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— Tu te rends compte de ce qui vient de se passer ? demande François d’une voix tremblante.

— J’avais pas le choix. C’était lui ou nous.

— Il faut qu’on aille voir les flics, maintenant.

— Hors de question !

— Eh bien moi, je vais y aller !

— Ah ouais ? répond Paul en l’affrontant enfin de face. Tu veux finir en taule, c’est ça ?

— J’ai tué personne, moi !

— C’est pour éviter qu’il nous bute tous les deux que j’ai tiré.

— Justement ! Si c’est de la légitime défense, tu n’iras pas en prison…

Paul esquisse un sourire triste et allume une cigarette.

— On voit bien que tu connais pas les poulets !

— Je suis avocat, je te rappelle. Les flics, je connais.

— Je te signale que la patronne du gîte est morte, continue Paul.

— Et alors ? C’est pas toi qui l’as tuée !

Soudain, un doute atroce s’empare de François.

— C’est pas toi, n’est-ce pas ? répète-t-il avec angoisse.

Paul quitte la voiture, pour échapper aux questions, aux yeux accusateurs. Mais François le rejoint aussitôt, se campe face à lui.

— Réponds ! C’est bien lui qui l’a tuée ?

— J’en sais rien ! Elle était en plein milieu, il a tiré… Moi aussi.

François ferme les yeux.

— C’est pas vrai, murmure-t-il. Putain, c’est pas vrai…

— Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? Que je le laisse nous descendre tous les trois ? C’est ça que tu voulais ?

— J’ai jamais voulu tout ce qui s’est passé, rappelle Davin avec hargne. J’y suis pour rien dans tout ce bordel, moi ! Il faut que j’aille à la police pour tout leur expliquer.

— Tu veux me voir en taule, c’est ça ? Je te préviens, je me laisserai pas faire !

Paul devient menaçant, François traverse un bref instant de peur. Mais c’est la colère qui prend le dessus.

— Tu veux me tuer, moi aussi ? C’est ça ? Tu veux me buter ? Vas-y !

— Arrête de dire n’importe quoi.

— Excuse-moi d’être un peu paniqué ! J’ai pas l’habitude de me faire taper dessus par des truands ni de voir des gens se faire tuer !

— Moi non plus, figure-toi !

Bizarre, cette réplique sonne faux dans sa bouche.

— Qu’est-ce qu’ils veulent, ces types ?

— Je te l’ai déjà dit : j’ai été témoin de…

— Arrête de me mener en bateau ! Ils m’ont dit que tu avais quelque chose qui leur appartenait !

— Ils t’ont raconté des conneries, élude le jeune homme.

Davin ouvre la portière arrière de la BMW, s’empare du fameux sac à dos. Paul veut le lui arracher des mains, une lutte musclée s’engage sur le bord de cette route fantôme. Mais François a de la force. Beaucoup de force, soudain. Il parvient à repousser le jeune homme, l’envoie au tapis. Sa tête heurte l’asphalte avec violence, il est sonné. François en profite pour renverser le contenu du sac sur le capot de sa voiture. Quelques affaires de toilette, un portefeuille, un briquet, une grosse pochette cartonnée et un sachet en plastique qui contient un truc lourd soigneusement emballé dans du papier journal.

— Touche pas à ça ! s’écrie Paul qui vient enfin de se remettre debout.

— C’est ça qu’ils cherchent ?

— Touche pas à ça !

Le Petit hésite à s’approcher. Il a la main sur la crosse de son pistolet.

— Vas-y, tire, conseille François avec un étonnant sang-froid. Descends-moi…

— Arrête, merde !

Davin comprend qu’il vient de trouver la clef de l’énigme. Il déchire le papier journal, découvre cinq sachets de poudre blanche. Il reste quelques secondes hébété, Paul revient à la charge, le bouscule et récupère sa précieuse cargaison pour la remettre à l’abri. Davin l’observe, sans réaction. Écœuré.

— C’est ça qu’ils veulent… C’est cette merde !

Paul finit de ranger ses affaires ; gestes nerveux, saccadés.

— Tu transportes de la came, espèce de salaud… Dans ma propre bagnole ! Comment as-tu osé ?

Le Petit se mure dans le silence. François l’empoigne alors par le col de son blouson.

— C’est ça qu’ils veulent ?

— Lâche-moi !

— Réponds !

— Évidemment que c’est ça ! C’est leur dope qu’ils veulent…

— Tu l’as volée ?

— Ouais, j’l’ai volée !

Paul se dégage enfin et s’éloigne un peu de son juge.

— Le patron voulait pas me filer ce qu’il me devait, alors je me suis payé moi-même.

François ne tient plus debout.

Trop.

Trop d’émotions, de violence, de sang.

Il s’effondre sur le siège de la voiture. Sa tête enfle, il la récupère entre ses mains.

— Ça va pas ?… François ?

— Tu me donnes envie de gerber…

— J’avais pas le choix !

— Tu vas en faire quoi de cette saloperie ?

— La revendre, bien sûr ! C’est pour ça que je dois aller à Marseille. Là-bas, j’ai un pote qui pourra me la fourguer.

— Tu as failli nous faire tuer pour ça ? Pour cinq paquets de drogue ? La femme du gîte est morte pour ça ? Je comprends rien… Pour quelques billets !

Paul écarquille les yeux.

— Quelques billets ? T’es malade ! Tu sais pour combien de pognon y a dans ce sac ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Je ne suis pas un trafiquant, moi !

— Il y a de quoi me permettre de refaire ma vie loin d’ici. Très loin d’ici.

— Tu rêves…

— Ah oui ? Cinq kilos de coke, ça représente plus de deux cents plaques !

Cette fois, c’est François qui écarquille les yeux.

— Deux cents plaques, je te dis. Alors compte pas sur moi pour leur rendre !

— Je fais un cauchemar, je vais me réveiller…

— Je t’en donnerai une partie, propose soudain le jeune homme.

François l’assassine du regard.

— Pour qui tu me prends, petit con ? Tu te rends compte que des gens vont mourir à cause de cette saloperie ?

— Si c’est pas avec ma came, ce sera avec celle d’un autre, se défend Paul avec un haussement d’épaules. Alors autant que ça me permette de me sortir de la merde.

François entame un chemin de ronde autour de la voiture, essayant de retrouver un soupçon de calme.

— Deux morts, cinq kilos de drogue ! Et des mecs qui nous cherchent partout pour nous faire la peau…

— Je me demande comment ils nous ont retrouvés, dit soudain Paul.

— Qu’est-ce que j’en sais, moi !

— Tu as dit à quelqu’un qu’on était dans ce trou perdu ?

François se remémore alors sa conversation téléphonique avec Florence. La seule personne à connaître leur refuge.

Mais Flo n’a rien à voir avec tout cela. Elle est à dix mille lieues de toute cette boue.

— Je l’ai seulement dit à Florence. Mais c’est pas elle qui a pu leur révéler où nous étions.

— Ouais… Je comprends pas comment ils ont fait. Bon, faut qu’on se tire d’ici… Parce qu’ils ne vont pas lâcher le morceau.

Mais François ne semble pas prêt à redémarrer. À reprendre cette cavale. Il se rassoit au volant, se cloître dans le silence. Paul l’observe du coin de l’œil, ne sachant trop quelle attitude adopter. Ne pas le brusquer, le persuader en douceur. Il a déjà été suffisamment secoué.