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— Khadjar a fait d’une pierre deux coups, murmura Derieux. Il a préparé l’opinion pour son coup, en soulignant les dangers que les communistes font courir au pays, et il a liquidé les modérés qui auraient pu s’opposer à lui.

— Heureusement que j’ai les dollars et le plan !

— Vous pouvez être sûr qu’en ce moment le cadavre du gars blond est en train de se dissoudre dans de la chaux vive. C’était la seule preuve tangible, et encore !

Le Hilton était gardé par un groupe de soldats avec une mitrailleuse. Ils toisèrent le chauffeur, pleins de soupçons, puis se déridèrent en voyant des Européens.

— Attendez-moi, en bas, dit Malko. Je vais chercher mes petits trésors et je reviens.

Rien n’avait bougé dans la chambre. Il prit sa valise et redescendit. Derieux avait déjà un taxi. Arrêtés à trois cents mètres de chez le Belge, ils continuèrent à pied.

Dès qu’ils furent entrés, Derieux prit la valise et disparut. Il revint dix minutes plus tard, alors que Malko en était à sa troisième vodka.

— Maintenant vous pouvez être tranquille.

— Où l’avez-vous mise ?

— Il y a une petite cache au fond de ma citerne. J’ai mis votre valise dans un sac étanche en caoutchouc, et j’ai rempli la citerne. Il y a maintenant trois mètres d’eau par-dessus votre fortune.

— Très bien.

L’esprit tranquille, Malko partagea le repas du Belge : des filets d’esturgeon. La radio donnait sans cesse des informations concernant les émeutes. On se battait encore. Derieux eut un coup de fil.

— Il paraît qu’on a creusé des tranchées au bulldozer pour enterrer les cadavres, annonça-t-il. Khadjar ne fait pas le détail.

— Vous croyez que c’est vrai ?

— Plutôt au-dessous de la vérité. On ne saura jamais combien on a tué de gens aujourd’hui. Et ce n’est pas Khadjar qui nous le dira.

À dix heures, Malko rentra se coucher. Des lueurs rouges éclairaient encore le sud de la ville. Des maisons brûlaient. Le Hilton était bien rassurant, après tous les cadavres de la journée.

Malko s’endormit du sommeil du juste.

CHAPITRE IX

C’est encore le téléphone qui le réveilla. La voix de son ami russe était anxieuse.

— Camarade Malko, il faut que je vous voie immédiatement. Je suis en bas dans le hall. Puis-je monter ?

— D’accord. La clef sera sur la serrure.

Malko n’eut que le temps de se donner un coup de peigne. Après avoir frappé discrètement, son interlocuteur de la veille entrait et posait son chapeau sur la table.

— Vous savez que vous êtes surveillé ? fit Malko.

L’autre sourit modestement.

— Bien sûr, mais nous y sommes habitués. Vous avez vu le chah ?

— Non.

— Khadjar ?

— Non plus. Schalberg. Il m’a expliqué que vous vous prépariez à prendre le pouvoir, grâce à des armes de contrebande.

— Le général est trop optimiste. Je voudrais qu’il dise vrai. Mais il y a autre chose de plus urgent. Savez-vous que le chah a failli être assassiné hier ?

— Comment cela ?

Le Russe alluma une cigarette et s’assit sur le lit. Malko prit le fauteuil en face. À ce moment on frappa à la porte.

— C’est pour moi. Enfin, pour vous ! dit le Russe.

Malko alla ouvrir. Une femme de chambre apportait un gros paquet. Elle le lui tendit et s’en alla. Cela ressemblait à un petit sac de pommes de terre, qui pesait bien six ou sept kilos. Il y avait une étiquette avec le nom et le numéro de chambre de Malko.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ouvrez, répondit le Russe en souriant. C’est un cadeau pour vous.

Malko défit l’emballage. Il y avait un sac en plastique avec une fermeture Éclair. Il la fit glisser. Le sac était plein de farine, d’une blancheur immaculée.

