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Le point grossissait. C’était un avion qui se préparait à atterrir à Mehrabad. Il volait très bas. On distingua bientôt ses quatre moteurs et ses marques d’identification : c’était un DC 8 de la Panamerican. Gracieusement, il amorça un virage, pour retourner vers le terrain, ayant perdu de l’altitude. La grande dérive en flèche laissa voir son cercle bleu, et l’aluminium de la carlingue brilla au soleil.

— Nom de Dieu !

Malko avait juré à haute voix et freiné brutalement. Un taxi l’évita de justesse ; le chauffeur éructa un torrent d’insultes.

Garé sur le côté de la route, Malko regardait fixement le DC 8 qui s’éloignait vers le sud. Probablement, Hildegard était à bord.

Il venait d’avoir une idée folle, délirante, à faire dresser les cheveux sur la tête. Mais ça pouvait réussir ! Il n’avait plus une minute à perdre.

Comme un fou, il déboîta et partit en faisant grincer ses pneus. L’avenue descendait en pente douce jusqu’au centre de Téhéran. Il y avait peu de circulation. La Chevrolet avait encore quelque chose dans le ventre. Elle bondit en avant, comme une Ferrari. Crispé au volant, Malko ne voyait même pas défiler les piétons affolés. Il fallait qu’il arrive à Mehrabad avant un quart d’heure.

Il doubla en troisième file une colonne de voitures, arrêtées au croisement du boulevard périphérique, et se faufila au rouge sous le nez du flic dans son mirador vitré. Ainsi, il évitait le centre de la ville et ses feux.

Maintenant il avait retrouvé tout son sang-froid. Il reprit la route de Mehrabad à hauteur d’un panneau publicitaire d’Air France : « Paris : 5,000 kilomètres. »

Encore huit kilomètres. Il n’y mit pas plus de cinq minutes. Heureusement il n’y avait pas un chat. Déjà les bâtiments de l’aérogare étaient tout près. En arrivant devant, il bifurqua à droite et se présenta à l’entrée du terrain. Une porte spéciale conduisait aux pistes. Elle était gardée par une sentinelle.

Celle-ci n’eut que le temps de faire un bond de côté. La Chevrolet était passée devant lui, à cent à l’heure.

Malko déboucha en plein devant l’aire de stationnement. Son cœur sauta. Le DC 8 était là, vomissant ses passagers en sages files. Et déjà les citernes à essence s’installaient sous les ailes. On déchargeait les bagages.

La Chevrolet stoppa pile en face de la passerelle de débarquement des premières, à l’avant de l’appareil. Plus personne ne descendait de là. En deux enjambées, Malko fut dans l’avion. D’abord aveuglé par le soleil, il ne vit rien.

— Malko !

C’était la voix d’Hildegard. Elle surgit du galley et sauta au cou de l’Autrichien.

— Qu’est-ce que tu fais là ? Comment as-tu pu venir jusqu’ici ?

— Où est le commandant de bord ?

Malko avait posé la question sur un ton tel qu’Hildegard le regarda, affolée.

— Mais… qu’est-ce qu’il y a ?…

— Je ne peux pas t’expliquer maintenant. Conduis-moi à ton commandant et présente-moi.

— Il est encore dans le cockpit, en train de faire son checking d’atterrissage. Attends un peu.

Sans répondre, Malko ouvrit la porte marquée « équipage ». Tout allait se jouer maintenant. Cela dépendait du genre d’homme sur lequel il allait tomber.

Le commandant fumait une cigarette, pendant que le second pilote finissait d’égrener la litanie des contrôles. Prenant Malko pour un passager qui venait jeter un coup d’œil sur les instruments, il lui sourit aimablement. Malko contourna le radio et s’approcha.

— Vous êtes le commandant de bord ?

— Oui.

Le pilote était un peu surpris mais il souriait toujours.

— Permettez-moi de me présenter : Prince Malko Linge, de la Central Intelligence Agency.

Cette fois, l’Américain sursauta. Il dévisagea Malko attentivement.

Malko lui tendit un papier.

— Lisez, je vous prie.

C’était la lettre du Président, accréditant Malko. Le visage du commandant se plissa légèrement. Malko l’observait. Une belle gueule de bagarreur, les traits un peu marqués d’un homme de cinquante ans, et l’air ouvert, intelligent. Probablement un ancien pilote militaire. Ses yeux étaient aussi bleus que la peinture extérieure de l’avion.

L’homme rendit le papier à Malko et le regarda bien en face.

— Eh bien, monsieur Linge, que puis-je pour vous ?

Malko prit son souffle.

— Décoller immédiatement, dès que le dernier de vos passagers aura quitté le bord.

— Décoller ?

— Oui. Ne gardez que l’équipage technique. Il peut y avoir des risques.

Cette fois le pilote le regarda avec inquiétude.

« Il doit me prendre pour un fou », se dit Malko.

— Vous rendez-vous compte de ce que vous me demandez ? Je suis responsable de mon avion envers la compagnie. Il vaut six millions de dollars. De plus, vous croyez que je peux décoller comme cela, à ma guise, sans avertir la tour de contrôle ? Je ne possède pas les plans de vol des autres compagnies et je ne tiens pas à provoquer une catastrophe.

— Si vous demandez l’autorisation aux Iraniens, ils vous la refuseront ?

— Certainement.

— Nous devrons donc nous en passer, Commandant.

Le pilote, de plus en plus stupéfait, regarda Malko et secoua la tête :

— Je ne peux pas faire ce que vous me demandez. C’est trop grave. Je risque ma carrière, ma vie et une catastrophe. C’est impossible. Je ne sais même pas qui vous êtes, ni ce que vous voulez. Si encore j’avais quelqu’un pour me couvrir…

Malko crut sentir quelque chose, dans la voix de l’Américain. Il le regarda, mais le visage était impassible. Le copilote écoutait la conversation en surveillant les voyants lumineux des réservoirs de kérosène que l’on remplissait. Le radio alignait des chiffres sur une carte.

Le grand avion était maintenant vide, et les femmes de ménage iraniennes étaient montées à bord pour nettoyer l’appareil avant qu’il ne reparte.

Malko regarda sa montre.

Deux heures cinq.

— Commandant, je vais vous donner la garantie que vous réclamez.

Écartant sa veste, il sortit le colt, prit le silencieux et le vissa, arma le revolver et le braqua sur l’équipage.

— Je vous ordonne de décoller, dit-il d’une voix très calme. Sinon je vous abats dans dix secondes, et j’abattrai ensuite votre copilote s’il refuse également. Je suis désolé d’employer cette méthode, mais c’est un cas de force majeure.

Il y eut un court instant de silence, rompu par le commandant de bord :

— Dans ces conditions, je m’incline. Vous porterez la responsabilité de ce qui arrivera. Mais voulez-vous au moins me dire ce que nous allons faire ?

— Lorsque vous aurez décollé.

— Bien.

— Avez-vous assez d’essence pour voler une heure ?

— Certainement.

— Alors faites stopper les pleins immédiatement et mettez en route les réacteurs.

Malko avait gardé son arme à la main. Mais il savait qu’il n’en aurait pas besoin. L’Américain le croyait sincère. Autrement, il n’aurait pas cédé aussi facilement.

— Que dois-je dire à la tour de contrôle ? demanda le pilote.

— Rien.

— Ils vont me demander pourquoi je décolle maintenant, à vide.

— Ne dites pas que vous décollez. Parlez-leur d’un essai de roulage, pour vérifier les freins.