— Savez-vous où se trouve le terrain d’où va décoller l’avion ?
— Non, hélas ! Mais il ne doit pas être très éloigné du stade, à cause du radioguidage. Étant donné que le stade se trouve au nord de Téhéran, entre la ville et la montagne, il ne peut se trouver qu’à l’est ou à l’ouest du stade. Et d’après ce que je sais du terrain, plutôt à l’est.
Le DC 8 volait maintenant à mille cinq cents mètres d’altitude, au-dessus de Téhéran. Le ciel était très clair, à part quelques cumulus, et on voyait très nettement la ville.
— Nous n’avons pas une minute à perdre, continua Malko. Descendons sur le stade, nous verrons après.
L’avion plongea doucement. En quelques minutes, il ne fut plus qu’à cinq cents mètres. On distinguait tous les détails du sol. Le stade approchait. Le DC 8 passa au-dessus lentement, volets baissés. Malko vit très bien la tribune d’honneur où se tenait le chah. Sur la pelouse, les gymnastes exécutaient des mouvements d’ensemble. Tout était normal. Personne ne parut remarquer l’avion. Les long-courriers effectuaient souvent un tour au-dessus de la ville avant de se poser à Mehrabad.
— Revenons sur nos pas, proposa Malko, et suivons un cap à l’ouest.
L’Américain inclina l’avion et ils perdirent encore de l’altitude. Cette fois, quand ils repassèrent au-dessus du stade, tous les spectateurs levèrent la tête. Le hurlement des réacteurs avait couvert l’orchestre et les applaudissements. Malko écarquillait les yeux, tentant d’apercevoir quelque chose en bas. Mais le désert s’étendait à perte de vue, piqué des taches ocre des pauvres cabanes.
Déjà la ville était loin derrière eux. Malko ouvrait la bouche pour dire : « Retournez », quand le second pilote cria :
— Regardez ! En bas ! À droite !
Malko se tordit le cou. Il eut le temps d’apercevoir un petit avion jaune qui roulait lentement au milieu du désert…
— C’est lui ! hurla-t-il.
Mais le DC 8 était déjà loin. Avec mille précautions, le pilote amorça un virage très serré. Malko eut l’impression que le bout de l’aile allait toucher le sol. L’avion se redressa et partit plein est, vers le stade. Il ne volait plus qu’à trois cents mètres environ.
En deux minutes, ils furent au-dessus de la piste improvisée où ils avaient vu le petit avion jaune.
Mais celui-ci n’était plus là. Il n’y avait qu’une voiture arrêtée et une pile de bidons d’essence.
Ils volèrent encore deux ou trois minutes, les yeux rivés au désert. C’est encore le second pilote qui cria :
— Le voilà !
La petite tache jaune semblait ramper devant eux, bien au-dessous. Elle filait droit vers le stade.
— Nous allons passer au-dessus, grommela le commandant.
— Piquez, ordonna Malko.
Le gros avion parut s’affaisser dans l’air. Les immenses volets se déployaient à l’arrière des ailes, et la vitesse diminua encore. Cependant, il allait encore près de deux fois plus vite que le petit avion jaune.
Le commandant réduisit encore ses réacteurs. Un sifflement strident emplit la cabine. Malko sursauta.
— Les sirènes d’alarme, expliqua le commandant. Nous volons trop bas et trop lentement.
L’avion jaune n’était plus qu’à deux cents mètres devant eux.
— On va avoir l’air fin, si c’est un paisible promeneur du dimanche, fit le second pilote.
— Regardez ! cria Malko.
Ils dominaient l’autre appareil et son poste de pilotage. On voyait très bien qu’il n’y avait personne à bord. L’avion était téléguidé.
Le commandant et Malko échangèrent un regard. Il leur restait quelques minutes avant que l’autre atteigne le stade avec son chargement mortel.
