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Deux petits yeux méchants et très lucides le regardaient intensément.

Malko projeta son genou. L’autre le prit en plein dans le bas-ventre et recula avec un grognement, relâchant sa prise. Malko fit un bond en arrière et saisit une bouteille.

— Attention, il est dangereux !

C’était Leila qui avait crié.

Effectivement, le type s’avançait vers Malko, une lame courte et triangulaire à la main.

À la façon dont il tenait l’arme, l’Autrichien vit tout de suite qu’il avait affaire à un professionnel. Il essayait de frapper de bas en haut, vers le cœur. Avec la force du tueur, il allait être épingle comme un papillon.

Sa bouteille lui paraissait complètement inutile. S’il approchait, il était embroché.

Il recula, espérant prendre assez de champ pour s’enfuir. Pour une fois, il maudissait son habitude de n’être jamais armé. Si, au moins, ses gorilles étaient là…

Leila le sauva.

Comme une folle, elle sauta sur le Turc par-derrière, lui lacérant le visage de ses ongles, hurlant comme pour annoncer la fin du monde. Surpris, le type essaya de se débarrasser de cette panthère. Elle en profita pour planter ses dents dans son poignet comme un bouledogue.

Elle devait serrer fort car le couteau tomba. Du coup, les garçons qui regardaient le spectacle retrouvèrent leur courage et se ruèrent à la curée. L’agresseur disparut sous un amas de vestes blanches.

Mais c’était un dangereux. Il fonça vers le mur, y écrasa un paquet de ses adversaires et se redressa. Les survivants hésitèrent, le type aussi. Il aperçut le patron qui téléphonait fiévreusement. La police serait là dans cinq minutes. Il fonça vers la sortie. Un garçon qui tentait de le stopper s’en tira avec une mâchoire fracturée et l’inconnu disparut dans le noir. Personne ne se soucia de le poursuivre.

A la table, Malko consolait Ann. Elle avait une grosse tache bleue sur le cou et sa robe ressemblait à une nappe qui aurait beaucoup servi…

— Ça alors, ça alors, répétait Ann. Il aurait pu me tuer. Leila ricana :

— Vous vous en seriez tirée mieux que ça. Ces types-là ne sont pas difficiles…

— Vous, la putain…, commença Ann.

Malko rattrapa Leila de justesse. La bagarre l’avait déchaînée. Elle parlait déjà d’arracher le bout des seins d’Ann avec ses dents… Heureusement que la jeune Sud-Africaine ne comprenait pas le turc…

— Filons, dit Malko. Il y en a assez pour ce soir. Ils se levaient. Un garçon vint à ce moment présenter un papier plié à Malko, sur une soucoupe. L’addition.

Leila poussa un rugissement, s’empara du papier, en fit une boulette. Ses griffes rouges en avant, elle fonça sur le patron et se mit en devoir de lui faire manger l’addition. Du coup, le Turc protesta que c’était une joie d’inviter des gens aussi charmants et les supplia de revenir.

Malko sortit dignement poussant Ann, Leila protégeant ses arrières.

Krisantem était dans la Buick. Le retour fut silencieux. Arrivés au Hilton, Malko prit le bras d’Ann et demanda sa clef au portier. Le hall était désert.

— Je la mène jusqu’à sa chambre, dit-il à Leila. Elle le regarda d’un drôle d’air. A voix basse, elle lui murmura au moment où il poussait Ann dans l’ascenseur :

— Je t’attends dans ma chambre. Après mon numéro. Le type qui t’a attaqué, je le connais. Si tu veux savoir son nom, ne reste pas trop longtemps avec cette p…

La petite liftière en socquettes blanches, poilue comme un grognard, regarda avec surprise la marque bleue sur le cou d’Ann.

Dix minutes plus tard, Malko était chez Leila. Il n’avait pas été héroïque : Ann lui avait claqué la porte au nez.

Chapitre XI

Le soleil brillait sur Istanbul. C’était l’heure du déjeuner. Le long des remparts de l’avenue Yedikulé, une nuée de marchands ambulants vendaient du thé à la menthe, du loukoum vert et rose, découpé en petits cubes, des galettes graisseuses.

