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— Je peux vous voir après. Vous êtes tellement belle que maintenant je ne pourrai plus vous oublier.

Sous le compliment, elle ronronna.

— Alors, téléphonez-moi. Demain dans la journée, à mon bureau. C’est le 34. 527. Vous demanderez Tania Taldeh. Je verrai si je peux vous voir un moment après.

Elle s’éloigna aussitôt. Malko la suivit des yeux. Décidément, il avait un faible pour l’Orient.

Quand il rejoignit sa table, Van der Staern avait l’air morose.

— Qu’est-ce que vous fichiez ?

Malko prit un air mystérieux.

— Je travaillais pour vos dollars.

L’autre sourit largement, puis se rembrunit.

— Vous vous foutez de moi, en plus. Vous faisiez du gringue à la petite, c’est tout.

— J’avoue. Mais je pensais à vous quand même.

Les trois filles se levèrent et passèrent devant Malko. Tania ne l’honora même pas d’un regard. Cela le piqua et l’agaça. Il se jura de lui faire payer son indifférence. En attendant, il avait d’autres chats à fouetter.

— Nous partirons demain matin, dit-il à Van der Staern. Cela laissera aux gens que je connais le temps de s’arranger pour vos dollars. À notre retour tout sera prêt. Maintenant, j’ai à faire. Je serai ici ce soir, avec un ami qui nous accompagnera à Khurramchahr. Il connaît bien le pays et nous sera précieux.

Malko signa l’addition et se leva.

Il monta dans le premier taxi de la file, devant l’hôtel.

— Au Bazar.

Le vieux marchand, pris en particulier, aurait peut-être des choses intéressantes à dire au sujet de ce blé.

Sans se presser, Malko s’enfonça dans les ruelles du Bazar. Mais, arrivé au milieu de cette foule, il regretta de ne pas avoir emmené Derieux. Un homme pourrait disparaître ici sans laisser de traces, avalé par le gigantesque caravansérail.

La plupart des boutiques fermaient. Il était six heures. Les caractères persans éclairés au néon donnaient un air de kermesse à l’éventaire le plus misérable. Malko jouait les touristes flâneurs. Il arriva à la rue des marchands de grain et s’assura du coin de l’œil qu’une lampe brillait dans la boutique.

Il découvrit un atelier de repoussage de cuivre devant lequel il s’arrêta.

Enfin le vieux ferma sa boutique. Il rabattit ses volets de bois, éteignit la lampe, glissa un énorme cadenas entre les pitons de la porte et partit en trottinant, tournant le dos à Malko.

Il était facile à suivre. Malko resta quand même à une certaine distance. Ils s’engagèrent dans le dédale des ruelles couvertes, puis émergèrent brusquement au sud, dans un quartier composé d’étroites rues au sol de terre, avec, de temps en temps la lueur d’une lampe à pétrole.

Le vieux trottinait toujours devant. La nuit était tombée. Soudain deux silhouettes dépassèrent Malko, marchant rapidement. Deux hommes, qui portaient chacun à bout de bras un objet, comme une très longue bouteille. Arrivés à la hauteur du vieux, ils l’encadrèrent brusquement. Avant que Malko ait eu le temps d’intervenir, l’un d’eux, d’une bourrade, poussait le malheureux contre un mur. L’autre brandit l’objet qu’il portait à la main et l’assena de toutes ses forces sur la tête du vieux.

Malko entendit le craquement des os qui s’écrasaient. Le vieux poussa un gémissement étouffé et porta les deux mains à sa tête.

Le premier le lâcha et frappa à son tour, en plein front, comme un bûcheron qui abat un arbre. Il y eut un bruit atroce et le vieux glissa le long du mur.

Malko s’était mis à courir, en tirant de sa ceinture le colt du Belge et en l’armant. Le vieux n’était plus qu’un petit tas par terre, et les deux tueurs s’acharnaient sur lui.

En entendant les pas de Malko, ils se relevèrent.

L’un continua à frapper le vieux, l’autre s’avança vers Malko, en balançant son arme. De près, il avait une carrure impressionnante ; le crâne rasé, un visage gras, où de petits yeux méchants bougeaient sans cesse. À trois mètres de Malko, il bondit, la massue haute et l’abattit, pour coincer contre le mur l’Autrichien, qui eut juste le temps de faire un bond de côté. Un nuage de poussière jaillit du mur, là où aurait dû s’écraser la tête de Malko.

