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— OK, Frank, descends dire aux types de la Shell de dégager les citernes. Et préviens le groupe électrogène que nous allons faire tourner les réacteurs et démarrer.

Il se tourna vers Malko :

— Vous avez de la chance que nos mécanos n’aient rien trouvé aux moteurs. Nous pourrons décoller dans cinq minutes, si tout se passe bien.

Le copilote s’était glissé dehors. Malko le voyait discuter avec animation. Les ravitailleurs décrochèrent leurs tuyaux et commencèrent à les enrouler.

Le type du groupe électrogène discuta un peu plus longtemps, puis leva le pouce en signe d’accord. D’ailleurs un quadriréacteur de la BOAC arrivait sur le parking et attirait l’attention générale. Personne ne s’occupait plus du DC 8.

Malko regardait le commandant de bord égrener son checking de décollage. Les deux camions citernes s’éloignèrent lentement. Le copilote remonta à bord et, au passage, fit descendre les femmes de ménage, enchantées de voir leur travail tourner court. Derrière elles, il verrouilla la lourde porte étanche, puis revint s’asseoir à sa place.

Il procéda à quelques vérifications, puis parla au commandant de bord.

— Prêts à décoller, Commandant.

— OK. Allumez le un.

Le réacteur extérieur gauche siffla et rugit.

— Le deux.

Le réacteur intérieur gauche tourna à son tour.

— Trois et quatre.

Maintenant les quatre réacteurs sifflaient doucement. Des voyants rouges et verts clignotaient sur le tableau de bord. L’équipe du groupe électrogène accrocha celui-ci à un petit tracteur et fila sur la piste.

Malko avait remis son pistolet à sa ceinture. Il s’était imposé de ne pas regarder sa montre avant que l’appareil ne soit en vol. Tout semblait bien se passer.

Soudain la radio grésilla, en anglais :

— Ici, la tour de contrôle. N-BHGE, que se passe-t-il ? Pourquoi mettez-vous en marche vos réacteurs ?

Le commandant prit le micro placé devant lui.

— Ici N-BHGE. Je demande l’autorisation de faire un essai de roulage. J’ai eu un ennui de freins à l’atterrissage. À vous.

Il y eut un court grésillement, puis :

— Autorisation accordée, N-BHGE. Mais restez sur la piste de taxi.

— OK. Bien reçu.

Le commandant actionna ses volets et ses ailerons, et desserra les freins, en mettant les gaz. Le lourd DC 8 s’ébranla doucement et commença à rouler le long des bâtiments de l’aérogare.

— Vous avez entendu ? cria le commandant à Malko. Il nous a ordonné de rester sur la piste de roulage, en dehors de la piste d’envol.

— Je sais. Mais ils s’apercevront trop tard de ce que nous voulons faire. La piste de roulage se termine bien à la piste d’envol ?

— Oui.

— Alors, allons-y !

Le DC 8 roulait maintenant à bonne allure, parallèlement à l’aire cimentée. L’aérogare s’éloignait. Malko, debout derrière le commandant de bord, surveillait la piste. La radio continuait à grésiller.

— Coupez la radio, ordonna Malko.

Docilement, le radio abaissa une manette et le grésillement cessa. Le DC 8 arrivait au croisement avec la piste d’envol. Le commandant freina et se tourna vers Malko.

— Et maintenant ?

— Vous pouvez y aller sans point fixe, n’est-ce pas ? Alors, virage à 45 degrés et en avant.

Le commandant ne répondit pas et abaissa ses quatre manettes de gaz. L’avion se mit à trembler, retenu par les freins. Le radio poussa un cri :

— Commandant, regardez ! Sur la piste !

Malko regarda aussi.

À l’autre bout de la piste, une jeep arrivait à toute allure, suivant en sens inverse le parcours de décollage. Le silence de la radio avait dû surprendre la tour de contrôle, qui s’inquiétait.

— Vous avez le temps ! hurla Malko.

— C’est risqué, si elle accélère.

— Tant pis, décollez court.

