Ils virent s’approcher un projecteur, vraisemblablement monté sur jeep. D’un coup précis Derieux l’éteignit. Aussitôt un feu violent frappa le wagon. Le bois se déchiquetait sous l’impact des balles et le blé encaissait le reste. Plusieurs armes automatiques tiraient.
— C’est Stalingrad, fit Derieux.
— Qu’est-ce qu’on va faire ? gémit Van der Staern. Si on tentait une sortie ?
— Avec deux pistolets contre des mitrailleuses ? Nous n’irions pas loin. Gagnons du temps. Si nous tenons un peu, ils n’oseront peut-être pas nous abattre en plein jour.
Accroupis dans le noir, les trois hommes scrutaient intensément l’obscurité. Leurs adversaires se tenaient prudemment à une cinquantaine de mètres.
Il y eut un autre déluge de feu. À plat ventre, Malko sentait les balles s’enfoncer tout autour de lui. Il sentait aussi le bras de Van der Staern trembler convulsivement.
Une voix métallique venant du dehors les fit sursauter. C’était un haut-parleur.
« Rendez-vous. Sortez du wagon les mains sur la tête, il ne vous sera fait aucun mal. »
L’annonce fut répétée en persan et en anglais puis le feu cessa.
Van der Staern se leva d’un bond.
— J’y vais. Je ne veux pas mourir ici.
— T’es dingue ! hurla Derieux. Ils vont te descendre comme un lapin.
Mais, avant qu’il ait pu saisir Van der Staern, celui-ci escalada le parapet de sacs et se laissa tomber par terre, hors du wagon. Puis il se mit à courir maladroitement, les mains croisées sur sa tête, tout en criant :
— Je me rends, je me rends. Je suis belge. Ne tirez pas.
Une longue rafale de fusil mitrailleur partit devant lui. Les balles frappèrent d’abord le sol, puis s’enfoncèrent dans le corps, en un pointillé mortel.
Il s’arrêta net, sembla se tasser sur lui-même et fit encore quelques pas, les bras ballants. Une nouvelle rafale secoua son corps impitoyablement. Il tomba lourdement sur le côté. De rage, Derieux tira deux fois dans la direction du FM.
— Les salauds. Il ne lui ont pas donné une chance.
— Ça va bientôt être notre tour, dit Malko sombrement.
Comme pour lui donner raison, une mitrailleuse prit le wagon en enfilade. De nouveau, ils plongèrent le nez par terre. Ils ne sentaient presque plus l’insupportable odeur.
Une explosion sourde secoua le wagon. Profitant du tir de la mitrailleuse, un soldat avait lancé une grenade. Le sac qui protégeait Malko se vida d’un coup, éventré. Instinctivement, l’Autrichien avança la main pour le rattraper. Elle s’enfonça dans le blé et rencontra un objet dur et long, comme un tuyau. Malko tira et ce qu’il tenait sortit du sac.
C’était un canon de mitrailleuse.
En un éclair, l’inscription qu’il avait lue sur la feuille trouvée sur le cadavre du marchand lui revint en mémoire. La première ligne disait : 12 MG 42 6 BZ 20 000 CA 30.
Des MG 42 ! Qu’il était bête ! C’était des mitrailleuses allemandes, avec vingt mille cartouches. Les six BZ, c’étaient des bazookas. Le blé servait à passer un important stock d’armes. Voilà pourquoi il était si précieux, et pourquoi Khadjar voulait s’en emparer !
Une joie sauvage envahit Malko.
— Mon vieux, nous sommes dans un véritable arsenal ! dit-il à Derieux.
En quelques mots, il lui expliqua ses déductions et lui montra le canon de la mitrailleuse.
— Faut trouver le reste, répliqua le Belge. Et vite !
Fiévreusement, ils éventrèrent les sacs. Leurs recherches ne furent pas longues. En cinq minutes, ils se trouvèrent à la tête de deux mitrailleuses et d’une pile de boîtes de cartouches.
