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— Mais, mais, protesta Malko, vous n’allez pas mener une enquête normale ?

L’autre eut un geste apaisant :

— Si, si. Mais nous avons bien peu d’éléments. Si, au moins, je savais le nom de ces deux hommes !…

— Vous ne croyez pas que le directeur de la banque Melli…

— Ils ont sûrement donné de faux noms, puisqu’ils avaient de fausses cartes de police.

Rien à répliquer. Malko se voyait mal déambulant dans Téhéran avec deux flics iraniens à ses chaussures.

— Je vous remercie mille fois de votre aide dit-il. Mais je crains de ne pas avoir le temps de me poster au carrefour. Peut-être pourriez-vous y mettre vos deux hommes sans moi ?

Le capitaine sourit sans répondre. L’entretien en resta là.

Il valait mieux que Malko s’en aille ; il aurait cassé quelque chose. Quand il fut dans la voiture de Derieux, il explosa :

— Pourquoi n’avez-vous rien dit ? Ce type s’est foutu de nous comme il n’est pas permis. Il y a quand même dix millions de dollars en jeu.

Derieux haussa les épaules et freina sec, pour éviter un taxi.

— Pas la peine. Ils nous ont eu à l’iranienne. Ici, on ne s’entend jamais dire « non ». Mais on a très vite l’impression de devenir cinglé. Dans n’importe quel pays, si le chef de la police vous avait proposé ça, vous l’auriez balancé par la fenêtre. Ici, vous le remerciez.

« C’est sans bavures. Le directeur de la banque ne dira rien, terrorisé par la « gestapo » de l’oncle Khadjar. Vos gars sont déjà en « mission » sur la frontière du Pakistan, ou dans un coin comme ça, et la police déploie toute sa bonne volonté… Mais, il y a un truc qui me chiffonne…

— Quoi ?

— Khadjar paraît remarquablement bien renseigné. Votre ami Schalberg pourrait bien toucher sa petite commission sur les dollars.

— J’ai encore une petite carte à jouer, dit Malko, songeur. Mais il faut que j’attende le retour de Schalberg. Nous verrons Khadjar ensemble.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Je vous laisse la surprise. Et puis, inutile que je vous le dise, ce serait dangereux pour vous.

Derieux n’insista pas.

— On va se vider une vodka-lime au Hilton, proposa-t-il. On fera notre plan de combat. À cette heure-ci, il fait trop chaud. Même les révolutions s’arrêtent.

Malko accepta avec joie. Hildegard devait être réveillée. Comme elle repartait le lendemain, autant en profiter. Ils arriveraient au Hilton juste pour le déjeuner. Un message attendait Malko dans sa case : « Le général Schalberg vous attend demain à son bureau. Une voiture passera vous prendre à 10 heures. »

CHAPITRE III

Hildegard n’était pas seule ; Malko s’aperçut avec déplaisir qu’il en était vexé. La jeune Allemande était étendue sur une chaise longue au bord de la piscine, et un homme, que Malko ne voyait que de dos, était assis à ses pieds.

— C’est à vous ça ? demanda Derieux à Malko, en désignant Hildegard. Vous allez vite ! Ici, ça vaut de l’or, une créature de cet acabit.

En voyant arriver Malko, Hildegard agita joyeusement le bras. Son compagnon se leva, comme poussé par un ressort. Il était rouge comme une écrevisse et son maillot délimitait de petits bourrelets de graisse autour de sa taille.

— Je m’appelle Van der Staern, dit-il à Malko. Je me suis permis de parler à mademoiselle parce que la vie est bien triste dans cet hôtel.

Il n’avait pas besoin de se présenter : c’est comme s’il avait eu un drapeau belge peint sur le ventre. Il parlait comme les imitateurs de café-concert.

Les yeux d’Hildegard pétillèrent en regardant Malko. Lui ne voyait que ses jambes. Longues et fines, avec des cuisses charnues. C’était agréable de se dire qu’on en profiterait encore !