Dans un coin, absorbés dans la contemplation d’une vitrine de tissus, Malko et Leila les doigts enlacés formaient un couple très attendrissant d’amoureux. En réalité, profitant du reflet de la glace, ils surveillaient l’entrée d’une vieille maison de bois, placée derrière eux. Ils étaient dans la rue depuis deux heures et avaient l’impression que tout le monde les guettait.

Cinquante mètres plus loin, les deux gorilles prenaient le frais à la terrasse d’un café arabe, en fouraillés jusqu’aux yeux. Il ne leur manquait que des grenades.

Ils avaient poussé des cris d’orfraie en apprenant l’incident de la veille. Eux, avaient passé la soirée à jouer au gin-rummy, ce qui est le comble de l’activité intellectuelle pour un gorille. Maintenant, ils grillaient d’en découdre.

— Il ne devrait pas tarder à sortir, murmura Leila. Ou alors, il lui est déjà arrivé quelque chose…

C’est elle qui avait mené Malko jusqu’au fin fond d’Istanbul, de l’autre côté de la Corne d’Or. Le long des anciens remparts, il y avait un labyrinthe de petites ruelles bordées de maisons en bois qui tenaient debout par miracle.

Depuis le matin, elle était pendue au téléphone. Elle connaissait le tueur de vue. C’était un petit maquereau sans envergure qui ne dédaignait pas, lorsque l’occasion s’offrait, de détrousser un passant attardé. À plusieurs reprises, il avait joué du couteau dans des bagarres. Toujours quand l’autre n’en avait pas, bien entendu.

Leila connaissait vaguement une fille qui avait été avec le gars. Par bonheur, elle avait le téléphone.

D’une voix endormie, elle avait donné le nom du type : Omar Cati.

— Il doit être en prison en ce moment, avait elle ajouté. Il a été arrêté, il y six mois, pour avoir attaqué un couple de touristes près de la mosquée du Sultan Ahmed.

Malko et Leila s’étaient habillés à toute vitesse. La fille avait tout de même fini par donner une adresse possible du tueur, chez une prostituée. Avec les deux gorilles, ils s’étaient entassés dans un taxi qui les avait conduits près du coin où ils se trouvaient maintenant.

Leila était montée seule. Pour éviter d’affoler la fille. Celle-ci avait ouvert précautionneusement, le cheveu embroussaillé et la paupière lourde. Elle était avec un client. Leila lui avait raconté une vague histoire d’argent prêté. L’autre avait ricané :

— Tu peux toujours essayer de récupérer ton fric. Cette ordure d’Omar habite près d’ici, rue Eyuf, numéro 7. S’il est de bon poil, il te sautera, sinon il te collera une trempe.

En dépit de cette charmante perspective, Leila avait remercié. Et depuis, ils attendaient. Malko commençait à s’impatienter. Ce Turc, c’était son fil d’Ariane, le seul indice tangible qui pouvait le mener à ce qu’il cherchait.

— Si dans cinq minutes, il n’est pas descendu, on y va, dit-il à Leila. Jones et Brabeck nous protégerons.

— Pas la peine, regarde.

C’était lui. Dans la vitrine, Malko voyait parfaitement son reflet. Toujours doté d’une aussi sale gueule, vêtu d’un pull bleu marine et d’un vieux pantalon. Il prit la direction de la Yedikulé, qui allait au champ de courses. Malko et Leila lui emboîtèrent le pas.

— Attaque-le, toi, dit Malko. Autrement, il va se méfier. Au moment où Leila partait derrière l’homme, Malko tombait en arrêt : deux hommes venaient de sortir de l’encoignure d’une porte cochère et encadraient Omar.

À travers les flots montants et descendants des commères et des badauds, Malko avait du mal à repérer Omar qui avait pris cinquante mètres d’avance. Mais il voyait distinctement les deux inconnus qui l’encadraient. L’un avait les cheveux blonds et portait un chapeau mou, l’autre était brun vêtu d’un costume bleu.