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Malko fut envahi d’une rage folle.

On allait tuer le chah quasi sous ses yeux, et il n’y pouvait rien ! Khadjar et Schalberg devaient se frotter les mains : rien ne pouvait plus les arrêter. Leur plan était sans parade. Schalberg était trop bon technicien pour avoir laissé quoi que ce soit au hasard.

Avec deux cents kilos de super TNT, il ne resterait rien du chah et de ceux qui l’entouraient. La prise de pouvoir serait un jeu d’enfant. Quant à Malko, il lui arriverait certainement un accident avant qu’il parvienne à sortir du pays : une sentinelle qui tire trop vite ou une tentative d’évasion. Quitte à faire ensuite des excuses au gouvernement américain…

Malko sourit amèrement : on n’a jamais déclaré une guerre pour venger une barbouze. Cela vaut tout juste un reproche poli !

Ça l’agaçait, de se faire tuer dans ce pays, loin de tout ce qu’il aimait. Il fallait tenter quelque chose. A pied dans cette grande avenue, il se sentait nu et désarmé.

Il regarda sa montre : midi. La parade commençait à deux heures. L’attentat aurait certainement lieu au début, avant deux heures trente.

Il restait cent vingt minutes pour sauver le chah.

Ça lui donna l’idée de voler une voiture. Pour pouvoir au moins se déplacer. Confronté avec une difficulté pratique, Malko retrouva immédiatement son moral.

Derrière lui, à cent mètres, se trouvait le Park-Hotel. Malko rebroussa chemin et entra dans la cour.

Il y avait une dizaine de voitures à louer, avec chauffeurs, qui somnolaient à leur volant. C’était jour férié, et les businessmen du Park-Hotel n’avaient pas besoin de se déplacer.

Malko repéra une Chevrolet noire de l’année précédente, qui paraissait en bon état. Elle n’avait qu’une longue balafre sur le pare-brise.

Il entra dans l’hôtel et se dirigea vers le bar, qu’il trouva vide. Revenant à la réception, il demanda à la téléphoniste, boulotte et souriante, le numéro privé de l’ambassadeur des États-Unis.

La cabine était en face de la réception. Malko s’y enferma et décrocha.

— Befar me, fit une voix iranienne à l’autre bout du fil. Malko demanda à parler à l’ambassadeur. Personnellement.

Le domestique alla demander conseil et revint.

— Son Excellence vient dans une minute.

Malko attendit, le cœur battant.

— Kiljoy speaking, annonça une voix mâle.

— C’est SAS, Malko Linge, Excellence. Il faut que je vous parle immédiatement.

L’ambassadeur eut un soupir excédé :

— Écoutez, mon vieux, je pars dans cinq minutes pour la réception officielle du chah. Je n’ai pas le temps. Je sais que vous êtes dans un sale pétrin, mais c’est de votre faute. Le général Khadjar a lancé un mandat d’arrêt contre vous. Vous avez, parait-il, tenté de l’assassiner, avec la complicité d’un vague tueur à gages, qui est recherché aussi. C’est de la démence. Constituez-vous prisonnier, je verrai après ce que je peux pour vous…

Malko se domina.

— Excellence, c’est Khadjar qui a failli m’assassiner. Oui ou non, savez-vous que j’accomplis ici une mission secrète pour le compte du président des États-Unis ?

Il avait martelé les derniers mots.

— C’est vrai, concéda l’ambassadeur, mais…

— Vous ai-je montré ma lettre de mission, oui ou non ?

— Oui.

— Bien. Ces papiers me donnent le pouvoir de requérir l’aide de n’importe quel fonctionnaire du gouvernement américain. Vous en êtes un.

— D’accord, seulement, je ne peux pas vous mettre à l’abri des lois de ce pays. Surtout vis-à-vis du général Khadjar, un de nos amis les plus sûrs.

Malko comprit qu’il ne sortirait rien de ce côté-là. Schalberg était passé par là.

— Ne parlons pas de cela pour l’instant. Je vous demande… il se reprit… je vous donne l’ordre, au nom du président des États-Unis, de contacter immédiatement le chah et de l’avertir qu’un attentat va être perpétré contre lui tout à l’heure.

