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Il baissa la voix, horrifié :

— Ils ont fait du feu avec les boiseries ! Des sauvages. Et ils ont démoli à coups de mitraillette les dernières armoiries gravées dans la pierre, dans la salle d’armes. Heureusement, j’ai fait des recherches et j’ai pu les reconstituer. On me propose justement de Vienne une plaque de cheminée qui a dû appartenir à ma famille. Mais tout cela est très cher, affreusement cher.

— Il y a longtemps que vous avez hérité de cette demeure ? demanda Mitchell.

Malko toussota et croisa les mains sur ses genoux.

— A vrai dire, je n’en ai pas hérité. Je l’ai achetée en ruine avant la guerre. J’avais fait des recherches depuis longtemps pour retrouver le berceau de ma famille. Le dernier propriétaire du château est mort en 1917, pendant la guerre, sans enfants. Mais il avait un cousin au second degré qui s’appelait aussi Linge. Ce cousin est mort aussi, mais je suis son fils.

— D’ailleurs, j’ai tous les papiers. Nous ne sommes pas une famille très connue comme les Schönbrunn, mais la flamme des Linge a flotté pendant plus de trois cents ans sur la tour nord. Les villageois venaient se réfugier dans nos douves pendant les raids de pillards magyars. Et chaque soir, deux hérauts, montés sur le donjon, sonnaient le couvre-feu.

— Mais ça reviendra. Je veux finir mes jours chez moi. Ici c’est une cabane à lapins.

Mitchell le coupa d’un geste :

— Altesse, j’ai besoin de vous. L’Autrichien secoua la tête.

— Pas en ce moment, j’ai trop de travail. Il faut que je redessine toutes les moulures de la bibliothèque. Et que je m’occupe de ces blasons cassés. Non, ce n’est vraiment pas possible.

— Vous avez déjà été en Turquie ?

— En Turquie ? Oui, à la fin de la guerre. Attendez, j’étais à Istanbul, au Park Hôtel, chambre 126.

— Vous parlez turc naturellement ?

— La littérature de ce pays a produit quelques très jolies choses. Tenez, vous connaissez cela ?

Et tout naturellement, il se mit à réciter un long poème en turc.

— C’est très joli, s’excusa-t-il gentiment. J’ai dû le lire, quand j’étais étudiant.

Mitchell le regardait bouche bée. Ce type se souvenait vraiment d’un truc lu vingt ans avant !

— Je peux vous faire gagner beaucoup d’argent, proposa-t-il. De quoi finir votre château.

— Non ? Alors, je marche tout de suite. L’Américain battit en retraite.

— Hé là, ça irait chercher dans les combien ?

— 300.000 dollars, dit rêveusement Malko. Sans les meubles.

— Pour ce prix-là, il faudrait que vous me rameniez Khrouchtchev et Castro dans la même cage… Non, mais je peux vous faire gagner, disons 20.000 dollars.

— C’est une plaisanterie.

Au bout d’une heure, ils furent d’accord. 50.000 dollars, moitié d’avance.

Mitchell sortit sur la terrasse. Au loin, on pouvait apercevoir le grand pont de Poughkeepsie, qui enjambait l’Hudson. New York n’était qu’à 80 miles de là. Toutefois on se serait cru en plein Middle West.

— Ça va être difficile, dit-il. C’est une fichue histoire. Les USA viennent d’y perdre déjà 80 millions de dollars et plusieurs dizaines de vies humaines.

— Ah bon, fit Malko, peu impressionné.

Mitchell se mit en devoir de lui expliquer ce qu’on attendait de lui. L’Autrichien hochait la tête. Il ne prenait jamais de notes.

— Vous partirez demain, avait conclu Mitchell. Tâchez de revenir, on aurait du mal à vous remplacer.

Malko avait l’intention de revenir. Il trouvait la vie très agréable. Au fond, ce Hilton était très confortable. Son regard erra dans le hall. Il y avait surtout des étrangers. Peu de jolies femmes.

