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— Non. Si nous dormions ?

— Quoi ?

— Vous allez m’être utile. Puisque vous avez envie de connaître le frisson de l’aventure, vous allez être servie. Ceux qui ont tenté ce soir de s’emparer de cet argent ne vont pas s’arrêter là. Ils n’ont que jusqu’à demain matin. Or l’hôtel n’a pas de coffre. Et je n’ai plus mon pistolet. Ici, personne ne viendra me chercher. Du moins je l’espère.

— Mais où allez-vous dormir ? Il n’y a qu’un lit.

— Je n’ai pas la tête à la bagatelle. Et je suis crevé. Vous refusez ?

— N… non.

— Bon. Aidez-moi.

A eux deux, ils poussèrent l’armoire devant la porte et la calèrent avec la table.

— Je vais prendre une douche, dit Malko. Couchez-vous.

Quand il sortit de la salle de bains, on ne voyait plus que les cheveux de la jeune Allemande. Il se glissa dans le lit à côté d’elle. Ostensiblement, elle lui tourna le dos, en murmurant un « bonsoir » boudeur. Ils se touchaient presque, et Malko pouvait sentir le parfum de la jeune femme.

Il n’avait pas sommeil. Les événements des deux derniers jours tournaient dans sa tête déjà fatiguée.

Tout avait commencé par un coup de téléphone, dans sa maison de Poughkeepsie, près de New York. C’était le chef de la CIA pour le Moyen-Orient.

— Est-ce que vous pouvez venir déjeuner à Washington demain ?

La question rituelle. Malko avait besoin d’argent ; la réfection de son château lui coûtait une fortune. Il fallait terminer la toiture de la tour est avant l’hiver. Trente mille dollars… Ce château, qui avait appartenu jadis à sa famille était la seule raison de vivre de Malko. Il l’avait racheté pour une bouchée de pain, avant la guerre. Seulement tout était à faire. C’est pour cela qu’il travaillait pour la CIA.

On l’appréciait à Washington ; pour deux raisons. D’abord, il avait une mémoire fabuleuse. Trente ans après, il se souvenait du prénom d’une personne rencontrée cinq minutes. Ensuite, grâce à ce don, il parlait pas mal de langues bizarres, comme le turc ou le persan.

Enfin il haïssait tout ce qui était communiste, parce que les Russes avaient annexé le parc de son château, en y faisant passer le Rideau de fer.

Mais il restait encore le bâtiment principal. C’est pour cela que Malko fut exact, le lendemain, dans un petit restaurant de la tranquille rue N. William Mitchell était déjà là. Le repas se passa paisiblement. Au café, Mitchell dit :

— Mon cher Malko, je suis dans un merdier épouvantable.

L’Autrichien rit.

— Quelle misère vous ont encore faite nos amis de Moscou ?

— Eux, rien.

— Les Chinois alors ?

— Non. Pire.

— Vous n’êtes pas encore arrivés sur la lune, pourtant. Et de Gaulle a pris sa retraite.

— Écoutez, ce que je vais vous dire est tellement secret que nous devrions aller au milieu du désert du Nouveau-Mexique pour être en paix.

« Il y a deux jours j’ai été convoqué par le Président. Il venait de recevoir de Moscou une communication ultra-secrète, par le fameux téléphone rouge. Les services de renseignements soviétiques l’avertissaient que les responsables de la CIA à Téhéran préparaient une bonne petite révolution, avec, à la clef, l’assassinat du chah et son remplacement par un homme à eux.

— Simplement !

— Attendez ! Les Russes ne se sont pas bornés à lui donner ce tuyau. Ils ont clairement fait comprendre que si l’on ne mettait pas bon ordre à cela, ils considéreraient le renversement du chah comme un acte d’agression et profiteraient de leur traité de 1948 pour envahir le nord de l’Iran ; ensuite, ils tireraient la conclusion que lui, Président des États-Unis, n’avait pas le contrôle de ses services. Vous voyez d’ici les conséquences…

« Le Président était fou furieux. Il m’a donné quinze jours pour tirer l’histoire au clair, et agir, si besoin est.

