— J’ai dit p’tit connard ! assène François avec un geste désynchronisé du bras.
— Tu veux que je te fasse ta fête, papy ?
Papy ? François veut se ruer sur l’ennemi, mais Paul le retient avec force.
— J’vais te casser la gueule, racaille !
— On se calme ! ordonne Paul. Allez, viens…
— Ouais, c’est ça ! Amène ta copine avec toi, espèce de fiotte !
Un autre s’avance, suivi de près par le reste de la meute.
— Il va nous filer son blé avant de partir, le vieux con.
Paul distingue une lame dans la main du nouveau venu. Un cran d’arrêt.
— Va te faire foutre ! rugit François.
— Le fric ! exige le caïd des plages en brandissant son couteau.
Il s’empare du portefeuille dépassant de la poche arrière du jean de François, qui esquisse un mouvement désespéré pour récupérer ce qui lui appartient. Il part en avant, se retrouve la tête dans le sable, telle une autruche. Les autres se marrent puis s’intéressent à Paul.
— File ton fric, toi aussi !
— OK, murmure Paul. OK, je vais vous donner tout ce que j’ai… Mais on reste calmes, les mecs.
— Dépêche !
François tente de se relever. Il fixe le couteau, apparemment calmé. Comme s’il venait de réaliser qu’il est encerclé et incapable de tenir sur ses jambes. Paul laisse tomber son sac à dos, en ouvre la première poche.
— Alors, tu te bouges ? s’impatiente le petit nerveux au couteau.
— Ça vient, assure-t-il en se redressant.
Les visages se figent. Paul sourit à son tour.
— Le portefeuille, tu le rends à mon ami. Tout de suite.
Les petits malfrats ont les yeux exorbités, rivés sur l’énorme calibre braqué dans leur direction. Le couteau semble soudain ridicule à côté de l’engin que serre Paul dans ses deux mains. Le caïd lâche le portefeuille.
— C’est bien, dit Paul. Maintenant, vous avez dix secondes pour disparaître. Sinon, je vous allume.
— Déconne pas, mec ! implore l’un d’eux en reculant. On voulait juste s’amuser…
— 10, 9, 8…
— Merde !
— 7, 6, 5…
Ils détalent soudain comme des lapins, s’évaporant rapidement dans l’obscurité. François est toujours par terre. Groggy mais conscient. Paul met le pistolet à sa ceinture puis aide l’avocat à se redresser.
— Allez, debout ! On rentre.
— Ils sont partis ?
— Ouais, mais faut pas traîner ici. Appuie-toi sur moi… Putain de soirée !
Chapitre 7
François ne parvient pas à ouvrir les yeux. Il est allongé sur le ventre, la tête sanglée à l’oreiller, incroyablement lourde. Comme si quelqu’un appuyait sur sa nuque. Et tous ces clous plantés à la racine des cheveux… Il met plusieurs minutes à se retourner sur le dos. Soulève une paupière avec précaution. Une seule pour économiser ses forces. Une lumière tranchante pulvérise sa pupille, il rabaisse précipitamment le store.
Il vient de comprendre que l’alcool et certains médicaments ne font pas bon ménage.
— Paul ?
— Oui ?
Il n’est pas seul. Ce n’était pas un rêve ou plutôt un cauchemar. Il sent quelqu’un s’asseoir près de lui, le matelas couine sous l’effort.
— Mal à la tête ?
François essaye de répondre mais ses lèvres semblent avoir enflé pendant la nuit. Sa langue aussi. Elle est énorme. En ciment ou en plâtre.
— Tu veux du café ?
Paul n’attend pas la réponse ; il décroche le téléphone au-dessus du lit. François l’entend commander un petit déjeuner. Sans doute avec un mégaphone. Décibels qui rebondissent contre les parois de sa falaise crânienne.
— Allez, on ouvre les yeux !
François s’exécute, la lumière l’agresse à nouveau. Plusieurs essais plus tard, il découvre le décor suranné d’une chambre d’hôtel et Paul, déjà habillé. Tandis que lui est encore habillé. Il se redresse difficilement, rattrape son crâne irrésistiblement aimanté par l’oreiller.
— Jolie gueule de bois ! T’as une tronche, j’te dis pas !
— Quelle heure il est ?
— Neuf heures et il fait un temps magnifique.
Le petit déjeuner arrive jusqu’à eux, apporté par le patron de l’hôtel en personne. François est gêné d’être surpris dans un état aussi lamentable.
— Tu mets du sucre dans ton café ?
Davin répond par un signe négatif de la tête, observant d’un œil éteint le jeune homme qui remplit les tasses. Il a l’impression que tout tourne au ralenti. Le café brûlant, un peu amer, le ramène à la vie. Progressivement, il se remémore les images de la veille au soir, comme un mauvais film.
Le resto, la plage. Un couteau. Une arme à feu.
Mais peut-être a-t-il rêvé ?
— Qu’est-ce qui s’est passé, hier soir ?
Paul, qui dévore une tartine de pain, se contente d’une réponse évasive.
— T’as bu trop de vin blanc.
— Je parlais de ce qui s’est passé après… Sur la plage.
— Tu t’en souviens pas ?
François finit son café, s’assoit sur le bord du lit. Il fixe Paul avec un embryon de colère au fond des yeux.
— T’as sorti un revolver, hein ?
— T’inquiète, c’est un faux ! Un jouet… Vaut mieux en avoir un quand on est sur la route.
— Un jouet ?
— Ouais. Mais plus vrai que nature !
— Montre.
— Quoi ?
— Le jouet.
— Pourquoi, tu me crois pas ?
— Si, si… Bien sûr.
Paul passe dans la salle de bains. François, dans un effort surhumain, se déplie pour s’emparer du sac à dos posé par terre. Il ouvre la première poche à l’avant, tombe direct sur le fameux jouet. Il le prend en main, reste le souffle coupé.
Beretta neuf millimètres. Plus vrai que nature, oui.
Avec plusieurs chargeurs.
— Lâche ça, ordonne une voix qu’il ne reconnaît pas.
Davin se retourne, l’arme dans la main gauche.
— Pose ça tout de suite.
François reste aphone. Paul s’approche, prudent. Il confisque le flingue avec délicatesse, le remet à sa place.
— Faut pas s’amuser avec ça… C’est dangereux.
— Parce qu’en plus, il est chargé ?
Paul le regarde droit dans les yeux. François frissonne.
— Évidemment, qu’il est chargé. Sinon, à quoi ça sert ?
Davin retombe sur le lit. Anéanti.
— C’est pas vrai !
— Te mets pas dans des états pareils…
— Merde… Je rêve !
Paul soupire. Il allume une Marlboro, se poste dos à la fenêtre, en face de François qui le dévisage maintenant avec fureur.
— Pourquoi tu as une arme, hein ? T’es qui, au juste ?
— T’inquiète. J’ai un flingue parce que ça peut servir. C’est tout.
— C’est tout ?! Mais…
— Je me suis dit que, dans ma situation, valait mieux que j’aie de quoi me défendre. Et puis heureusement que je l’avais hier soir. Sinon tu te serais pris une sacrée branlée ! Et t’aurais plus un rond… Plus rien.
— C’était des gamins !
— Ils avaient piqué ton portefeuille, tes gamins. Et ils allaient sans doute te casser la tronche… ou te planter une lame dans le bide.
— Arrête tes conneries ! ordonne François en se levant. Qui t’a procuré cette arme ?