Son cri se confondit avec une explosion sourde. La baïonnette de Khadjar sembla s’envoler, frappa le mur et retomba sur le lit. Le général jura et porta la main à sa ceinture.
— Levez les mains, Général. Et ne bougez plus.
Malko n’en crut pas ses oreilles. C’était la voix de Derieux !
Il tourna la tête. Le Belge était debout dans l’encadrement de la porte. Dans chaque main, il avait un colt 38, terminé par une sorte de gros cylindre ressemblant à une boîte de conserve : un silencieux.
— Levez-vous et placez-vous face au mur, ordonna Derieux au général. Et ne jouez pas au petit soldat.
Rapidement il vint jusqu’au lit, et, ramassant la baïonnette, scia les liens qui attachaient les jambes de Malko.
— Mes mains, dit Malko. J’ai des menottes. Il faut trouver les clefs. Comment êtes-vous là ?
— Plus tard, répondit Derieux. Les clefs doivent être sur un des deux types qui étaient dans la pièce à côté. Vous, dit-il au général, passez devant et marchez lentement, sinon…
Il sortit, avec un clin d’œil à Malko. Trois minutes plus tard, il était de retour, toujours poussant le général devant lui. Il n’avait plus qu’un colt à la main. De l’autre, il tenait un trousseau de clefs.
— Détachez-le. Sans mouvements brusques.
Il jeta les clefs sur le lit. Khadjar hésita une fraction de seconde, puis prit les clefs et chercha à tâtons la menotte. Son visage était absolument impassible.
Malko se redressa avec un soupir. Il n’avait jamais été aussi près de terminer sa carrière…
— Reculez-vous et mettez-vous contre le mur.
La voix de Derieux était froide et sans passion, mais les deux autres sentaient qu’il n’hésiterait pas à tirer. Il tendit sa seconde arme à Malko.
— Prenez-le. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Pour arriver jusqu’ici, j’ai dû liquider trois clébards. Plus les deux types de la pièce à côté.
— Attention ! Il y en a un troisième. Il est dans le parc, en train de creuser ma tombe.
Le Belge sourit en coin.
— Elle va servir quand même. Attendons-le.
Ils poussèrent Khadjar dans un coin. Malko resta derrière lui, l’arme à vingt centimètres de son dos. Derieux se mit de l’autre côté de la porte, de façon que le battant le cachât en s’ouvrant.
L’attente ne fut pas longue. Ils entendirent des pas et la porte s’ouvrit.
— Général…
L’homme ne continua pas sa phrase : il avait vu le lit vide.
Il se précipita, en tirant de sa ceinture un pistolet. Il y eut un « plouf » sourd ; l’homme s’arrêta, comme frappé par la foudre, et s’effondra en pivotant sur lui-même. La balle de Derieux l’avait touché en plein dans les reins. Le Belge tira une seconde fois, sur le corps par terre, qui eut un sursaut. Un autre trou apparut dans la chemise.
— Et de trois, fit Derieux.
— Il est temps de filer, dit Malko. On ne sait pas ce qui peut nous tomber dessus.
— J’ai une idée. Ce salaud-là a sa voiture. Elle va nous servir. On le prend avec nous. Moi je fais le chauffeur, et vous vous mettez à l’arrière avec lui. S’il bronche, vous l’assaisonnez en douceur. Avec nos engins, c’est discret. En avant !
— Vous avez entendu ? dit Malko.
Khadjar haussa les épaules.
— Vous êtes complètement stupides, tous les deux. Même si vous parvenez à sortir d’ici, vous n’irez pas loin. Et si vous me tuez, ce sera encore pire. Nous ne sommes pas en Europe, ici ! On ne sort pas d’Iran comme de Suisse. Vous devriez le savoir, monsieur Derieux.
Il se tut, puis reprit :
— Je vous laisse une dernière chance. Donnez-moi vos armes et je vous promets que vous aurez la vie sauve. Il faudra seulement que je vous garde quelques jours.
