François pleure longtemps, ni vu ni connu, assis dans le grand bac à douche. Ses larmes se fondent dans l’eau qui inonde son visage, son corps. Le bruit du jet couvre ses sanglots, sa faiblesse, tandis que de l’autre côté de la cloison, le jeunot chante à tue-tête.
Il lui faut du temps pour se calmer, s’apaiser.
Enfin, lavé pour un temps de ses angoisses et de ses frayeurs, il laisse la place à Paul qui prend son fidèle sac à dos avant d’entrer dans la salle de bains.
— T’as besoin de ton sac pour te doucher ? s’amuse François.
— Ouais ! Y a ma brosse à dents et mon peigne dedans. Y a toute ma vie dans ce sac !
À peine a-t-il disparu que quelqu’un frappe à l’entrée. Davin sent son cœur se serrer. Flo ? Elle a fini par trouver où il loge, débarque à l’improviste…
François hésite. Que va-t-il lui dire ?
Je vais mourir, ma chérie. Et tu n’y peux rien.
Personne n’y peut rien.
Les coups retentissent à nouveau. Davin se décide enfin.
Il suffira de la serrer dans mes bras. Il suffira de ne pas chialer devant elle.
Il tourne le verrou et tombe nez à nez avec deux hommes. Le colosse en noir aperçu à Marseille et un de ses acolytes.
Pas le temps de refermer, les tueurs s’engouffrent dans l’appartement comme un typhon, avant de claquer la porte derrière eux.
François recule, les autres avancent, le géant dégaine l’artillerie lourde.
— T’as intérêt à la fermer !
Davin oublie de respirer, se retrouve dos au mur, face au flingue.
— Où il est ?
— Qui ?
— Me prends pas pour un con. Où est Paulo ?
— Il est sorti !
— Où ?
— …
— Où ?!
— Mais je sais pas… Il… Il est allé faire un tour au village !
— La voiture est en bas, alors te fous pas de ma gueule ! menace l’homme en noir.
François tente de garder son sang-froid.
— Il est parti à pied.
Le mastodonte adresse un signe à son complice, lui ordonnant de fouiller l’appartement. Il en fait rapidement le tour et quand François le voit ouvrir la salle de bains, son cœur cesse de battre. Pourtant, le malfrat en ressort aussitôt.
— Il est pas là ! grogne-t-il.
Mais où est-il passé ? Le velux sur le toit, bien sûr ! Quoiqu’il faudrait avoir l’agilité d’un singe pour parvenir à se hisser là-haut…
Le molosse se plante à nouveau devant François. Il est vraiment immense, un visage sculpté dans le marbre par un artiste dénué de talent. Petits yeux d’ébène, perçants et vifs, front large et dégagé. Effrayant.
— Ton pote a quelque chose qui nous appartient, explique-t-il avec un calme étrange. Alors tu vas gentiment nous dire où il l’a planqué.
— Quelque chose qui… vous appartient ? Je ne sais pas de quoi vous voulez parler…
Il voit arriver le poing gigantesque, ne peut l’éviter. Sa tête exécute un demi-tour, ses cervicales se disloquent. Le géant le plaque contre le mur en lui broyant la trachée.
— J’t’ai déjà dit de pas me prendre pour un con…
— Je vous jure que je sais rien ! gémit François en crachant un peu d’hémoglobine. Je le connais même pas !
— Ah oui ? Pourquoi tu l’as amené jusqu’ici, alors ?
— Je comprends rien à cette histoire ! Je vous jure que je ne sais rien !
Deuxième coup, plus violent encore que le premier. Cette fois, François mord violemment le parquet en mélèze. La brute lui assène un coup de pied dans les côtes, le relève aussitôt, prête à continuer la distribution. François devine alors la silhouette de Paul qui vient de pousser discrètement la porte d’entrée dans leur dos. Quand il arme son Beretta, les deux types se retournent.
— Jetez vos calibres, ordonne-t-il.
