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— Où allons-nous ? demanda-t-il.

Malko lui tendit le bout de papier donné par Khadjar. Le Belge y jeta un coup d’œil.

— C’est dans le Sud, du côté de Chokoufé. Un coin minable. Qui allons-nous voir ?

Malko lui expliqua en quelques mots la situation.

— J’ai tout lieu de croire que je ne verrai jamais le lieutenant, conclut-il. À moins que nous ne le coincions nous-mêmes. Il doit en savoir long sur les rapports Khadjar-Schalberg. Ce n’est pas dans une boule de cristal qu’il a lu que j’arrivais avec dix millions de dollars. Et seul Schalberg était censé être au courant.

Tout en conduisant pied au plancher, Derieux se frotta le menton. Il n’avait pas l’air très rassuré.

— Je n’aime pas beaucoup m’attaquer au père Khadjar. Il est dangereux, bien informé et tout-puissant. S’il apprend que je vous aide, je peux être viré du pays en dix minutes. Au mieux !

— Il ne le fera pas, à cause de moi. Je représente quand même le gouvernement américain.

— Et après votre départ ? Non, je crois que je vais laisser tomber. Je ne veux pas d’histoires. C’est trop risqué. Vous êtes sympa, mais j’ai une femme et deux enfants. Tenez, prenez ça en souvenir.

Derieux ouvrit la boîte à gants et en tira un gros pistolet enveloppé dans un chiffon. Il le posa sur les genoux de Malko. En même temps il coupa les files de voitures et s’arrêta le long du trottoir.

— Vous êtes sur la Chah-Reza, dit-il à Malko. N’importe quel taxi vous conduira dans le sud de la ville. Ne payez pas plus de cinquante riais, soixante s’il gueule trop.

Malko n’avait pas bougé. C’était le moment ou jamais de recourir au charme slave. Il se tourna lentement vers Derieux et le regarda bien en face. L’autre soutint le regard d’or.

— Qu’est-ce que vous diriez, commença Malko, si je vous apprenais que je suis ici pour remplir une mission ultra secrète, sur l’ordre du président des États-Unis lui-même, et que le vol des millions n’est qu’une toute petite péripétie ? J’ai besoin de votre aide et je réponds de votre sécurité, comme de la mienne.

Derieux restait sceptique. Il secoua la tête.

— Vous n’empêcherez pas Khadjar de me faire la peau quand vous serez à dix mille bornes.

— Il n’y aura plus de Khadjar après mon départ.

— Quoi ?

Cette fois le Belge était stupéfait. Il regarda Malko.

— Vous voulez liquider Khadjar ? Mais pourquoi ? Il vous a toujours servi. C’est ici le bras droit de la CIA. On le lui a assez reproché.

— Disons que le bras devient tentacule, dit Malko. Je ne peux vous en dire plus. Du moins pour l’instant. Mais s’il y avait le moindre accrochage, votre situation est faite aux USA. Pour que vous voyiez que je ne plaisante pas, je vous remettrai demain un passeport américain à votre nom, un passeport diplomatique.

— Un faux ?

— Non, un vrai. Établi par l’ambassadeur de mon pays à Téhéran.

Le Belge était ébranlé, mais non convaincu. Malko tira alors de son portefeuille une enveloppe. Il l’ouvrit et y prit un papier qu’il tendit à Derieux.

— Lisez.

La feuille était à en-tête de la Maison-Blanche et le texte très court.

« Je demande à tous les représentants de l’administration ou des forces armées américaines de donner une aide totale à SAS Malko Linge dans l’accomplissement d’une mission, intéressant la sécurité des USA, qui a pour cadre le Moyen-Orient. Cet ordre est valable un mois. »

C’était manuscrit et signé par le Président. Une assurance sur la vie pour Malko.

— Je peux réquisitionner l’amiral commandant la VIe flotte, dit Malko. Et l’ambassadeur aussi. Avec ce papier, je suis aussi puissant que le Président, pendant un mois.

— Qu’est-ce que ça veut dire, SAS ?

— Son Altesse Sérénissime. C’est mon titre autrichien.