Il avait ressorti son colt et le balançait à bout de bras. Ce n’était pas le moment de flancher. L’énorme silencieux était très impressionnant.

Dans un rugissement de réacteurs, le lourd avion bondit. Devant lui, la jeep était encore toute petite, mais l’appareil se rapprochait d’elle à près de 250 km à l’heure.

— Nous allons la percuter ! hurla le commandant.

— Foncez !

Maintenant la jeep roulait au milieu de la piste. On voyait à son bord des hommes qui gesticulaient.

— S’ils se foutent en travers de la piste, cria le commandant, nous sommes tous morts !

Le DC 8 roulait de plus en plus vite. La jeep n’était plus qu’à quatre cents mètres, trois cents, deux cents.

Malko serra les dents.

— Combien encore pour décoller ? hurla Malko.

— Six cents mètres.

Ils allaient heurter le véhicule. Il roulait toujours à une allure folle, droit sur eux. Malko sentit son estomac se tordre. Il restait dix secondes avant le choc qui allait tous les broyer.

— Surpuissance !

Le commandant avait crié. En même temps, il tirait à deux mains sur le manche. Le nez du DC 8 se leva gracieusement et la jeep défila sous le fuselage, avec ses Iraniens en colère.

L’avion grimpait à un angle extravagant. Derrière, le terrain était maintenant tout petit.

Malko respira. Le commandant et le copilote s’affairaient sur leurs instruments, rentrant le train, les volets, réglant les réacteurs au régime de croisière. Ils traversèrent les premiers nuages et l’appareil diminua son angle de montée. Le commandant se tourna vers Malko :

— Vous avez eu de la chance que nous soyons à vide. Je n’ai jamais arraché un taxi aussi court. Seulement, dans dix minutes, nous allons avoir la chasse iranienne sur le dos. Les radars nous repéreront tout de suite.

— Ils n’oseront quand même pas abattre un appareil civil américain, même s’il a décollé sans autorisation !

— Non, mais ils vont nous encadrer et nous forcer à atterrir.

— Bah, il se passera beaucoup de choses d’ici là !

Le commandant repoussa son siège en arrière :

— Qu’est-ce que je dois faire, maintenant ? Vous ne m’avez pas forcé à décoller pour un baptême de l’air ?

— À quelle altitude minimum pouvez-vous voler ?

— Deux ou trois cents mètres, volets baissés. Mais c’est très risqué, et on ne peut pas prolonger beaucoup cette plaisanterie.

— Vous allez vite ?

— 300, 350 à l’heure.

— Vous avez encore un peu de maniabilité ?

— Très peu. Virages à plat de 20 degrés et c’est tout.

— Commandant, vous avez fait la guerre ?

— Oui, pourquoi ?

— Où ?

— En Europe, dans les bombardiers.

— Vous vous souvenez des VI, les bombes volantes allemandes ?

— Bien sûr.

— Savez-vous comment les pilotes de chasse anglais parvenaient à arrêter ceux qui franchissaient les barrages de DCA ?

— Non, je ne me souviens plus. Mais où diable voulez-vous en venir ?

— Voilà : les chasseurs anglais s’arrangeaient pour voler côte à côte avec la bombe volante, à la même vitesse, puis ils glissaient une de leurs ailes sous celles de l’engin et le faisaient basculer, le déséquilibrant.

Le commandant regarda Malko, ébahi.

— Mais, dites donc, la guerre est terminée depuis vingt ans ! Et il n’y a pas de bombes volantes en Iran. Et puis je ne suis pas un chasseur, je pèse cent cinquante tonnes !

— La guerre est peut-être finie, mais pas pour tout le monde.

Rapidement, Malko raconta à l’Américain l’histoire de l’attentat. Et ce qu’il comptait faire.

— Pour sauver le chah, expliqua-t-il, il n’y a qu’une possibilité : intercepter cette « bombe volante », puisque nous n’avons pas d’armes pour l’abattre. Je sais que ce n’est pas facile, mais il faut tenter le coup.