hors de l’abri du banian, gesticulant.

Pap les avait vus.

Il revint encore plus bas, battant des ailes. Cette fois, le vent des hélices fit frémir les grandes feuilles.

L’aérocommander dégagea et, au bout du terrain, commença à sortir son train. Il n’y avait presque pas de vent et l’atterrissage ne posait aucune difficulté. Discrètement, Basilio prit le sac en plastique dans la jeep et partit en courant vers le bout du terrain où l’avion allait s’arrêter.

Malko regarda Ann. Elle avait les yeux brillants de larmes.

— Ann, tu viens ?

C’était plus qu’une question.

Elle secoua la tête et lui prit la main, l’entraînant de l’autre côté de l’énorme banian, hors de la vue de Basilio et de Pap.

Appuyée à l’arbre, elle attira Malko contre elle et enfouit sa tête dans son épaule. A travers la chemise, elle le mordit. Si fort qu’il poussa un cri. En même temps, elle le serrait de toutes ses forces, comme pour être écrasée entre l’arbre et l’homme. Malko sentait chacun de ses muscles et les os de son bassin s’encastraient dans ses hanches.

— Viens vite, murmura-t-elle. Vite. Après nous n’aurons plus le temps.

Il eut envie de lui dire qu’ils partaient ensemble, qu’ils auraient tout le temps, mais au fond de lui, il savait que ce n’était pas vrai.

Déjà, elle se laissait glisser par terre, défaisant elle-même son vêtement. Malko sentait sa peau brûlante, à travers la chemise de toile. Il montait de son corps une odeur forte et saine qui lui fit perdre la tête.

Tout le temps de l’étreinte, elle garda les yeux ouverts, fixant le ciel immanquablement bleu. Puis ses pupilles se dilatèrent, son crâne heurta durement le tronc du banian et elle murmura deux mots que Malko ne comprit pas :

— Dada kunda.

— Qu’est-ce que tu dis ?

D’un coup de rein, elle s’était déjà dégagée et se rajustait. Elle répéta, la bouche tout près du visage de Malko :

— Dada kunda. Cela veut dire «je t’aime» en kirundi.

Elle glissa sa chemise dans le pantalon, sans rien dire de plus.

— Viens, fit-elle. Ne faisons pas attendre ton ami.

Ils réapparurent au moment où Basilio arrivait. Le Noir était essoufflé.

— Vite, fit-il. Il ne veut pas rester longtemps.

— J’arrive, dit Malko.

Basilio repartit en courant. L’aérocommander ronronnait à 300 mètres. Pap n’était même pas descendu de l’avion.

Appuyée au tronc de l’énorme banian, Ann regardait Malko d’un air indéfinissable. En dépit de la carabine qui pendait à sa main droite et de son blue-jean elle était incomparablement féminine. Son chemisier de toile était défait et par l’ouverture, on apercevait la naissance de ses petits seins.

Malko essuya une goutte de sueur qui glissait dans le sillon.

Les yeux bleus de la jeune fille ne le quittaient pas.

Pour la première fois, il remarqua une petite tache rouge dans son œil gauche.

— Viens.

Elle secoua la tête lentement. Lâchant la carabine, elle prit la main de Malko et la serra très fort.

— Non.

A l’autre bout de la clairière, Allan fit son point fixe. Le vent des hélices couchait l’herbe et faisait s’enfuir d’innombrables oiseaux multicolores. Il était encore trop tôt pour que la chaleur soit écrasante.

Cahotant, le petit avion revint vers eux. A travers la glace du cockpit, on apercevait Allan. Ils ne pouvaient pas s’éterniser. Les soldats burundiens n’hésiteraient pas une seconde à les attaquer s’ils les trouvaient. En Afrique, les frontières, c’est une notion élastique.

Ann baissa les yeux et, quand elle releva la tête, ils étaient pleins de larmes. Ses ongles s’enfonçaient dans la paume de Malko, à lui faire mal.

— Viens, répéta Malko. Reste avec moi.

Elle s’appuya contre lui et murmura :

— Non. J’aurais peur. Mon pays, c’est ici. Je suis née en Afrique, je me sentirais perdue ailleurs. Et puis il y a mon père. Pars.

Elle se souleva et lui effleura la bouche de ses lèvres sèches.

— Pense à moi quelquefois.

Malko la regarda avec un désarroi intérieur qu’il n’avait pas souvent connu. N’importe quelle autre fille, il l’aurait emmenée de gré ou de force à l’avion. Mais pas Ann. On ne la forçait pas.

— Tu sais que je ne reviendrai pas, dit-il.

— Je sais.

Sa voix tremblait légèrement. Elle n’avait pas lâché sa main. L’aérocommander arrivait à leur hauteur. Les doigts d’Ann relâchèrent leur étreinte.

— Ne le fais pas attendre, dit-elle. Ce serait dangereux.

— Mais toi ?

Son visage reprit une expression presque masculine. Elle se redressa.

— Ne crains rien. Les Burundiens ne me font pas peur. Avec Basilio nous reviendrons par des pistes qu’ils ne connaissent pas.

— Kwa Heir ![16]

Elle le poussa vers l’avion. Il courut, passant derrière l’aile pour éviter les pales de l’hélice et se glissa par la petite porte.

— La fille ne vient pas ? hurla Allan.

Malko secoua la tête.

L’Américain eut un geste fataliste. Puis il mit les gaz. A travers le plexiglas, Malko vit la silhouette d’Ann diminuer. Elle agitait lentement la carabine, à bout de bras. Bientôt, il ne discerna plus les traits de son visage. Il y eut un léger cahot et l’aérocommander se souleva : ils avaient décollé.

Le banian sous lequel se trouvait Ann se confondit avec les autres arbres géants de la forêt. L’avion s’inclina vers la gauche, prenant le cap ouest. Le visage collé au hublot, Malko tentait d’apercevoir quelque chose. Mais tous les arbres se ressemblent. L’Afrique avait déjà avalé Ann.

Il se jura de revenir tout en sachant qu’il y avait bien peu de chance pour qu’il tienne sa promesse. Il ferma les yeux et imagina le corps nerveux et mince d’Ann soudé au sien, avec l’odeur de l’Afrique autour d’eux. Une de ces impulsions irraisonnées auxquelles on n’obéit jamais le poussait à demander à Allan de faire demi-tour. Pour voir si elle était toujours là.

L’Américain se retourna et cria :

— On sera à Nairobi dans deux heures. A nous la bière fraîche et les sexy-girls !

Malko sourit poliment, et acquiesça. Une barbouze, ça n’a pas de cœur, c’est bien connu.

Quand ils se posèrent sur le terrain de Nairobi, une jeep de l’aéroport les rejoignit, pour les formalités de police et de douane.

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16

Littéralement, va avec le bonheur en swahéli.