Coup de chance : Saadi n’était plus seule ! Deux garçons conversaient avec elle. Malko lui tendit son verre :
— Voilà votre drink, Saadi. Vous me retrouverez à l’intérieur.
Avant qu’elle n’eût le temps d’ouvrir la bouche, il avait disparu.
Tania était toujours très entourée. Cette fois, il n’y alla pas par quatre chemins. Il fendit le petit groupe et s’approcha :
— Vous voulez danser, Tania ?
En même temps, il lui prit la main et l’entraîna irrésistiblement loin de ses rivaux.
— Vous êtes affreusement mal élevé ! souffla Tania, quand il la prit dans ses bras.
— Moi ? Je vous ai seulement invitée à danser.
— Et vous ne m’avez pas laissé le choix.
— C’est un risque qu’il ne faut jamais prendre avec une femme.
Elle rit, mais continua à se tenir très droite et loin de lui. Avec une patience infinie, Malko, à la faveur de l’obscurité, entreprit de lui mordiller le bout de l’oreille droite. Elle se raidit un peu, mais laissa faire.
— Je suis heureux de vous retrouver, murmura Malko. Mais quand tous ces gens vont-ils partir ?
Tania sursauta :
— Quels gens ? Les invités, vous voulez dire ? Mais ils sont venus me voir eux aussi, figurez-vous !
— Quelle horreur ! soupira Malko. Je pensais que nous ne serions que deux : vous et moi.
— Vous êtes fou !
Il n’y avait pas beaucoup de conviction dans sa voix et Malko commençait à sentir que le corps de sa danseuse épousait le sien beaucoup plus étroitement. Profitant d’un coin d’ombre, il lâcha l’oreille et effleura de ses lèvres la bouche de la jeune fille. Elle frémit et ne dit rien.
Cinq minutes plus tard, c’est elle qui l’embrassait, aussi passionnément que la première fois. Ils s’étaient arrêtés au milieu des autres couples et oscillaient comme des ivrognes, soudés l’un à l’autre. Elle lui rendait son étreinte de toutes ses forces. Le désir de Malko s’était réveillé d’un coup. Il en avait presque mal.
Il se recula pour reprendre sa respiration. Les beaux yeux verts étaient noyés. Le bassin en avant, elle était tout entière tendue vers lui. Il mourait d’envie de la prendre là, tout de suite.
— Venez, murmura-t-il. Faites-moi visiter votre maison.
Elle sursauta.
— Impossible ! Pas maintenant ! Je ne peux pas laisser mes amis. Attendez.
Elle l’embrassa, pour l’empêcher de protester. La langue tournait autour de la sienne comme une bête vivante. Elle lui caressait lentement le dos et il sentait les ongles le griffer légèrement à travers le mince tissu de son complet. On n’aurait pas passé une feuille de papier à cigarettes entre leurs deux corps.
Un mauvais plaisant mit un twist et les couples s’écartèrent un peu, pour sauver les apparences. Tania se mit à danser à deux mètres de lui, donnant des coups de hanche comme une négresse en délire. Malko eut encore plus envie d’elle. Elle était belle, animale et jeune.
Autour d’eux, on flirtait avec autant de passion.
Malko commençait à comprendre pourquoi un célèbre médecin de Téhéran avait amassé une fortune considérable en refaisant des pucelages aux jeunes filles de bonne famille, dans ce pays où une fille ne se marie que vierge…
À part quelques malheureuses très laides, qui se bourraient de pistaches sur les divans, et les petits groupes de joueurs, tous les couples qui étaient là se préparaient visiblement à faire l’amour ; quand déjà, ils ne le faisaient pas…
Malko en avait assez de la station verticale. Il entraîna Tania jusqu’à un divan libre, rafla au passage deux coupes de Champagne et s’installa confortablement.
Tania s’était presque étendue, il en profita pour glisser la main le long de sa jambe, jusqu’à l’endroit où le bas s’arrêtait. Elle gémit :
— Arrêtez !