Van der Staern débordait de prévenances. Il avait précipité une chaise sous Malko et tenait la main de Derieux comme si c’eût été un lingot d’or. Il était vraiment sevré d’affection.

— Je vous invite tous à déjeuner, proclama-t-il. Ici au bord de la piscine. Je m’occupe de tout.

Avant qu’ils aient eu le temps de répondre, il avait filé comme une flèche à la recherche du maître d’hôtel.

Résigné, Malko alla se changer. Derieux commençait déjà à faire de l’œil à Hildegard. Quand il redescendit, la table était mise. Hildegard s’étira et fit quelques pas au bord de l’eau, déchaînant la concupiscence impuissante du personnel. Malko se demandait sous quel prétexte mondain il pourrait l’entraîner faire la sieste après le déjeuner.

Le Belge avait bien fait les choses. On apporta deux boîtes d’une livre de caviar Bélouga, la spécialité du pays. Avec les tapis, c’est d’ailleurs tout ce que l’Iran avait à offrir.

Malko était frappé par la couleur de peau de Van der Staern. On aurait dit qu’il avait été trempé dans l’eau bouillante. Il devait souffrir affreusement, car de grands lambeaux de peau se détachaient de son dos. Il surprit le regard de Malko :

— Je sais, ce n’est pas beau, soupira-t-il. Mais je ne suis pas habitué, savez-vous. J’habite Anvers. Quand je suis arrivé ici, j’ai cru que je pourrais bronzer un peu pour épater les copains de l’étude, à mon retour.

— De l’étude ? coupa Malko.

— Oui, se rengorgea Van der Staern. Je travaille chez Me Bosch, notaire à Anvers depuis trois générations. Je suis son premier clerc, ajouta-t-il modestement.

— Vous êtes parti avec la caisse au pays des Mille et Une Nuits ? demanda Malko, mi-figue, mi-raisin.

L’autre bondit sous l’outrage :

— Monsieur, je travaille depuis dix ans chez Me Bosch ! Il a entière confiance en moi…

— Justement…, continua Malko.

Van der Staern ignora l’adverbe :

— Non, j’accomplis la plus importante mission de ma carrière.

— Ici ?

— Oui, c’est une bien triste histoire. Me Bosch avait prêté de l’argent à un honorable commerçant d’Anvers, pour effectuer une transaction concernant une importante cargaison de blé. Acheté en Argentine, il transitait par Anvers, pour être revendu en Iran. Tout était parfaitement correct et Me Bosch a avancé les fonds. Et même, ajouta Van der Staern douloureusement, l’attaché commercial iranien avait moralement couvert l’opération !

Il s’arrêta pour engouffrer une cuillerée à soupe de caviar.

— Alors ? demanda Derieux, hilare, flairant l’énorme escroquerie.

— Alors, le blé devait être acheminé par chemin de fer et passer la frontière à Khurramchahr. Jusque-là, tout s’est bien passé. Notre client a reçu de son correspondant d’ici un télégramme disant que les autorités iraniennes refusaient au dernier moment la licence d’importation et que de toute façon, les acheteurs n’avaient pas beaucoup d’argent en ce moment !

— Qui sont les acheteurs ?

— Des groupes officiels iraniens.

— Et le blé, alors ?

Van der Staern leva les bras au ciel et faillit s’étrangler avec son caviar.

— Le blé ! Il pourrit, monsieur ! Depuis huit jours, il se trouve sous un soleil torride, dans les docks de Khurramchahr. Il germe, il gonfle, il va éclater, il verdit, il jaunit, c’est affreux. Et je ne peux rien faire.

« J’ai tout essayé, on dirait qu’un mauvais génie ne veut pas de mon blé en Iran. Il manque toujours une signature, ou le fonctionnaire que je dois voir est introuvable. L’un d’eux m’a même demandé de l’argent pour me donner une autorisation.

— Vous le lui avez versé ? coupa Derieux.