— C’est combien « G » ? interrogea Watson. Pourquoi n’annonce-t-il pas en clair.
— Et les Russes alors ? Tu veux pas qu’on leur donne aussi le plan du bateau ? N’oublie pas que nous sommes à 500 kilomètres de Sébastopol et qu’ils doivent avoir des stations d’écoute sur tous leurs chalutiers-bidons qui traversent le Bosphore. Attends, je vais te dire.
Il consulta rapidement une table.
— Ça fait 250 mètres. Il peut encore y aller.
Watson réfléchissait. C’était vrai, le Memphis faisait encore partie du matériel ultrasecret de l’U.S. Navy. Sous-marin atomique, le huitième à être entré en service, il était uniquement chargé de détecter et de chasser les sous-marins ennemis. À part sa longueur, 83 mètres, et son rayon d’action, près de 100.000 kilomètres, presque toutes ses caractéristiques étaient secrètes. On savait seulement que de tous les sous-marins du monde, il était le plus rapide, celui qui descendait le plus bas et de la manière la plus silencieuse.
Il était capable de plonger ou de remonter à la vitesse effarante de 300 mètres-minute… Un bon chien de garde pour la Méditerranée. Avec son sonar à ultrasons et son équipement de détection radioactif, il pouvait repérer n’importe quel autre sous-marin avant d’être surpris lui-même.
Toute la VIe flotte longeait maintenant la côte d’Asie en direction du détroit des Dardanelles. L’étroite mer de Marmara ne suffisait pas à ses évolutions.
Les messages arrivaient tous les quarts d’heure, rassurants et réguliers.
Bercé par la houle, Rydell somnolait dans un fauteuil de toile en écoutant la voix d’Harvey. Du fond de la mer, sa voix annonça, très calme :
— Nous sommes à la profondeur « M ». Nous stoppons pour certaines vérifications. Nous vous tiendrons informés.
Rydell nota l’heure : 10 h 45. Le Skylark tournait en rond sous le soleil. Six chasseurs Seawolf passèrent au ras des flots, regagnant l’Enterprise. Cette manœuvre de routine dans les eaux amies – la Turquie était un des plus beaux fleurons de l’OTAN – n’excitait personne.
La voix d’Harvey se fit de nouveau entendre.
— Nous avons une légère difficulté avec le sonar. Nous sommes obligés de le mettre en panne. Nous vous tiendrons informés.
Watson fronça les sourcils.
— Cet abruti de civil va me démolir mon zinzin. C’est plus délicat qu’une pépée. Et sans ça, tu n’as pas intérêt à t’aventurer dans les coins malsains. C’est comme si tu te baladais, aveugle et sourd, au milieu d’une bande de malfrats…
— Ici, il n’a rien à craindre, fit Rydell. La dernière fois qu’on a vu un sous-marin russe, c’était en 56. Tu penses, il faut qu’ils viennent de Mourmansk ou de Vladivostok ! Tu parles d’une…
La voix d’Harvey l’interrompit :
— Nous venons de déceler une légère augmentation de la radioactivité. Nous contrôlons. Over.
Du coup, Rydell cassa la pointe de son crayon en notant l’heure. 10 h 57. Les deux officiers se regardèrent.
— C’est pas possible, fit Watson. Rydell hocha la tête.
— Les Russes aussi ont des sous-marins atomiques. Six, d’après nos experts de la C.I.A., neuf d’après ceux de la Navy. Et si la radioactivité augmente dans le coin, cela ne peut vouloir dire qu’une chose : c’est qu’il y a un autre Sub qui se promène ici.
— T’es cinglé ! Ici, dans la mer de Marmara qui est un vrai cul-de-sac avec le Bosphore au bout, ses filets et ses mines et toute la VIe flotte par-dessus.
Watson fît un grand geste de bras, montrant l’espace autour de lui :
— Regarde, c’est une cuvette !