— C’est une partie de votre fameuse « farine » que nous avons pu nous procurer, déclara le Russe. Elle ne vous était pas destinée.

— Pourquoi m’apporter cela ? Cette farine n’a aucune importance. C’est ce qui était dedans qui comptait.

Le Russe sourit mystérieusement.

— Voulez-vous faire une expérience ? Prenez une pincée de cette farine, très peu, mettez-la sur une feuille de papier sur l’appui de votre fenêtre et allumez le coin de cette feuille avec, mettons, votre briquet.

Intrigué, Malko se conforma aux prescriptions du Russe et se recula un peu, après avoir allumé le papier.

La flamme atteignit la farine : il y eut une violente explosion ; la vitre vola en éclats. Malko fit un saut en arrière. Le Russe n’avait pas bougé et souriait.

— Alors, monsieur SAS ?

— Qu’est-ce que c’est que cette farine ? Vous n’allez pas me faire croire que cet explosif est notre farine !

— Pas toute. Mais une petite partie de la farine pourrie de feu M. Van der Staern n’est autre, en effet qu’un violent explosif. Qui plus est, de fabrication américaine…

— Américaine ?

— Absolument. Il y a quelques années, durant la guerre, vos services secrets avaient demandé qu’on leur mette au point un explosif ressemblant à s’y méprendre à de la farine, afin d’échapper aux fouilles de la Gestapo[2]. Vous en avez devant vous un exemple : le contenu de ce sac ne ferait peut-être pas un pain très croustillant, mais creuserait un entonnoir à la place de cet hôtel.

— Pourquoi me l’avoir apporté ?

— Pour que vous ne mettiez pas en doute ma parole.

— D’où vient cette farine ?

— Je ne sais pas. Probablement d’un stock de guerre demeuré en Europe, que l’acheteur d’armes a joint au lot. En revanche, je sais où elle allait. Ce sac devrait se trouver depuis hier sur le bureau du chah. Il était censé contenir un échantillon du blé le plus pur des provinces du nord, en hommage au souverain. C’était une présentation des produits de l’agriculture iranienne.

Un officier d’ordonnance aurait tiré la fermeture Éclair du sac, afin que le roi puisse voir la blancheur de neige de cette farine royale. Et toutes les personnes présentes se seraient retrouvées transformées en chaleur et en lumière, ainsi que le Palais de Marbre. Il n’y aurait pas eu assez de morceaux du chah pour remplir un cercueil d’enfant.

— Comment ? Cette farine n’explose pas spontanément !

— Non. Mais la fermeture Éclair était reliée à ceci.

Le Russe montra un objet, ressemblant à un crayon, qu’il avait tiré de sa poche : un détonateur.

— C’est un détonateur à traction, confirma le Russe. Cela fonctionne très bien.

— Et alors, que s’est-il passé ? Comment avez-vous cela entre les mains ?

— Je ne peux pas vous le dire. Nous avons quelques hommes à nous dans l’entourage du chah. Cette fois ils se sont montrés utiles. Nous savions que quelque chose se tramait. C’est un peu grâce à vous que nous avons pu déjouer cet attentat. Vous nous avez permis de découvrir une piste qui nous manquait. Si vous regardiez la liste des personnalités présentes à cette touchante cérémonie, vous vous apercevriez qu’il en manquait une, excusée au dernier moment. On peut avoir ses convictions, sans être héroïque pour cela.

— Ce n’est pas donné à tout le monde, coupa doucement Malko, devant l’air ironique du Russe.

— Chez nous, reprit-il, la personne chargée de convoyer un objet de ce genre l’aurait suivi jusqu’au bout. Ainsi, en cas d’enquête, on ne peut soupçonner personne… Bref, revenons à nos moutons. Nous avons pu subtiliser cette dangereuse farine et la remplacer par de la vraie. La valise que l’on vient de vous apporter – c’était trop dangereux de le faire moi-même – contient le stock complet. Ne le jetez pas par la fenêtre, vous risqueriez de ne pas avoir le temps de descendre avant de recevoir le Hilton sur la tête…

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2

Absolument authentique.