Si, une. L’œil de l’Autrichien s’alluma. Il adorait faire la cour aux femmes. Et son côté européen lui donnait beaucoup de charme. La jeune femme qu’il avait remarquée était assise seule sur un canapé. Très brune, vêtue d’une robe de shantung gris, ses jambes croisées dévoilaient dix bons centimètres de cuisse.

Il l’avait déjà vue quelque part. Fermant les yeux, il se concentra. C’était ça : 1955 au Caire, à la boîte de nuit du Shepherd. Il réfléchit encore quelques secondes rassemblant tous ses souvenirs puis se leva et alla s’incliner devant elle :

— J’ai déjà eu le plaisir de vous rencontrer, mademoiselle. C’était au Caire, il y sept ans. Vous portiez alors une robe de mousseline blanche et vos cheveux étaient relevés en chignon. Mais, à propos, ajouta-t-il, après avoir jeté un coup d’œil sur ses mains, qu’avez-vous fait de l’opale que vous portiez à l’annulaire gauche ?

Médusée, la jeune femme le regardait.

— Je… je l’ai perdue, balbutia-t-elle. Mais comment pouvez-vous ?…

— Je ne vous ai jamais oubliée, s’inclina galamment Malko. Voulez-vous dîner avec moi ? Il y a quinze ans, il y avait sur le Bosphore un très bon restaurant, le Roumeli. Existe-t-il toujours ?

— Oui, oui, je pense.

— Alors, il faut retenir la table au fond, à gauche, près de la desserte. C’est la meilleure. Venez.

Subjuguée, Leila se leva et lui donna le bras. On lui avait fait beaucoup de baratin dans sa vie de danseuse « orientale », mais, comme ça, jamais.

Chapitre VII

Il y eut un « plouf » sourd et Krisantem se laissa tomber, les genoux tremblants. Il connaissait ce bruit. C’était la détonation d’une arme munie d’un silencieux. Une sueur glacée lui inonda le front. Le type qui avait tiré était un professionnel. Et il allait recommencer. De toute façon, si celui-là le ratait, un autre prendrait sa place.

Le Turc tira sa vieille pétoire et l’arma. Ça pouvait encore faire du mal. La nuit était noire et il ne distinguait pas son adversaire. En arrivant, il se méfiait obscurément de quelque chose. Aussi il avait laissé sa voiture à une rue de là. Mais sans penser que cela prendrait une forme aussi radicale…

Quelque chose bougea sur le trottoir d’en face. Krisantem appuya sur la détente de son parabellum. La détonation fut assourdissante. Instinctivement, il tira une autre fois. Puis, ébloui par une voiture qui passait en trombe, il se jeta à plat ventre.

Rien. Quelques volets s’ouvrirent et se refermèrent prudemment. Son agresseur avait dû partir, craignant que les coups de feu n’attirent la police.

Il attendit quelques instants et se releva, avec mille précautions. Juste pour entendre une voix susurrer derrière lui, avec un accent qu’il connaissait bien :

— Monsieur Krisantem, voulez-vous poser votre revolver par terre, sans faire de geste brusque ?

La voix venait de l’autre côté de la grille. L’homme était dans le jardin, caché par des massifs. Ils étaient donc deux. Cela rassura Krisantem. Celui-ci aurait pu l’abattre facilement, dans le dos. Tant qu’on cause, il y a de l’espoir.

Il laissa tomber le parabellum et attendit. Aussitôt, une silhouette traversa la rue : l’homme qui avait tiré le premier. Il tenait à la main un long pistolet noir au canon effilé.

— Tu m’as raté de peu, dit-il en turc.

Et avant que Krisantem ait répondu, il lui donna un coup violent sur la tempe. Le Turc crut que sa tête éclatait. Le canon du pistolet lui avait déchiré la peau et il sentit le sang couler le long de son visage.

— Allons, allons, ne sois pas brutal, Sari, fit la voix que Krisantem connaissait, celle de son « employeur » du matin.

— Le salaud, il aurait pu me foutre une balle dans le ventre, grommela l’autre.