Выбрать главу

Le patron lui apporte son café crème, il allume une Royale avant de se plonger dans le quotidien local. Des jours qu’il n’a pas lu un canard ! Bien sûr, il cherche l’article qui, immanquablement, relatera la fusillade du gîte. D’ailleurs, cette information fait la une. Avec, à l’appui, une photographie en couleur de l’établissement si tranquille, devenu la veille le théâtre d’une tragédie. Il inspire profondément, passe en page 2 pour lire le papier complet consacré au drame. D’emblée, quelque chose le choque ; le journaliste évoque le meurtre inexpliqué de Mme Arlanc mais ne mentionne nulle part la mort du chauffeur de la Mercedes.

Un seul cadavre.

Quant aux deux hommes enfermés dans la chambre, aucune trace d’eux non plus. Les trafiquants ont sans doute eu le temps de s’échapper avant l’arrivée des forces de l’ordre, emportant avec eux le corps de leur défunt complice. Le journal précise bien qu’aucune piste n’est pour le moment suivie ou privilégiée par les enquêteurs, en l’occurrence une brigade de gendarmerie locale. Mais de toute façon, si piste il y a, elle n’apparaîtra évidemment pas dans le journal.

Davin est bêtement rassuré : l’article ne mentionne ni son nom ni celui de Paul… Quel est son nom, au fait ? Il réalise qu’il ne le connaît même pas !

Il continue à feuilleter la rubrique faits divers et, tout à coup, son cœur s’emballe. Un homme retrouvé assassiné dans sa voiture sur un chemin forestier… Ses mains se crispent sur la feuille, sa vue se trouble. Il s’évertue à dissimuler son malaise intense, trouve le courage de lire la suite. Pas de doute, le type de l’Express a bien succombé à plusieurs coups violents portés sur le crâne. M. Rivault, retraité de l’armée vivant dans ce patelin perdu, a trouvé la mort dans des circonstances encore mystérieuses. Car là non plus, aucune piste. Le mobile du crime semble être le vol, son portefeuille ayant été vidé de son contenu avant d’être abandonné dans le sous-bois.

Des bulles de colère lui montent à la tête… Ce petit salaud lui a piqué son fric ! Et si ?… S’il m’avait menti, une fois encore ? Si c’était lui qui avait attiré l’innocent M. Rivault sur cette piste pour lui taxer son argent et le tuer ? Non, impossible, le Petit n’aurait jamais fait une chose pareille… Sinon, j’aurais subi le même sort.

François commande un deuxième café. Noir, cette fois.

Ce gosse sème la mort derrière lui ! Mais Paul n’a fait que se défendre. La blessure sur son cou, je l’ai vue. Elle est bien réelle. Il n’a pas voulu le tuer, a juste frappé un peu trop fort. Il n’est pas coupable, plutôt victime.

Pourtant, François ne sait plus vraiment quoi penser. En cet instant, il songe même à fuir comme un voleur. Récupérer la BM, partir le plus loin possible. Sans dire au revoir ni donner la moindre explication. Sans même retourner dans la chambre s’il le faut.

L’instant d’après, il se ravise. Il a déjà essayé d’abandonner le môme, n’a pas réussi. Il n’en a pas envie, tout simplement. L’idée de trancher ce lien l’effraie, lui fait mal. Même si ce serait la meilleure chose à envisager. La plus sage en tout cas.

Mais sage, il ne l’est plus. Fini, le François raisonnable, dans sa petite vie bourgeoise et bien rangée.

Davin laisse de côté les infos locales pour s’attaquer au quotidien national en essayant d’oublier M. Rivault.

Au fil des pages, il réalise à quel point il est déconnecté du monde. Il n’est plus au courant de rien, lui qui était toujours le premier à tout savoir… Ce qui se passe dans ce monde lui est désormais étranger. Comme si déjà, il n’en faisait plus partie.

Il sirote son deuxième café, tout en continuant à tourner les pages. Soudain, il lâche sa tasse qui se brise à ses pieds. Il reste pétrifié quelques secondes avant de tomber à son tour, inconscient sur le carrelage dur et froid.