Mais elle ne lâcha pas le cou de Malko. La robe légèrement relevée au-dessus du genou, elle était vraiment très excitante. Malko remarqua que dans le dos le fourreau de soie était coupé d’une interminable fermeture Éclair, facile à défaire.
Un domestique passa tout près d’eux pour enlever les cendriers pleins. Il n’eut pas un regard pour la jeune fille, offerte sur le divan. Lui et dix de ses pareils circulaient au milieu des couples enlacés, enlevant les verres, renouvelant les boissons, nettoyant, silencieux, muets et absents comme des fantômes. Toute cette dépravation mondaine les laissait indifférents. Ils n’auraient jamais d’aussi belles femmes, alors à quoi bon rêver ? Et, en cas de révolution, ils seraient cent pour en violer une…
— Je voudrais vous faire l’amour dans cette robe, murmura Malko à l’oreille de Tania.
— Quelle drôle d’idée ! souffla-t-elle.
Elle rit un peu et glissa une main dans la chemise de Malko.
Lui ressentait l’exaltation qui le prenait chaque fois qu’il allait avoir une femme dont il avait eu très envie et qu’il allait ainsi gagner son pari contre lui-même. Tania, il l’avait « sentie », comme un dresseur tâte un fauve. Il avait tout de suite pensé qu’il ferait l’amour avec elle. Sans savoir comment ni où. Ce n’était pas de la fatuité mais une sorte de sixième sens, qui le trompait rarement. Maintenant qu’il la tenait pantelante entre ses bras, il jouissait délicieusement de sa victoire virtuelle sur cette fille si inaccessible en apparence.
Tania se coula encore un peu plus contre lui. Elle l’embrassa et murmura :
— Il faut que je vous quitte. On parle vite, ici à Téhéran. Je vous rejoindrai après. Si vous vous ennuyez, dansez un peu avec Saadi, la pauvre. Elle est toute seule ce soir, je crois…
Quelle vipère !
La jeune fille passa dans une autre pièce, et Malko ferma les yeux, étendu sur le divan. La soirée était aussi agréable qu’il l’avait escompté. C’était amusant, que la petite Saadi soit là ! Cela donnait encore plus de piquant à l’affaire.
Autour de lui, les couples s’en donnaient à cœur joie. Il y en avait de moins en moins, d’ailleurs ; ils disparaissaient un à un ; à croire que la maison avait cent cinquante chambres… Malko essaya d’apercevoir Saadi. En vain. Le père devait décourager les éventuels amateurs d’un flirt trop poussé.
Tania revint. Elle était encore allée se parfumer. Elle s’allongea contre Malko et l’embrassa longuement.
— Encore un peu de patience, dit-elle. Ils seront bientôt presque tous partis. Nous partirons à notre tour.
— Où irons-nous ?
— À cent mètres d’ici, il y a une petite maison, où nous hébergeons parfois. Elle est vide en ce moment ; nous y serons plus tranquilles qu’ici à cause des domestiques.
Tout cela semblait parfait. Malko avait de nouveau terriblement envie de Tania et le lui fit sentir. Cette fois, elle ne se déroba pas.
— Je partirai la première, et tu me suivras, murmura-t-elle à son oreille. Pour sauver les apparences. Viens.
Comme pour l’encourager, elle le tutoyait.
Elle se leva, alla jusqu’au buffet, échangea quelques mots avec un couple qui dansait et sortit sur la terrasse. Il faisait frais et tous les invités étaient rentrés. Tania demeura quelques instants appuyée au rebord de pierre, puis brusquement, disparut aux yeux de Malko, comme happée par l’obscurité. Il avança à son tour et découvrit que la terrasse se terminait sur un escalier descendant dans le jardin.
Il s’engagea à son tour et suivit une allée de gravier. Il s’arrêta un instant : devant lui s’éloignaient les pas de Tania.
Rassuré, il se hâta de la rattraper. Le sentier serpentait entre de grands arbres. Soudain Malko se trouva au pied d’un bâtiment noir. Tania l’appela à voix basse :