« Or, je suis coincé. Le type qui est en poste à Téhéran est le général Schalberg. Un dur. C’est lui qui a renversé Mossadegh en 1952. Il connaît l’Iran comme sa poche.

— Pourquoi ne le rappelez-vous pas ?

— Difficile ! On n’a aucune raison valable. S’il sent le vent et que l’histoire soit vraie, il risque de créer un incident. Et alors…

— Et si c’était une astuce des Russes ?

— Possible. Schalberg est une de leurs bêtes noires. Ce serait un moyen astucieux de le mettre sur la touche. Et on ne pourrait jamais rien prouver, puisqu’on l’aurait prétendument empêché de faire son coup. Seulement c’est un risque qu’on ne peut pas prendre.

— Alors qu’est-ce que vous voulez de moi ?

— Que vous alliez à Téhéran.

— Demander poliment à Schalberg s’il se prépare à assassiner le chah, et moi avec ?

— Non. J’ai un prétexte pour votre voyage. Justement, à Téhéran, la CIA a besoin de fonds secrets. Vous savez que l’aide aux pays sous-développés ne passe pas toujours par les banques… C’est difficile, d’envoyer un mandat télégraphique de dix millions de dollars.

— Dix millions ! Il y a quelques canailles qui ne doivent pas être très sous-développées, à Téhéran !

— Ne m’en parlez pas. Il y a deux ans, un général valait dix mille dollars par an ; aujourd’hui il en vaut le double. Et on ne sait même pas ce qu’il commande réellement.

— Bref, comme c’est risqué d’envoyer une somme pareille par la valise diplomatique, personne ne s’étonnera qu’on emploie un courrier sûr et spécial.

— Et à qui sont destinés ces dix millions ?

— Au général Schalberg.

— Ah bien, parfait ! C’est une bonne carte de visite.

— Après, vous pouvez parfaitement passer une semaine de vacances en Iran…

— Mais, dites-moi, pour faire une révolution, il faut des armes et de l’argent…

— Justement. Ces fonds ont déjà une destination précise. Et ce n’est pas Schalberg qui les distribue. Nous lui tendons donc un peu la perche.

— La perche ou la potence ?

— Allons, pas d’humour noir. Vous êtes prévenu, c’est tout. Prenez vos précautions. Simplement, s’il vous arrive quelque chose, nous saurons que les Russes n’ont pas raconté des blagues.

— Bon. Et en admettant que vos petits camarades ne me bousillent pas, pour me prendre ces beaux dollars, qui va m’aider à débrouiller ce sac d’embrouilles ?

— Personne. Ce genre d’affaire est du ressort de Schalberg. Autant dire qu’il vaut mieux se passer de son aide. Le seul point de chute, c’est un journaliste belge qui travaille parfois pour nous et qui nous a donné de bons tuyaux quand il était en Égypte. Il s’appelle Jean Derieux et il bosse un peu pour tout le monde. Il vaut mieux ne pas avoir en lui une confiance illimitée, mais il connaît le pays et peut être utilisé à pas mal de choses.

— Je pourrais aussi demander un coup de main aux Russes. Au point où nous sommes ! Puisqu’ils en savent plus long que nous sur nos propres services…

— Contentez-vous de Derieux.

— Et après, qu’est-ce que je fais ? Je vous envoie Schalberg dans une caisse ?

— Vous avez carte blanche. Vous m’entendez : carte blanche. Si l’histoire est exacte, il faut empêcher à tout prix Schalberg de réaliser son projet. Même si vous devez… l’éliminer.

— Avant de rédiger mon testament, je voudrais savoir combien je laisse. Qu’est-ce que cette histoire va me rapporter ?

La discussion avait alors plongé dans des détails sordides. Avant son départ, Malko avait reçu la précieuse serviette noire. Jamais il n’avait vu autant d’argent. C’est triste d’être honnête, parfois.

Contrairement à ses habitudes, il avait pris une arme, un 38 police « offert » avec la serviette. William Mitchell l’avait accompagné à l’avion, pour lui donner ses dernières instructions.