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— D’ici un quart d’heure.

— Ne roulez pas trop vite, quand même. Je vous attends.

* * *

Marseille.

Qui lézarde au soleil, entre mer et collines.

Ville chamarrée, indisciplinée, résolument tournée vers le sud. Belle après-midi d’arrière-saison, pimentée d’un léger mistral qui coule du nord en suivant le Rhône.

La séparation est désormais imminente.

Suivant les instructions de son copilote, François se faufile dans la circulation dense et désordonnée de la grande cité phocéenne ; il finit par atterrir dans un quartier plutôt mal famé, celui où habite le pote de son auto-stoppeur. La BMW s’engage dans une impasse sordide, bordée de maisons de ville noircies par les années et les gaz d’échappement. Des enfants surexcités jouent au foot au milieu des voitures et des poubelles.

Que des gosses un peu bronzés, pense Davin.

— C’est là, indique Paul en pointant du doigt un porche d’entrée.

François se gare en amont, le long du trottoir d’en face. Les gamins lorgnent avec curiosité cette magnifique berline immatriculée 59.

— Ben voilà, dit Paul. Merci pour tout.

— Je vous en prie, sourit François.

— Ça m’a fait plaisir de faire votre connaissance.

— Moi aussi… Vous voulez que j’attende ici, au cas où votre ami ne serait pas là ?

À vrai dire, il n’a guère envie de traîner dans ce coin, bien trop populaire, mais ne s’est pas encore départi de ses bonnes manières.

— Non, ça va aller… Merci encore !

— Bonne chance pour la suite.

S’ensuit une poignée de main virile avec un drôle de sourire partagé. Paul attrape son sac à dos, entrouvre la portière. Là, il s’immobilise brusquement. La bouche crispée, il fixe l’autre bout de la ruelle.

— On s’en va ! murmure-t-il soudain.

— Pardon ?

— Démarrez, on se casse !

— Mais…

— Faut qu’on se tire, magnez-vous !

En suivant le regard de Paul, Davin ne distingue rien d’autre que des véhicules stationnés. Dont un avec trois ombres à l’intérieur. Une Mercedes grise.

— Putain ! gémit Paul. Démarrez, vite, sinon on est morts !

— Hein ?

— On est morts ! s’écrie Paul.

François réagit enfin, n’attendant pas plus d’explications. Marche arrière nerveuse mais stoppée par un minot qui refuse de s’écarter. Il jette un œil à la voiture repérée l’instant d’avant, voit le conducteur en sortir. Un colosse, manteau en cuir noir, lunettes fumées. Le parfait stéréotype du tueur, comme dans un mauvais thriller. Il tourne à nouveau la tête, fait signe au Zidane en herbe de se pousser. Celui-ci consent à rejoindre le trottoir en prenant son ballon sous le bras et la BMW quitte l’impasse tandis que l’homme en noir se hâte de reprendre le volant de la Mercedes.

François s’engage sur une avenue, Paul baisse son pare-soleil.

— Putain, ils sont déjà derrière nous !

— Mais c’est qui, ces mecs ?

— T’occupe ! hurle le jeune homme. Fonce !

François appuie sur le champignon, lorgnant à son tour dans le rétroviseur. La Mercedes grise est collée au pare-chocs.

— Qu’est-ce qu’ils veulent ? s’écrie-t-il.

— Ils me cherchent ! explique Paul d’une voix haletante. Accélère, faut les semer !

Les semer ? Mais il ne pourra jamais ! Il grille un feu orange, puis un rouge. Des coups de klaxon fusent, la Mercedes est toujours accrochée dans leur sillage. Davin donne un coup de volant à droite, coupe la route à un bus qui freine brutalement pour éviter de justesse la collision. La BMW s’aventure plein pot dans un sens interdit. Le bus arrêté au croisement a retenu les poursuivants un instant. Droite, gauche. À droite, encore. Dédale de petites rues étroites où la BMW mord les trottoirs sans se soucier des stops ou des priorités.

— On les a semés ! s’exclame Paul avec soulagement. T’es le meilleur, on les a eus !

François continue à s’éloigner du danger, menant son bolide au rythme de ses pulsations cardiaques.

— Entre dans le parking ! ordonne Paul. On va se planquer là un moment !

La voiture s’engouffre dans le souterrain. Quelques secondes pour prendre un ticket et ils plongent dans ses entrailles jusqu’au troisième niveau. Le plus loin possible. Davin s’arrête enfin, coupe le contact. Alors, il ferme les yeux, renverse la tête en arrière, reposant sa nuque durcie par le stress contre l’appuie-tête. Paul garde désormais le silence, visiblement mal à l’aise. François attrape d’un geste nerveux son paquet de cigarettes. Il baisse la vitre, en allume une. Après avoir tiré une bouffée, il toise méchamment son passager.

— Vous pouvez m’expliquer ce qui vient de se passer ?

Paul regarde ailleurs.

— Eh, je vous parle !

— Ça va, pas la peine de vous exciter…

— Mais vous vous foutez de ma gueule, ma parole ! Qu’est-ce que voulaient ces types, hein ?

— C’est pas vos oignons.

— Je rêve… J’ai failli emboutir ma bagnole, j’ai roulé comme un dingue pour vous sortir de la merde et c’est pas mes oignons ?

Paul allume une cigarette à son tour.

— OK… Ils me cherchent parce que je sais des trucs sur eux.

— Quels trucs ?

— Ben en fait, je me suis cassé de Lyon à cause de ça… Je me demande comment ils ont fait pour me retrouver.

— C’est qui, ces mecs ?

Paul affronte enfin son interlocuteur de face.

— À Lyon, je bossais comme DJ dans une boîte. Le patron trempait dans des affaires pas très nettes… J’ai surpris ses trafics, alors il m’a menacé.

— Vous avez été témoin de faits illégaux et ces hommes veulent vous… faire taire ? C’est ça que vous essayez de m’expliquer ?

Paul hoche la tête.

— Quand le boss s’est aperçu que j’avais découvert le pot aux roses, il a voulu me buter et je me suis enfui. Mais visiblement, il m’a logé.

— Bon, reprend François d’un ton plus posé, dans ce cas, je vais vous conduire au commissariat le plus proche.

— Chez les flics ?!

— Je ne vois pas d’autre solution.

— J’irai pas chez les poulets. Vous êtes malade !

— Et pourquoi ? Vous avez été témoin d’actes délictueux, vous devez en référer à la police. Vous demanderez une protection et…

— J’irai pas chez les keufs, tranche Paul d’une voix sans appel.

— Pourquoi ?

— J’ai pas envie, c’est tout.

François éclate d’un rire nerveux.

— J’ai pas envie, c’est tout ! répète-t-il en imitant son passager. Vous préférez vous faire tuer ?

— Parfaitement ! Je balance pas… Vous avez qu’à me laisser ici, je vais me débrouiller.

— C’est ça ! Dès que vous mettrez le nez dehors, ils vous tomberont dessus.

— Faut pas exagérer. C’est grand, Marseille.

— Et ma voiture ?

— Quoi, votre voiture ? Elle a rien, votre caisse.

— Ils l’ont seulement repérée, c’est tout !

— Ils ne vous retrouveront pas. Ils n’en ont rien à foutre de vous.

— Moi, je crois que si vous refusez d’aller à la police, c’est parce que vous avez des choses à vous reprocher.

— Vous pouvez pas comprendre, conclut Paul en prenant son sac. Je vais rester ici un moment. Vous avez qu’à partir. Merci.