Déjà l’énorme brute refaisait un moulinet. Et le second, ayant fini de broyer le vieux marchand, accourait à la rescousse. Pas un mot n’avait été prononcé.

De toutes ses forces, Malko envoya en avant son poing droit, terminé par le colt. Le lourd canon frappa le colosse à la tempe droite. Il poussa un grognement et recula. Un filet de sang se mit à couler sur son visage. N’importe quel adversaire normal aurait été par terre pour le compte. Lui secoua à peine la tête, puis se rua sur Malko.

Le colt cracha deux fois, ce qui arrêta net les deux tueurs. Malko n’avait pas tiré sur eux, mais ils avaient senti le souffle des balles. Et maintenant le trou noir du canon était dirigé droit sur eux.

— Lâchez vos armes, ordonna Malko en persan.

Surpris, ils le regardèrent, mais ne bougèrent pas. En dépit des deux coups de feu la rue était toujours déserte. Les gens devaient se terrer dans leurs maisons.

— Lâchez vos armes, insista Malko, ou je vous abats.

Les deux hommes se regardèrent encore, firent un pas en avant. Malko releva le canon du colt. Alors, d’un seul bloc, ils tournèrent les talons et détalèrent.

Malko démarra derrière eux. Mais au bout de cinquante mètres, il était distancé. Il vit les tueurs tourner dans une ruelle obscure, et n’eut pas envie de les suivre. À quoi bon ?

Il revint à pas lents vers le lieu du crime.

Du vieux, il ne restait qu’un tas de chiffons contre un mur de pierre sèche. Surmontant une nausée, Malko se pencha vers le cadavre. Sa main effleura le crâne, où ses doigts s’enfoncèrent dans une bouillie de cheveux et d’os broyés. Heureusement qu’il faisait nuit…

Malgré tout, il fouilla l’homme. Sous la robe apparut une ceinture que Malko arracha. Il y avait des papiers et des billets. Il empocha le tout, et s’éloigna rapidement. Il valait mieux ne pas se mettre un meurtre sur le dos !

Complètement perdu, il dut marcher près d’un quart d’heure dans des ruelles désertes, avant de tomber dans une rue éclairée normalement. Il avait bien croisé quelques passants, mais il ne tenait pas à attirer l’attention sur lui en demandant son chemin.

Enfin un taxi s’arrêta près de lui. Il se fit conduire au carrefour de la Chah-Reza et de la Ferdowsi. Là il reprit un autre taxi pour le Hilton.

Pauvre vieux ! Il avait dû vouloir réaliser la plus belle opération de sa vie… Malko frissonna, en se demandant si ce n’était pas lui qui l’avait condamné à mort, en lui rendant visite l’après-midi. On l’avait vu, et ceux qui étaient à l’arrière-plan de cette histoire s’étaient dit que le vieux ne résisterait pas à un interrogatoire sérieux. Ils avaient préféré ne pas prendre de risques. Comme avec Tabriz…

Mais quel était le lien entre ce vieux marchand du Bazar et le puissant général Khadjar ? Et pourquoi en voulait-on tellement à ce blé ? Même les Russes s’y mettaient !

Dans sa chambre, Malko ouvrit le paquet pris sur le cadavre et l’étala sur le lit. Il y avait d’abord un tas de factures crasseuses et de reconnaissances de dettes en persan. Malko parvint à les déchiffrer. Apparemment le vieux ne dédaignait pas de faire un peu d’usure… Puis quelques billets, une vieille photo d’un iman barbu, d’autres papiers sans importance et une feuille blanche pliée en quatre et presque propre.

Malko la déplia avec précaution. Elle était couverte de chiffres européens, avec des annotations en persan et en chiffres arabes. En colonne verticale, il y avait des chiffres de un à dix ; en face de chacun de ces chiffres, d’autres chiffres, accompagnés de lettres. Pour tenter d’y voir plus clair, Malko recopia la première ligne sur une feuille à en-tête du Hilton. Cela donnait :