— Un attentat ? Sous quelle forme ? Le chah est mieux gardé que notre président.

— Sous une forme qui réussira. Je ne peux rien vous dire de plus pour l’instant.

Malko ne voulait pas trop donner l’éveil à Khadjar. Le vieux général risquait de remettre purement et simplement l’attentat, s’il se sentait trop découvert. Et alors, bernique ! On expulserait Malko, et tout recommencerait un mois plus tard.

— Écoutez, reprit l’ambassadeur, vous m’avez déjà parlé de cela. Je ne mets pas en doute votre qualité. Mais ce n’est pas la première fois qu’un agent de renseignements se fait refiler un tuyau crevé. J’ai encore abordé ce sujet, il y a moins de quarante-huit heures, avec le général Schalberg, qui dirige notre CIA, ici, depuis douze ans.

« Il m’a affirmé que tous ces bruits de complots et d’attentats étaient des canards sans fondements, lâchés par nos amis russes. Il scanda ses mots. Schalberg n’est pas un imbécile, et il s’y connaît. De plus, il est très lié avec le général Khadjar, qui n’ignore rien de ce qui se passe dans ce pays. Avec la caution de ces deux hommes, je suis parfaitement tranquille. Vous vous êtes laissé intoxiquer par les communistes. Schalberg me l’a dit. Je ne vais pas aller faire rire le chah avec une histoire pareille. On en ferait des gorges chaudes pendant dix ans.

Malko bouillait de rage.

— Excellence, que diriez-vous d’un bon petit poste à Oulan-Bator, en Mongolie extérieure ?

— Pourquoi dans ce bled ?

— Parce que c’est tout ce que vous méritez. Et si je suis encore vivant ce soir, c’est là que je vous ferai expédier.

Sur ces paroles vengeresses, il raccrocha.

Une chance de moins !

La petite téléphoniste boulotte le regardait en souriant. Cela lui donna une idée.

— Je voudrais téléphoner en Amérique, annonça-t-il.

— En Amérique ? Attendez, je vais demander à la poste à quelle heure il y a des circuits.

Elle s’affaira sur son standard et entreprit une longue conversation avec sa collègue de la poste. Puis elle se tourna vers Malko.

— Il n’y a pas de circuits aujourd’hui. Si vous me donnez votre numéro, on peut essayer demain matin. Mais ce n’est pas sûr. Ce n’est pas très bon, en ce moment.

Malko haussa les épaules, découragé.

— Tant pis, merci.

S’il avait pu joindre la CIA de Washington, il y avait une chance sur un million de toucher le chah.

Il sortit du hall. La Chevrolet était toujours là. Il se dirigea vers elle. Le chauffeur, tout sourire, sortit précipitamment pour l’accueillir.

— Je veux louer votre voiture, dit Malko. Elle marche bien ?

L’autre assura que oui et, se remettant à son volant, fit ronfler son moteur.

— Bon. Allez chercher mes bagages, ils sont chez le portier.

L’autre se précipita. Malko le laissa entrer, ouvrit la portière et s’installa devant le volant. Les clefs étaient au tableau de bord. Il n’eut qu’à tourner le démarreur…

Le chauffeur ressortit du Park-Hotel alors que Malko s’engageait dans la Ferdowsi, salué par le portier de l’hôtel. Un moment médusé, le chauffeur s’élança en hurlant derrière sa voiture. Les autres le regardaient ahuris : on avait vu beaucoup de choses au Park, mais jamais encore un client voler une voiture.

Malko traversa la Chah-Reza. Personne ne le suivait. Il avait tablé sur la paresse des Iraniens. Évidemment, le malheureux chauffeur allait communiquer à la police le numéro de la Chevrolet ; mais, le temps que les sbires se mettent en branle, ce n’aurait plus beaucoup d’importance. La circulation était fluide. Malko grimpa rapidement vers Chimran, atteignant la rue Soraya en dix minutes. Il voulait vérifier quelque chose.