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— Vous pensez que c’est Khadjar ?

— J’en suis sûr. Je vais m’amuser ce soir. Ma place ne doit même pas être retenue à table.

— Comment ? Vous allez dîner chez lui ?

— Eh oui ! Ça va au moins lui gâcher sa soirée. Parce que je n’ai rien d’un ectoplasme.

— C’était bien monté. On nous aurait ramassés à la petite cuillère. Plus sûr que de nous faire abattre par des tueurs. C’est pour cela qu’il n’y avait personne dans cette rue. On a dû évacuer les habitants.

Ils retrouvèrent la Mercedes sans autre incident. Derieux n’avait pas l’air tellement ému. Il menait la voiture avec dextérité à travers les embouteillages. La nuit tombait et une curieuse lumière mauve illuminait les montagnes derrière Téhéran. Malko eut juste le temps de se changer et de prendre une douche. Il avait rendez-vous avec Derieux le lendemain pour déjeuner. En attendant il avait du pain sur la planche…

En tunique blanche, le général Khadjar accueillait ses invités sur le perron de sa résidence, près du Cercle franco-iranien. En voyant Malko, il ne cilla pas. Ou il avait beaucoup de sang-froid, ou ses informations allaient très vite.

— Venez, Altesse je vais vous présenter à ma fille, dit-il.

Toujours le titre. Un assassin bien élevé.

Il prit Malko par le bras et le conduisit au buffet, dressé dans le jardin.

— Voici Saadi, dit-il. Elle a vingt ans aujourd’hui.

Malko s’inclina devant la jeune fille, ravissante. De longues jambes minces, un buste un peu étroit avec une poitrine pointue, et un petit visage dur et triangulaire de chat. L’air très intelligent. La digne fille de son père. Les yeux pers soutinrent le regard des yeux d’or de Malko.

— Mon père m’a beaucoup parlé de vous, dit-elle. Je suis ravie de vous connaître.

Elle ne le quittait pas des yeux. La voix était déjà celle d’une femme.

— Que pensez-vous de notre pays ? continua-t-elle. Je serais heureuse de vous aider à le découvrir, si toutefois votre travail vous en laisse le temps…

Venant d’une telle créature, ce ne pouvait être qu’une invite amoureuse ou un piège.

Provisoirement, Malko préféra croire que son charme agissait une fois de plus.

Les salons étaient pleins d’officiers iraniens, avec des gueules de bandits. Tous portaient un pistolet à la ceinture. Charmant, à côté des robes de cocktail ! Saadi, fille de Khadjar, minaudait adorablement. Elle avait une façon de regarder les hommes dans les yeux qui faisait rougir même Malko. Dans ce pays où la virginité est un passeport obligatoire pour le mariage, c’était surprenant…

— Je donne une soirée la semaine prochaine, dit-elle à Malko. J’aimerais vous avoir.

Comment refuser ? D’autant que les jolies filles foisonnaient. Toutes parfaitement coiffées, vêtues de robes aux décolletés vertigineux, elles dévisageaient froidement les hommes présents, pour bavarder ensuite avec de petits gloussements.

— Vous dansez ? proposa Malko.

La façon de danser de Saadi se rapprochait plus de la danse du ventre que de la valse. Malko se dit que le général allait avoir un motif supplémentaire de lui en vouloir. Mais il laissa la jeune Iranienne s’appuyer contre lui avec souplesse. Il aurait donné cher pour voir son visage. Il serra légèrement la main qu’il tenait. Les doigts fins de Saadi répondirent à sa pression.

Khadjar lui-même interrompit le flirt. Une coupe de Champagne à la main, il appela joyeusement Malko, qui dut abandonner Saadi. Très protecteur, le général mit un bras autour des épaules de Malko.

— J’aurai du nouveau pour vous demain, cher ami, dit-il. L’enquête a progressé rapidement aujourd’hui. Peut-être même retrouverons-nous votre argent.

Malko vida sa coupe de Champagne. Le fournisseur était meilleur que celui de Derieux. Mais le général Khadjar avait un sacré culot ! Car, pour Malko, l’enquête avait bien failli être terminée définitivement.