* * *

Paul se réveille en sursaut lorsque la porte de la chambre grince de façon lugubre. Il se redresse prestement et voit un zombie s’avancer vers lui.

— Où t’étais ? T’as une drôle de tête !

François, méconnaissable, s’effondre sur son plumard défait. Les yeux gonflés, cernés, les lèvres tremblantes, le teint neigeux. Un hématome sur la joue, à peine visible pour le moment, mais qui promet de lui dévorer sous peu la moitié du visage.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

François le dévisage avec des yeux de malheur. Soudain, il se rue jusqu’aux toilettes, heurtant violemment la petite table au passage.

— Super, soupire Paul. Voilà une journée qui démarre d’enfer !

Il se rend au chevet du malade. François a eu le temps de tirer la porte derrière lui, le jeune homme préfère ne pas entrer.

— T’as besoin de moi ?

Pas de réponse. Seulement une respiration hachée, un corps qui hurle sa souffrance. Le gamin abandonne, retourne sur son pieu, allume sa première cigarette. Il observe la pluie qui bat les toits.

— Pleut tout le temps dans ce pays de merde ! marmonne-t-il.

Il termine sa clope lorsque François revient dans la chambre, encore plus pâle que l’instant d’avant.

— C’est ton mal de tête ?

— Oui…

Il se pose sur son lit, les yeux rivés au mur, incapable d’exprimer par des mots ce qu’il endure. Le Petit vient s’asseoir à côté de lui, enroule un bras autour de ses épaules. Un geste amical, rassurant.

Un geste inédit, entre eux.

— Tu veux pas me dire ?

— Elle est morte…

— Morte ?

— Elle est morte !

François se met à pleurer, se dégage pour tourner le dos à son compagnon. Paul ne saisit pas bien. Il pense immanquablement à Cerise.

— Tu sais, je voulais pas la tuer ! Mais c’est sans doute pas moi…

— Les journaux disent qu’on l’a retrouvée hier, à la maison.

Paul fronce les sourcils.

— Mais de qui tu parles ?

— Florence ! gémit François du fin fond de son désespoir. Florence est morte !

Il ne peut continuer, étranglé par ses sanglots. Paul doit patiemment attendre ses explications.

— Elle s’est suicidée ! ajoute-t-il enfin.

— Merde…

Paul vient de réaliser. Que Florence ne s’est pas suicidée.

Enfin, il comprend comment les frères Pelizzari l’ont retrouvé. Tout devient clair, ou presque. Dans ce raisonnement, il a presque oublié le chagrin de François. Il repose une main sur son épaule, serre sa poigne, un peu fort. Lui avouer la vérité maintenant conduirait à se faire haïr. Florence est morte à cause de lui, assassinée par des hommes qui ne veulent qu’une chose : récupérer le précieux chargement que Paul transporte dans son sac. Pour éviter de mourir à leur tour… Au fil des minutes, François arrête de pleurer. Il s’est allongé, laisse son regard divaguer sur le plafond blanc, marqué de profondes cicatrices ; peinture craquelée qui n’est pas sans rappeler l’intérieur de son crâne.

Tout part en lambeaux, tout risque de céder.

— Calme-toi, murmure Paul. Calme-toi…

— Elle… elle a avalé des somnifères, continue François. Elle est morte par ma faute. Elle n’a pas supporté que je la quitte !

— T’en sais rien. Ce n’est peut-être pas ça… C’est trop tôt pour savoir.

— Mais si ! C’est à cause de moi, je ne suis qu’un salaud !

— Ne dis pas ça, merde ! T’en sais rien de ce qui s’est passé.

Non, il n’en sait rien. Englué dans sa peine, enfermé dans son malheur, il ne voit pas la réalité en face. D’ailleurs, il ne voit plus rien du tout. Son mal en profite pour reprendre le dessus, s’immisçant par la brèche, profitant lâchement de sa faiblesse. D’un seul coup, il explose à l’intérieur de son crâne, irradiant chaque parcelle de son corps tel un gigantesque incendie.