Cette fois, subjugué, Derieux ne discuta pas. Une altesse l’impressionnait beaucoup plus que le président des USA. Il passa une vitesse et haussa les épaules.

— Bon. On y va. Mais j’espère que vous ne bidonnez pas. Je joue ma peau.

Malko ne répondit même pas. Il avait eu chaud. Pendant que Derieux injuriait piétons et automobilistes, il vérifia le pistolet et le glissa dans sa ceinture. Il fallut vingt minutes pour arriver à l’adresse en question.

C’était une petite rue en terre battue, comme il y en a des centaines à Téhéran, avec l’égout à ciel ouvert. Maisons de brique grise. Pas de trottoir. Ils durent arrêter la voiture et continuer à pied. Les numéros étaient mis au petit bonheur. Ils trouvèrent le 27 après le 6. Et personne à qui demander un renseignement. Ils frappèrent en vain à plusieurs portes. Pendant leurs recherches, un Iranien passa à bicyclette, portant sur l’épaule un lampadaire à acétylène, allumé. C’était plus gai pour livrer.

Derieux découvrit enfin dans le couloir une carte de visite en persan.

— C’est au premier, dit-il à Malko. C’est marrant, la baraque a l’air déserte.

La carte était neuve et fixée par une punaise. Malko n’était pas tranquille. Une ambiance bizarre se dégageait de cette maison vide. Ils suivirent le couloir et trouvèrent un escalier branlant en bois.

Il n’y avait qu’une porte sur le palier. Et elle était entrouverte… Sur le bois, la même carte de visite qu’en bas.

Derieux tira de sa ceinture un gros Lùger et l’arma. Malko s’approcha de la porte et frappa deux coups légers.

Pas de réponse. Il refrappa.

On n’entendait que le bruit de leur respiration.

— On y va ? proposa Derieux.

— Non.

— Pourquoi ? Il a dû filer en vitesse.

— Je ne crois pas. C’est un piège. Regardez.

Malko désignait les gonds de la porte. Ils étaient encore tout luisants d’huile.

— Quelqu’un tient à ce que nous trouvions cette chambre et que nous y entrions. Et je ne pense pas que ce soit Tabriz.

— Vous pensez qu’on nous attend dans la chambre ?

— Non, quelque chose de plus vicieux.

Tout en parlant à voix basse, ils s’étaient éloignés dans le couloir.

— J’ai une idée, dit Malko.

Dans un coin, il y avait un lourd escabeau de bois. Malko le posa devant la porte. Un crochet pendait au mur, juste en face. L’Autrichien chercha un moment et trouva dans un coin du couloir ce qu’il voulait : un bout de corde. Il la noua autour du crochet. Puis, appuyant l’escabeau contre la porte de Tabriz, il l’attacha avec l’autre extrémité de la corde. De cette façon, l’escabeau tenait en équilibre contre le battant retenu par la corde.

— Voilà, fit Malko. Cet instrument va entrer à notre place dans la chambre. Vous avez un briquet ?

Il prit le Zippo que Derieux lui tendait.

— Je vais mettre le feu à la corde. Le temps qu’elle brûle, nous pourrons descendre. La corde cassée, l’escabeau va ouvrir la porte en s’appuyant dessus. Il ne restera plus qu’à remonter voir le résultat de l’opération.

La flamme entama le chanvre. Les deux hommes dégringolèrent l’escalier et enfilèrent le couloir.

Ils couraient encore quand l’explosion secoua toute la rue. Instinctivement ils se jetèrent par terre. Quand ils se relevèrent, des gens couraient autour d’eux. Lentement Malko et Derieux revinrent vers la maison.

Ce n’était plus qu’un tas de ruines fumantes. Tout l’intérieur s’était effondré, laissant seulement la façade en pisé.

— Il devait y avoir dix kilos de plastic, dit Malko, déclenché par l’ouverture de la porte. Nous aurions eu de belles funérailles. Avec, en prime, le récit de la trahison du lieutenant Tabriz, qui a finalement préféré la mort au déshonneur.