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Il tendit le passeport à un des gorilles. Celui-ci le regarda longuement et le rendit à Malko.

— Il n’est pas question de vous arrêter, monsieur Linge, dit-il en excellent anglais. Je veux seulement voir ce qu’il y a dans votre serviette. Est-elle couverte par l’immunité diplomatique, elle aussi ?

Malko se rembrunit ; il aurait dû y penser. Avec le cachet de la valise diplomatique, les deux « policiers » n’auraient plus eu qu’à aller se rhabiller.

— Je suis couvert par l’immunité diplomatique, se contenta-t-il de répéter. Téléphonez immédiatement à l’ambassade.

— Ouvrez d’abord votre serviette, dit le gorille. Ou bien nous forçons la serrure.

Ce n’était plus la peine de bluffer. Malko prit sa clef et ouvrit la serviette sur le bureau du directeur. Le gorille s’en empara et la renversa. De nouveau les liasses se répandirent. Le directeur eut un haut-le-corps.

— Avez-vous une autorisation pour faire entrer ces dollars en Iran ? demanda doucement le gorille.

Il valait mieux changer de tactique. Malko se tourna vers le directeur et dit sèchement :

— Monsieur, je vous ordonne de faire arrêter ces deux hommes immédiatement et d’appeler mon ambassade. Ce sont des gangsters. Ils ont attaqué hier soir un autobus pour voler cette serviette.

Le directeur était visiblement ennuyé.

— Ces messieurs sont de la police secrète, articula-t-il péniblement. Ils m’ont montré leurs cartes. Je ne peux rien faire contre eux. D’autant que vous paraissez ne pas être en règle.

C’était sans réplique.

Tranquillement, le gorille remettait les liasses de billets dans la serviette. Malko le regardait, fasciné. Sa mission commençait bien ! Se faire faucher dix millions de dollars appartenant à l’État américain ! Il était bien coincé !

— Qu’est-ce que vous faites ? rugit-il.

— Je confisque ces devises, répliqua paisiblement le gorille.

— Je vais avec vous, fit Malko. C’est du vol pur et simple.

— Impossible. Je n’ai pas le droit de vous emmener. Vous êtes couvert par votre passeport diplomatique.

— C’est vrai, ça ! remarqua le directeur.

— Présentez-vous au quartier général de la police dans la journée, précisa le flic.

— Pas question, contra Malko. Je vous suis maintenant.

— Impossible, répéta le gorille, sérieux comme un pape. Nous allons procéder à des vérifications.

Il fit un geste à son camarade, qui n’avait pas ouvert la bouche depuis le début. Ce dernier se leva et sortit. Deux minutes plus tard il était de retour avec un des deux flics en uniforme. Il lui donna un ordre en persan. L’autre se plaça près de la porte et regarda Malko d’un air menaçant.

— Ce policier a l’ordre de ne pas vous laisser sortir d’ici avant dix minutes, conclut le gorille bavard. Par tous les moyens.

Malko bouillait. Il vit la précieuse serviette disparaître, balancée gentiment à bout de bras. Dix mille contribuables américains avaient payé leurs impôts pour rien. Dès que les deux gorilles eurent disparu, il éclata.

— Vous êtes complice de ce vol, protesta-t-il. Je préfère vous dire que mon ambassade ne va pas se laisser faire. Vous, un directeur de banque !

Il n’en menait pas large, le directeur.

— Ces hommes m’ont menacé, gémit-il. Ils appartiennent vraiment à la police secrète. Vous ne savez pas de quoi ils sont capables. Leur chef est le général Teymour Khadjar. Il a rempli le cimetière de Téhéran. Je ne pouvais rien faire.