Les frères Pelizzari hésitent un instant puis s’exécutent.
— François, ramasse les flingues.
Paul ne tremble pas, sa voix est posée, sa respiration régulière.
Davin s’avance prudemment, s’empare des deux pistolets en grimaçant, comme s’il se brûlait les mains.
— Fous-les dans ton sac, continue le jeune homme. Vous deux, à genoux, mains derrière la tête. Allez !
Les truands obéissent encore tandis que François reste tétanisé.
— Attache-les !
— Avec quoi ?
— J’sais pas, démerde-toi, bordel !
François réfléchit en accéléré. Dans la chambre, il récupère les lampes de chevet, arrache leurs fils électriques. Il s’agenouille et ligote les deux types, mains dans le dos.
— Magne-toi, putain !
— Ouais, ouais…
Enfin, sa besogne terminée, il se relève, essuie le sang qui coule de sa bouche. Paul braque toujours son Beretta en direction des deux frangins.
— Récupère nos affaires, on se casse.
— Non… Faut appeler la police !
— Discute pas, merde. On se tire !
Davin obtempère. Les sacs sont prêts en un temps record. Il éponge à nouveau le sang qui s’obstine à couler de sa lèvre fendue puis attend les instructions.
— On y va, indique Paul.
François sort sur le palier, Paul recule lentement, tenant en respect les trafiquants. Puis il les enferme à double tour. Enfin, ils se ruent dans la coursive. Un escalier, un vestibule, la cour du gîte.
La Mercedes grise est garée juste à côté de leur BMW. Le chauffeur en descend lentement, un automatique à la main. Paul se jette sur François, ils tombent à l’abri derrière un muret. Le Petit tient toujours son pistolet, François reste le souffle coupé.
La patronne du gîte, qui habite le chalet d’en face, choisit cet instant pour mettre le nez dehors. Elle passe près des deux voitures et s’arrête net en apercevant l’homme armé à côté de la Mercedes.
Depuis leur abri de fortune, Paul et François peuvent distinguer la jeune femme mais pas le troisième tueur.
Elle pousse un cri de terreur et lâche sa panière pleine de linge. Profitant de la diversion, Paul se relève et tire en direction du chauffeur qui se réfugie à la va-vite derrière sa berline. Cerise, pétrifiée, se retrouve au milieu de cette fusillade tandis que François ferme les yeux et se bouche les oreilles.
Finalement, il va peut-être y passer plus vite que prévu.
Une dizaine de détonations déchirent ses tympans. Puis le calme revient d’un seul coup. Il ose alors rouvrir les paupières avec la peur de ce qu’il va voir.
— Allez, bouge ! hurle une voix familière.
Paul n’est pas mort ! François se remet sur ses pieds pour courir jusqu’à sa voiture. Mais il s’immobilise lorsqu’il manque de trébucher sur le corps de Cerise. Allongée par terre, les yeux grands ouverts, un trou béant dans le crâne. Sur le gravier blanc, une large flaque écarlate.
Rouge cerise.
— Oh non, murmure-t-il.
— Allez viens ! répète Paul. Elle est morte, on peut plus rien pour elle… Amène-toi, merde !
François secoue la tête, les yeux exorbités. Alors Paul le saisit par le bras avant de le traîner de force jusqu’à la BM. Il faut encore enjamber le cadavre du chauffeur. Puis le gamin le pousse sur le siège passager et prend le volant.
Après un dérapage, la voiture s’engage sur la chaussée glissante à une vitesse hallucinante.
— Arrête-toi, maintenant ! ordonne François.
— Faut qu’on roule… Qu’on s’éloigne le plus possible.
— Arrête, j’te dis ! s’écrie Davin.
Paul consent à stopper la BMW sur le bas-côté d’une route de montagne déserte. Il coupe le contact, se concentre sur l’horizon, évitant soigneusement de regarder le visage tuméfié de son passager.