Par une série de petites manœuvres du manche, le pilote s’écarta un peu du petit appareil. Il réduisit encore les gaz. L’énorme DC 8 tremblait maintenant de toute sa carcasse. À chaque instant, Malko se disait qu’ils allaient s’écraser dans le désert, cent mètres plus bas. En un éclair, il vit les visages d’un groupe de paysans, bouche bée devant ce spectacle inhabituel. Maintenant le DC 8 volait derrière et à droite de l’avion jaune et le rattrapait lentement.
Mètre par mètre, l’énorme aile argentée arriva à la hauteur de l’aile jaune. Le commandant avait toutes les peines du monde à garder en ligne de vol son avion, qui tanguait et roulait. Malko pouvait voir les jointures crispées du pilote. Les deux ailes se touchaient presque. Pendant une fraction de seconde, l’aile du DC 8 sembla supporter la toile jaune de l’autre. Puis il y eut un rugissement assourdissant ; et Malko fut projeté en arrière par une accélération brutale.
Le pilote avait brusquement « dégagé », en prenant de la vitesse, faisant basculer vers le haut l’aile du petit avion, qui s’était brisée net sous le choc. Les quatre réacteurs poussés à la puissance de décollage, le DC 8 tentait de reprendre de l’altitude.
Malko, à quatre pattes dans la coursive, essayait de se remettre debout quand un souffle projeta l’avion, comme une balle de tennis. Le bruit d’une violente explosion parvint à l’Autrichien, qui était retombé. Il en oublia la bosse qu’il venait de se faire au crâne.
S’accrochant où il le pouvait, il parvint à regagner le poste de pilotage.
Par les vitres de gauche, il aperçut une grande colonne de fumée noire qui montait du désert : l’avion jaune, déséquilibré, s’était écrasé mais avait failli entraîner le DC 8 avec lui, par le souffle de l’explosion.
On n’eut pas le temps d’en voir plus. Le DC 8 passa au ras de la tribune d’honneur. Malko put distinguer les visages stupéfaits du chah et de ceux qui l’entouraient. L’appareil n’était pas à plus de trente mètres.
Enfin le commandant parvint à reprendre un peu d’altitude. Il se tourna vers Malko en souriant :
— Je suis heureux de vous avoir obéi. Que faisons-nous, maintenant ?
— Nous rentrons. Reprenez le contact radio.
— Il était temps ! Regardez !
En face six petits points grossissaient à l’horizon. Des chasseurs iraniens. Ils furent très vite sur le gros appareil, qu’ils encadrèrent, lui intimant par radio l’ordre de se poser.
— Transmettez à la tour de contrôle que nous venons de déjouer un attentat contre le chah et que nous ne sortirons de cet avion que sous la protection de l’ambassadeur des États-Unis. Qu’on aille le chercher. Il est au stade.
L’Américain était surpris.
— De quoi vous méfiez-vous ? Nous allons être accueillis comme des héros.
Malko sourit :
— Pas sûr ! L’attentat a été organisé par le général Khadjar, chef de la Sécurité du chah. Ce militaire est très puissant et peut encore se défendre. S’il arrivait à se débarrasser de moi cela l’arrangerait bien.
Le pilote sortit le train. Quelques secondes plus tard, ils roulaient sur la piste de Mehrabad. Il était à peine trois heures et quart.
Maintenant, la radio n’arrêtait pas. Deux jeeps chargées de soldats vinrent au-devant d’eux et les escortèrent. Le DC 8 roula jusqu’à son parking, stoppa. Mais l’équipage se garda bien d’ouvrir les portes de l’appareil. Le commandant de bord avait répété son message : il n’ouvrirait qu’à l’ambassadeur américain. La radio vitupérait, et un petit groupe d’employés de la Panam regardaient, consternés, l’avion rebelle. Ils ignoraient encore l’attentat.
Des soldats cernaient l’avion, mitraillette au poing. Mais, bien que les passerelles fussent en place, aucun ne tenta de monter.
Dans le cockpit, Malko et l’équipage attendaient en silence.
Enfin, une grande Cadillac noire, arborant à ses ailes la bannière étoilée, apparut sur le terrain. Elle stoppa au pied de l’échelle et l’ambassadeur Kiljoy en sortit. Malko réprima un sourire. C’était une bien douce revanche !