Khadjar ! C’était justement l’ami de Schalberg. À eux deux ils avaient renversé Mossadegh et noyé ensuite dans des flots de sang le parti procommuniste Toudeh. Les gens qui habitaient près du quartier général de la police secrète ne pouvaient plus dormir à cause des cris qui s’échappaient de l’immeuble. On racontait que Khadjar, quand il avait des insomnies, descendait lui-même dans les caves et torturait un prisonnier à mort pour calmer ses nerfs. Sa spécialité, c’était la massue de jongleur. Il écrasait les os en commençant par les doigts et en finissant par la tête.

Malko avait vu des photos de lui. C’était un colosse toujours très élégant dans son uniforme blanc, le visage barré d’une moustache noire soigneusement taillée.

— Si vous êtes vraiment diplomate, cela s’arrangera, continua le directeur. Ils ne peuvent rien vous faire. Évidemment, pour cet argent…

— Vous avez déjà vu des trafiquants déposer dix millions de dollars dans une banque ? grinça Malko. Même ici, ça ne se fait pas !

Sur ces paroles vengeresses, il sortit. Le flic s’effaça poliment, borné et discipliné ; les dix minutes étaient passées.

Pour se détendre, Malko marcha un peu. On ne voyait presque pas d’Européens. Plusieurs fois, il fut harponné par des marchands de tapis. C’est un tapis de prière qu’il lui aurait fallu !…

Il était fou de rage. Il s’était fait avoir comme un enfant. Le coup des policiers, faux ou vrais était sans parade. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait perdu et impuissant dans ce pays. C’était comme de s’attaquer à des sables mouvants.

Le soleil chauffait de plus en plus. Il chercha un bar. Bien entendu, cela n’existait pas. Il n’y avait que des cafés crasseux, où on débitait de l’abali, un mélange répugnant de limonade et de yaourt, ou de la bière locale.

Soudain, il pensa au journaliste barbouze recommandé par Mitchell. C’était le moment ou jamais de faire le compte de ses amis.

Il entra dans un café :

— Téléphone, khodias ?

Le patron lui désigna un appareil posé sur le comptoir. Malko fit le numéro. Une voix répondit en iranien :

— Baleh ?

— Harroyé Derieux, befar me ?

— C’est moi.

Cette fois c’était du français. Avec une pointe d’accent indéfinissable.

— Je suis un ami de Mr Mitchell, de Washington. J’aimerais vous voir.

— Venez. Vous avez l’adresse ?

— Oui. Je saute dans un taxi et j’arrive.

Il laissa une pièce de cinq riais et sortit. Un taxi passait. Malko lui donna l’adresse du Belge : 62 Ksuche Soraya.

C’était au nord, à la limite des quartiers chics, sur la route du Hilton. Il fallait sortir de la ville. Le taxi roula près de vingt minutes, puis tourna dans une rue sommairement empierrée, en face d’une villa entourée d’un haut mur.

Malko sonna. De furieux aboiements lui répondirent. Des pattes crissèrent sur le gravier et le museau d’un gros chien se glissa sous la porte, découvrant des crocs menaçants.

La porte s’ouvrit. Malko recula instinctivement. Mais le chien était tenu en laisse par un grand type blond, avec une grosse moustache en friche et un œil qui louchait affreusement. Une tête plutôt sympathique.

— N’ayez pas peur, dit-il jovialement, il ne mord que les jardiniers. C’est un chien très bien élevé. Tenez, regardez.

Il lâcha le collier du chien et dit : « Va Turc. » Le chien fila vers un jardinier, qui détala comme une flèche vers la maison. Derieux riait à gorge déployée.

— Vous savez qu’il m’en a abîmé un une fois, le salaud ! Mais j’ai les meilleurs jardiniers de Téhéran. Ils savent que, s’ils se laissent aller à leur naturel paresseux, ils se font bouffer.

Charmante mentalité ! Malko suivit son hôte dans la villa. C’était assez sommaire, mais il y avait une grande piscine.

— On va se taper un petit Champagne, proposa Derieux.

Il disparut et revint avec une caisse dont il entreprit de faire sauter le couvercle. En grosses lettres noires il était inscrit sur la caisse : Destinataire ambassade d’Allemagne à Téhéran.