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Il se leva vivement, et, avec une écuelle, prit un peu de semoule dans un sac, et la tendit à Malko.

— Goûtez, monsieur.

Même avec du thé, la semoule, c’est indigeste. Malko déclina poliment et réattaqua :

— Ce blé me serait très utile et je suis prêt à vous le payer cher. Plus cher que votre acheteur.

Le vieux s’agita.

— Ce n’est pas possible. J’ai promis, maintenant. C’est un homme important. Il ne serait pas content. D’ailleurs, ajouta-t-il, se tournant vers Van der Staern, vous serez entièrement payé demain.

— Je comprends, fit Malko, impitoyable. Mais si je rachetais ce blé à votre acheteur, tout le monde y trouverait son compte. Puisque vous toucheriez deux fois votre commission…

Même cet argument trébuchant ne toucha pas le vieux.

— Ce blé n’est pas très bon, gémit-il. Je vous trouverai mieux. Il est resté longtemps au soleil.

— Alors pourquoi votre client y tient-il tant ?

La réponse du vieux fut inintelligible ; il se trémoussait sur sa caisse comme si elle avait été chauffée à blanc. Il crevait de peur, et sa barbe en tremblotait. Malko comprit qu’il n’en tirerait plus rien. Mais tout cela était bien bizarre. Qui pouvait s’intéresser autant à du blé un peu pourri, au point de le payer avec de précieux dollars volés ? Et surtout, en quoi ce blé pouvait-il intéresser Khadjar ? On ne fait pas de révolution avec des gens qui ont le ventre plein, c’est bien connu.

— Je regrette, conclut Malko en se levant. J’espère que nous ferons affaire une autre fois.

Du coup, le vieux redevint prolixe, assurant Malko d’un avenir doré, s’il s’intéressait à sa semoule. Il les raccompagna jusqu’à la porte de la boutique, se confondant en excuses. Au moment où ils sortaient, ils se heurtèrent presque à deux hommes qui entraient dans la boutique ; deux Européens.

Malko tomba aussitôt en contemplation devant une pile de raisins secs, tout à côté du marchand de semoule. Les deux hommes parlaient persan, presque sans accent. Le vieux répondait d’un ton aigu et geignard. Malko ne put saisir toute la conversation, mais comprit que les deux lui demandaient s’il n’avait pas de blé à vendre.

Le vieux protestait que non et reproposait sa semoule. Décidément, ce blé pourri suscitait bien des convoitises ! Après quelques échanges de politesses, les deux hommes ressortirent de la boutique, heureusement du côté opposé à celui où se trouvait Malko. Celui-ci leur emboîta le pas. Van der Staern était resté à l’écart, ballotté dans la cohue. Il rejoignit Malko.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Je ne sais pas. Encore un acheteur pour votre blé. On se l’arrache. Vous les connaissez ?

— Non.

— Bon. Suivons-les. Ça m’intéresse.

C’était facile. Ils marchaient vite mais ne se retournaient pas. La bousculade était telle que Malko aurait pu se rapprocher encore sans danger.

Ils arrivèrent enfin à la sortie. Les deux hommes se dirigèrent vers une petite voiture noire et y montèrent. La Mercedes était juste derrière. Malko prit le volant et démarra.

La voiture noire remonta vers le nord et prit l’avenue Hafez. Le conducteur ne s’était pas aperçu qu’il était filé, car il ne prenait aucune précaution. Il mit son clignotant pour tourner dans une petite rue et s’arrêta devant un portail. La voiture noire s’engagea sur le trottoir et donna un coup de klaxon. La grille s’ouvrit et l’avala. Malko, qui s’était arrêté derrière, redémarra et passa doucement devant la grille. Il y avait une grande plaque de cuivre, avec ces mots :

« Ambassade de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. »

— Ça, alors !

Van der Staern écarquillait les yeux. Malko le regarda ironiquement.

— Même les Russes veulent votre blé ! C’est peut-être une variété exceptionnelle, des épis géants…

L’autre secoua la tête.

— Je ne comprends pas. Tout cela est bizarre. Enfin, tout ce que je vois, c’est que je vais enfin être payé. Est-ce que vous vous intéressez toujours à mes dollars ? Je pourrais vous abandonner cinq pour cent.

— Plus que jamais ! Mais il y a quelque chose qui m’intéresse encore plus : votre blé. Je vous propose un marché. Je vous prends tous vos dollars et je vous en donne la contrepartie dans la monnaie de votre choix. Mais vous m’accompagnerez à Khurramchahr, où je désire jeter un coup d’œil sur ces blés d’or.

— À Khurramchahr ! Mais c’est au diable ! Et qu’est-ce que ça peut vous faire ? Vous verrez des sacs de blé et c’est tout.

— C’est mon affaire. C’est à prendre ou à laisser. Le blé et les dollars, ou rien. Réfléchissez jusqu’à l’hôtel.

Malko se plongea dans les joies de la conduite. La remontée se fit sans histoire et Van der Staern n’ouvrit la bouche qu’au Hilton :

— C’est bon, je vous accompagnerai. Mais je veux être sûr, pour mes dollars…

— Vous avez ma parole. Maintenant allons boire un verre au bar.

Le coin était charmant, avec un petit jet d’eau et un décor très oriental. Les tables étaient en cuir repoussé et les fenêtres en forme de point d’interrogation.

On leur apporta deux vodka-lime.

Malko but la sienne d’un trait et regarda autour de lui. Le bar était vide, à l’exception de trois jeunes Persanes qui papotaient devant du thé vert. L’une avait un profond décolleté et d’immenses yeux qui fascinaient Malko. Se sentant regardée, elle se redressa encore. Sa poitrine pointa à travers la blouse de soie. Malko redemanda une vodka. Si c’était vrai, c’était assez étonnant… Il se demandait comment il pourrait engager la conversation avec cette perle d’Orient quand elle se leva et passa devant lui en ondulant. Elle avait des jambes extraordinaires ; longues et très fines. Malko n’y résista pas. Il se leva à son tour et la suivit.

Elle fila droit aux toilettes des dames. Malko, gêné, resta dans le hall à faire les cent pas. Il avait violemment envie de cette fille. Ici, ce ne serait pas facile. On se marie vierge, en Iran. Après, c’est autre chose… Mais celle-là ne portait pas d’alliance.

Toujours ondulante, elle réapparut et se dirigea droit vers le kiosque à journaux dans un coin du hall. Elle commença à feuilleter une revue. Malko fit le tour et s’approcha derrière elle. Elle lisait Der Stern.

— Vous parlez allemand ? demanda-t-il doucement.

Elle sursauta et se retourna. De près, elle était encore plus fascinante, avec une large bouche rouge à demi entrouverte. Malko était à la limite de l’attentat à la pudeur.

— Oui, un peu…

La voix était douce et basse.

— Vous êtes allemand ?

— Non, autrichien. Prince Malko Linge, pour vous servir.

Malko s’inclina très profondément et profita de son avantage.

— Je suis étranger ici et un peu perdu. Me permettrez-vous de vous offrir une tasse de thé ?

La jeune fille hésita.

— Je voudrais bien, mais je ne suis pas seule. Une autre fois, peut-être.

Déjà elle remettait le magazine à sa place.

— Je ne suis pas seul non plus. Mais voulez-vous accepter de dîner avec moi ?

Elle le regarda avec surprise.

— C’est impossible, voyons ! Je ne vous connais pas. Téhéran est une très petite ville. Nous ne sommes pas en Europe.

— Alors, demain, dans la journée ?

— Je travaille.