— Le câble chiffré est bien arrivé, mais il est resté sur mon bureau. J’étais allé voir des agents iraniens qui, dans le Nord, avaient pu s’infiltrer en Union soviétique. Washington aurait dû me prévenir plus tôt.
C’était plausible. Mais il avait pu aussi partir après avoir reçu le câble.
— Ne vous tracassez pas, continua le général. Je prends tout sur moi. J’enverrai un rapport dès ce soir.
— Et vous n’avez aucune idée de la façon dont ces gens ont pu être prévenus ? continua Malko.
— Le câble est resté deux jours sur mon bureau… La somme pouvait tenter beaucoup de gens. Nous verrons bien s’il y a une brebis galeuse dans notre service. Je vais en parler à mon ami le général Khadjar.
C’était la phrase que Malko attendait.
— Pourrais-je le rencontrer avec vous ? demanda-t-il. C’est un homme passionnant, paraît-il.
Schalberg ne tiqua presque pas.
— Bien sûr ! J’y vais maintenant. Accompagnez-moi.
Debout, il dominait Malko de près de vingt centimètres. Ils prirent l’ascenseur. Les bureaux du général se trouvaient dans un petit bâtiment ultramoderne, de trois étages, dans la cour de l’ambassade. Tous les services essentiels y étaient groupés. Rien ne se décidait d’important sans que le général en fût prévenu. Il avait d’ailleurs beaucoup plus de contacts avec les Persans que l’ambassadeur, qui s’embêtait à mourir et ne pensait qu’à séduire les élégantes Persanes en leur promettant des décorations américaines.
La Chrysler les attendait. Dans la voiture, Schalberg fut encore plus détendu.
— Vous avez l’intention de passer quelques jours en Iran, maintenant que votre mission est terminée ? Je peux mettre une voiture avec chauffeur à votre disposition, pour aller sur la Caspienne, ou sur le golfe Persique.
— Je ne dis pas non. Mais je veux d’abord voir Téhéran.
— Ça vous prendra deux heures. Il n’y a rien. Ispahan et Chiraz valent le coup.
Ils étaient arrivés devant le bâtiment que Malko connaissait déjà. Bien que le général fût en civil, les deux sentinelles se figèrent au garde-à-vous.
Le bureau du général Khadjar était au premier étage. Pour y parvenir, ils passèrent devant cinq hommes armés de mitraillettes, qui se tenaient en quinconce dans le couloir. Il y avait ensuite une pièce où se prélassaient deux gorilles aux poches alourdies d’artillerie.
La porte était ouverte, et Schalberg entra sans frapper. Vêtu d’une irréprochable tunique blanche, le général Khadjar assis à son bureau, était encore plus impressionnant que sur ses photos. La peau était très mate, la moustache et les cheveux noir corbeau. Les yeux bougeaient sans arrêt. Il sourit à Malko, découvrant des crocs blancs de fauve. En anglais, Schalberg présenta Malko et expliqua l’histoire de la serviette disparue. Khadjar hocha la tête.
— Je suis déjà au courant. Son Altesse Malko Linge a déjà eu affaire à nos services. Je le tiendrai au courant.
Teymour Khadjar était à la hauteur de sa réputation.
Il paraissait un peu agacé que son ami lui eût amené Malko. Celui-ci remarqua qu’un des tiroirs du bureau était entrouvert, à portée de la main droite de Khadjar. Le général était décidément un homme prudent.
Malko sentait nettement qu’il était de trop. Il décida de voler au secours de Schalberg, qui paraissait bien embarrassé.
— Général, dit-il à Khadjar, je suis sûr que vous ferez l’impossible pour retrouver mes voleurs et je vous en remercie. Je voudrais seulement vous demander un service, qui n’a rien à voir avec cette affaire. J’ai connu, il y a quelques années, un officier iranien en stage aux USA. Il s’appelait Tabriz. Pourriez-vous me dire s’il est à Téhéran ?
— Bien sûr.
Khadjar appuya sur le bouton de l’interphone et dit une phrase rapide en persan. Malko vérifia ainsi qu’il cherchait vraiment le lieutenant Tabriz.