— Trêve de bavardage ! coupa Derieux. On s’en va et vous aussi. Je trouve que vous êtes une excellente assurance sur la vie… Pourtant, moi, pour récupérer une ordure comme vous, je ne donnerais pas cher.
Ils sortirent tous les trois. Une Chrysler noire était garée devant la maison. Derieux ouvrit la portière arrière et Malko s’installa. Le général monta à côté de lui, affectueusement poussé par le canon du colt de Derieux. Puis celui-ci se mit au volant.
La grosse voiture s’ébranla doucement. Au passage, Malko reconnut la terrasse où avait débuté son flirt avec Tania. La grande villa paraissait déserte. L’allée serpentait en pente douce à travers le parc. Ils arrivaient à la sortie. Derieux jura :
— Merde ! La grille est fermée. Et il y a des gardes.
— Normalement, ils doivent laisser passer le général sans difficulté, dit Malko. Et je pense que le général est assez intelligent pour ne pas nous créer une difficulté qui pourrait lui être fatale.
Khadjar ne répondit pas.
La Chrysler arrivait à la grille. Derieux stoppa doucement. Un garde en uniforme s’approchait, la mitraillette braquée sur le conducteur.
— Le général est pressé, grogna le Belge en persan. Ouvrez vite la grille, idiot !
L’homme se mit au garde-à-vous. Il allait parler, lorsque Khadjar hurla :
— N’ouvre pas ! Tire, tire !
Il y eut une seconde de flottement, pendant laquelle il se passa beaucoup de choses. Khadjar ouvrit la portière et bondit, roulant par terre, hors de la voiture. Le soldat arma sa mitraillette. Derieux essaya de sortir son arme. Malko tira deux fois au moment où le soldat lâchait sa rafale. Les deux coups frappèrent l’homme en pleine poitrine, et il tomba. La volée de balles balaya la voiture, les glaces arrière s’étoilèrent et Derieux poussa un cri.
Malko tira encore, sur Khadjar. Il y eut un bruit sec. Le barillet du revolver était vide. Khadjar se releva et détala en zigzags dans le parc, appelant à l’aide.
Le second garde jaillit de la guérite. Derieux avait appuyé le silencieux de son arme sur la glace baissée ; il tira deux fois. Une des balles frappa à la gorge l’homme qui s’effondra. Malko bondit de la voiture et ouvrit la grille. Il remonta à côté de Derieux.
C’est à ce moment qu’il vit une grande tache rouge sur la chemise du Belge.
— Vous êtes blessé ?
— Ça va, fit Derieux, d’une voix sourde. C’est le premier type. J’en ai pris une dans le cou. Je ne peux pas tourner la tête. Mais ça ne doit pas être trop grave.
Ses mains, sur le volant, étaient toutes blanches. La douleur, petit à petit, irradiait dans tout son visage. Une balle de neuf millimètres, ça fait du dégât.
— Je vais conduire, proposa Malko.
— Non. Vous ne connaissez pas la route. Il faut faire fissa, pour redescendre en ville avant que Khadjar n’alerte tout le monde. Heureusement qu’ils n’ont pas de voitures radio, et qu’ils sont plutôt lymphatiques ! Parce qu’il n’y a que deux routes. De l’autre côté, c’est la montagne.
— Où voulez-vous aller ?
— Nous planquer. Avant tout. Khadjar va retourner la ville pour nous rattraper. Plutôt morts que vifs.
— Et encore, vous ne savez pas tout ! Malko lui raconta rapidement ce qu’il avait appris. Pendant ce temps, Derieux descendait à tombeau ouvert vers Téhéran. Ils passèrent devant l’hôtel Darban et prirent l’avenue Pahlavi.
— Dans ce cas, conclut le Belge, ils vont nous tirer à vue. Pour Khadjar et les autres, c’est une question de vie ou de mort. Nous ferions bien de sortir du pays avant qu’il ne prenne le pouvoir. Parce que là, on est cuits. Le mieux c’est de filer en Russie par la Caspienne. À Babolsar, je connais un pêcheur clandestin d’esturgeons. Il a un bon petit bateau. On s’arrangera toujours avec les Russes. J’ai des relations.