Derieux jubilait :
— Qu’est-ce qu’on va leur mettre ! Ils ne s’attendent pas à celle-là. Si l’autre corniaud était resté, on lui en aurait donné une aussi…
— Attendez, cherchons encore. Vous savez vous servir d’un bazooka ?
— Ça m’est arrivé en Égypte.
Derieux vida un barillet en direction des autres, pour qu’ils ne s’inquiètent pas. Entretemps, Malko mettait à jour un superbe bazooka. Dans le sac voisin, il y avait un container avec quatre obus et les piles de mise à feu…
Ils mirent encore une dizaine de minutes pour s’équiper. Malko s’était passé autour du cou quatre bandes de mitrailleuses. Derieux en avait fait autant et maintenant il glissait une fusée dans le bazooka.
— Paré, dit-il enfin. Comment fait-on ?
— Il faut tenter une sortie, côté baraques. On aura le bénéfice de la surprise. Il y a certainement une bagnole dans le camp. Sinon on va s’engager dans un combat à pied, en rase campagne.
— Bon. J’ai repéré une mitrailleuse sur la jeep. J’essaie de me la payer. Ensuite on les arrose et on y va.
Ils engagèrent chacun une bande. Le claquement sec des culasses fit un bruit d’enfer.
— On y est ?
Derieux visa soigneusement. La silhouette de la jeep était assez visible. Il appuya doucement sur la détente du bazooka, en retenant son souffle.
Il y eut une flamme aveuglante, suivie d’une explosion violente, dont la lueur éclaira tout le champ de bataille. Malko eut le temps de voir les deux groupes de soldats qui cernaient le wagon.
Déjà, dans leurs rangs, la mitrailleuse crachait la mort. C’était une arme terrible. L’Autrichien la sentait tressauter dans sa main, tandis que la bande de cinq cents cartouches se déroulait sans à-coups. Presque sans viser, il balayait le sol devant lui. La jeep brûlait. Derieux avait fait mouche. Plusieurs Iraniens tombèrent. Les autres reculèrent en désordre. Un officier cria :
— Tirez ! Mais tirez donc !
La mitrailleuse de Derieux répondit. Par petites rafales courtes, il arrosait chaque groupe. Puis il lâcha une longue rafale sur les soldats qui s’enfuyaient.
— En avant ! cria Malko.
Les deux hommes sautèrent du wagon, chacun tenant son arme par la poignée supérieure. Malko fut surpris de la légèreté de la sienne. La MG 42 avait été étudiée par les Allemands en 1942 pour arrêter les vagues d’assaut russes et sa légèreté et sa cadence de tir sont proverbiales…
Les deux hommes parcoururent près de cent mètres sans essuyer un coup de feu. Ils dépassèrent la jeep en feu et parvinrent à un groupe de bâtiments en bois. Ils se laissèrent tomber par terre et regardèrent l’espace éclairé devant eux.
C’était une sorte de cour de caserne bordée de bâtiments en bois. Leurs adversaires étaient à l’autre bout. Ils eurent à peine le temps de mettre leurs mitrailleuses en batterie. Un officier, revolver au poing, surgit à vingt mètres, suivi d’une douzaine d’hommes.
— À moi, murmura Derieux.
La MG 42 cracha de courtes flammes. La rafale balaya les soldats. L’officier tomba le premier. Les autres refluèrent, laissant plusieurs corps par terre. Derieux finit de vider sa bande et en changea rapidement.
— Il faut trouver une voiture, dit Malko. Continuons.
Derrière eux, plusieurs coups de feu claquèrent. Le second groupe venu de l’extérieur s’était reformé et arrivait dans leur dos. Malko retourna son arme et envoya une longue rafale au jugé. Il écoutait avec volupté le bruit de crécelle. Pauvre Van der Staern !
Les deux hommes repartirent, courbés en deux, et traversèrent l’espace découvert.
Après, il y avait une longue allée sans lumière, avec au fond un lampadaire ; le poste de garde, sans doute.
— Allez-y, fit Malko. Je vous couvre.
Il s’allongea derrière un arbre et attendit.
Derieux partit en courant. Devant la baraque où on les avait reçus dans l’après-midi, trois camions et une jeep étaient garés.