— Bon, on va bien voir. En tout cas j’alerte l’Enterprise. Par le cornet acoustique, il appela le radio et lui donna l’ordre d’envoyer un message codé.
Songeur, Watson regardait la mer scintiller au loin, là où devait se trouver le Memphis avec ses 129 camarades. Une angoisse sourde l’étreignit. Il aurait donné cher pour se trouver à bord. Il n’y avait que lui pour savoir tirer toutes les possibilités du sonar. Il sursauta, car la voix sortait encore du haut-parleur.
— Ici Harvey. L’augmentation de la radioactivité est confirmée. Mais notre sonar ne fonctionne pas correctement. Pouvez-vous nous relayer ? Over.
Watson bondit et arracha presque le micro des mains de Rydell.
— Ici Watson. Qu’est-ce qu’on a fait à mon sonar ? Passez-moi l’ingénieur civil. Je vais lui expliquer.
— Inutile, coupa la voix claire d’Harvey, nous avons essayé un dispositif expérimental qui l’a détraqué. Nous allons remonter dès que nous aurons terminé nos vérifications sur la radioactivité. Over.
Presque aussitôt un son strident sortit du haut-parleur : la sirène d’alerte du Memphis. Le capitaine Harvey faisait mettre son bâtiment en position de combat. Un danger le menaçait. Lui aussi savait ce que signifiait l’augmentation de la radioactivité…
Rydell griffonnait fiévreusement sur son bloc des messages que l’on portait immédiatement au radio. On lui rapporta une feuille jaune qu’il montra à Watson.
— Aucun sous-marin identifié dans la zone de manœuvre à part Sub Memphis.
Watson poussa un soupir de soulagement.
— Leur détecteur doit être déréglé, comme le sonar. C’était pas possible.
Au même moment la voix d’Harvey éclata dans le haut-parleur :
— Nous pensons avoir localisé la source de radioactivité. Nous nous dirigeons droit dessus. Profondeur « E ». Nous allons reprendre la profondeur « L ». Over.
Dans ses écouteurs, Rydell entendit le bruit caractéristique de l’eau chassée des ballasts. Le Memphis remontait. Il nota l’heure : 11 h 13. Soudain un hélicoptère apparut, volant très près des vagues dans un grand bruissement de rotor. Il se posa sur le pont, au pied de la passerelle où se trouvaient Rydell et Watson.
Un homme en sortit, escaladant immédiatement l’échelle de la passerelle.
— C’est l’amiral Cooper, souffla Rydell. Il vient aux nouvelles.
L’officier supérieur surgissait. Il alla droit à Rydell.
— Alors ? Vous avez la liaison avec le 593 ?
C’était le nom de code du Memphis. Basé sur l’Enterprise, Cooper était placé trop loin pour capter les messages du sous-marin. Le Skylark était le seul à conserver le contact.
— J’ai la liaison, affirma Rydell. Et il résuma la situation.
— Appelez le 593, ordonna Cooper. Rydell appuya sur la commande du micro.
— Harvey, Harvey, ici le Skylark, donnez votre cap et votre position.
Pas de réponse. Le micro grésillait doucement.
— Il y a deux minutes, il m’a parlé, gémit Rydell.
Les trois hommes contemplaient fixement le micro muet L’amiral se tourna vers le marin qui l’accompagnait, porteur d’un poste à ondes courtes.
— Faites immédiatement décoller les escadrilles C et D et que mes bâtiments d’escorte se dirigent vers la dernière position signalée du 593.
Il se retourna vers Rydell.
— Appelez encore.
Rydell se pencha sur le micro et cria presque :
— Harvey, donnez votre cap. Rien.
L’amiral Cooper arracha le micro des mains du lieutenant. Une veine battait sur son front.
— Ici, l’amiral Cooper, appela-t-il. Harvey, donnez votre position immédiatement. Est-ce que vous contrôlez votre bâtiment ?