— Ma voiture viendra vous chercher demain, continua Khadjar. À neuf heures.

Il s’éloigna. Malko se promena un peu parmi les invités et rencontra plusieurs membres de l’ambassade américaine. Il parla seulement au troisième secrétaire, Bill Starr, admirateur frénétique de Schalberg.

— Le plus grand bonhomme qu’on ait à la CIA, dit-il à Malko. Le chah lui mange dans la main.

Un peu après, Malko s’éclipsa, après avoir serré un peu trop longtemps la main de Saadi. Elle pérorait en persan au centre d’un groupe de jeunes filles.

À minuit, Malko dormait du sommeil du juste, son pistolet sous l’oreiller et la commode poussée devant la porte. À moins de faire sauter l’hôtel, les créatures de Khadjar ne pouvaient pas grand-chose. Ils ne détruiraient pas le Hilton : il valait huit millions de dollars et n’était pas encore payé.

La voiture de Khadjar fut là à l’heure. Elle ne portait aucun signe distinctif, mais le portier salua Malko avec un respect tout neuf.

Il ne leur fallut que dix minutes pour arriver. Tous les flics des carrefours leur donnaient la priorité. Grisant. Les sièges arrière sentaient l’eau de Cologne de bonne qualité. Le général était un homme raffiné.

Il attendait devant le quartier général de la police. Il ne laissa pas le temps à Malko de descendre et le rejoignit dans la voiture. L’air mystérieux, il lui dit :

— J’ai de bonnes nouvelles.

La Chrysler bleue repartit, Khadjar fumant un petit cigare hollandais et Malko méditant. Ils traversèrent tout le sud de la ville et s’engagèrent dans les faubourgs, constitués essentiellement de briqueteries à ciel ouvert. Enfin, la voiture stoppa à l’entrée d’un bâtiment moderne.

Trois officiers attendaient devant la porte. Ils saluèrent Khadjar avec une raideur allemande et ignorèrent Malko. Le groupe emprunta un long couloir, glacé en dépit de la chaleur. On vit passer une infirmière. Au fond, Khadjar s’effaça pour laisser passer Malko.

La pièce était vide, à l’exception d’une civière sur laquelle reposait une forme recouverte d’un drap. Les murs étaient peints au ripolin vert, les fenêtres fermées. Un officier s’avança vivement et souleva le drap.

— Reconnaissez-vous cet homme ? demanda Khadjar.

Malko s’approcha. Le mort était en tenue de l’armée iranienne. Il portait une vilaine blessure à la tempe. Son visage était calme.

Sans aucun doute possible c’était le lieutenant Tabriz.

— C’est bien l’officier qui dirigeait l’attaque, dit Malko. Que lui est-il arrivé ?

Khadjar rabattit le drap avec le geste soigneux d’un collectionneur jaloux protégeant une œuvre d’art, puis il entraîna Malko hors de la pièce.

— Il s’est suicidé. J’avais donné l’ordre qu’on me l’amène. Mes hommes sont arrivés trop tard.

— Cela s’est-il passé chez lui ?

— À la caserne. Il avait piégé son appartement, qui a sauté hier après-midi. Il sera, difficile de retrouver ses complices, car il n’a pas eu le temps de parler. Il devait avoir besoin d’argent pour couvrir une dette de jeu. Les Iraniens sont très joueurs… Néanmoins je tenterai de les identifier. Je vous prie d’accepter les excuses de l’armée iranienne, Altesse.

Malko s’inclina. Tout cela était parfait. S’il avait poussé la porte la veille, on aurait simplement déploré qu’il eût voulu se mêler de l’enquête. Quant au suicide du pauvre Tabriz, il était plus que douteux. Mais, mort, il était beaucoup moins dangereux que vivant.

Le retour fut silencieux. Khadjar descendit à son bureau et laissa sa voiture à Malko. Celui-ci se fit conduire au Hilton. Il devait retrouver Derieux pour déjeuner.

Le Belge, vêtu de son éternel complet bleu pétrole, fit son apparition à une heure tapante.