— Asseyez-vous quelques instants, proposa Khadjar. On va me renseigner.
On apporta l’inévitable thé. Brûlant. Malko attendait anxieusement. C’était sa seule chance de coincer Khadjar, ou du moins de le mettre dans l’embarras.
L’interphone grésilla. Khadjar prit un crayon et nota. Puis il tendit le papier à Malko.
— Voici l’adresse du lieutenant Tabriz. N’importe quel taxi vous y conduira facilement.
Malko prit le papier et regarda Khadjar bien en face :
— Je voudrais que vous veniez avec moi, Général.
— Avec vous ?
Pris à contre-pied, Khadjar était sincèrement surpris. Il interrogea du regard Malko.
— Oui, fit l’Autrichien, je me sentirais plus en sécurité. Je vous ai fait un petit mensonge : C’est le lieutenant Tabriz qui m’a attaqué l’autre soir. Il pourra certainement aider votre enquête…
CHAPITRE IV
On n’est pas chef de la police secrète pendant dix ans sans que ça vous marque : Khadjar ne perdit pas son impassibilité.
— Très intéressant, dit-il d’une voix douce. Je convoquerai pour demain ce lieutenant Tabriz. Vous viendrez aussi et nous découvrirons ainsi la vérité.
Une fois de plus, Malko rageait. La riposte était efficace. Du jour au lendemain, il pouvait se passer bien des choses. Si Khadjar était dans le coup, il trouverait une façon de parer l’attaque. Une chose étonnait pourtant l’Autrichien. Pourquoi le général lui avait-il permis si facilement de connaître l’adresse de Tabriz ?
— Voulez-vous être mon hôte ce soir ? continuait Khadjar. Je donne une petite réception en l’honneur des vingt ans de ma fille. Je vous enverrai ma voiture à l’hôtel vers huit heures.
Il se leva. L’entretien était terminé. Schalberg était songeur. Il raccompagna Malko jusqu’en bas.
— Pourquoi ne m’aviez-vous pas dit que vous aviez identifié l’un de vos agresseurs ? demanda-t-il.
— Vous ne m’en avez pas laissé le temps. Et je pensais que cette information serait plus utile au général Khadjar. Espérons qu’il retrouvera Tabriz et notre argent.
— Espérons.
Schalberg semblait de plus en plus songeur. Malko se demanda jusqu’à quel point il était dupe. Il allait le savoir très vite. Le général n’était pas homme à se laisser attaquer sans riposter. Il avait parfaitement compris le piège tendu à Khadjar. Que Malko ne lui en ait rien dit, ce n’était pas une preuve de confiance…
La voiture ramena Malko au Hilton. Un nouvel équipage de la Panam arrivait, sans Hildegard. Il prit sa clef et monta dans sa chambre. La climatisation fonctionnait à peu près, et il avait besoin de réfléchir au frais.
Il tira de sa poche le papier avec l’adresse de Tabriz. Aucune raison pour qu’elle soit fausse. Pourquoi ne pas vérifier quand même ?
Mais pas seul ! Malko décrocha le téléphone, demanda le numéro de Derieux.
Le Belge répondit.
— Vous êtes libre, pour faire une petite balade en ville ? demanda Malko.
— Quel genre ?
— Reconnaissance armée.
— Pas tout de suite. J’ai un déjeuner avec le ministre de la Cour. Vers quatre heures, je serai libre.
— Bon. Mais apportez-moi un peu d’artillerie !
Derieux eut un gros rire.
— C’est une reconnaissance ou une attaque ? Entendu. À tout à l’heure.
Malko prit une douche et s’étendit sur son lit. Le téléphone le réveilla. Derieux était en bas. Il s’habilla à toute vitesse, maudissant la chaleur, car le climatiseur était tombé en panne, pour la cinquième fois depuis l’arrivée ; un air gluant et chaud filtrait à travers la fenêtre.
Le Belge avait mis un complet bleu pétrole avec un énorme œillet à la boutonnière. Il était encore plus rubicond que d’habitude. Le déjeuner avait dû être bien arrosé.