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Florence, sacrifiée avant l’heure, on s’en fout ?

Facile.

Pas tant que ça. Pas pour François, en tout cas.

Il veut aller dans la salle de bains, se prend les pieds dans le sac à dos qui traîne au milieu de la pièce ; il râle un bon coup, s’aperçoit soudain que plusieurs boîtes de morphine en sont tombées. Il en compte cinq. À l’intérieur, d’autres encore.

— Où t’es-tu procuré tout ça ?

— J’en ai pris plusieurs, comme ça tu en auras toujours sur toi !

— Mais comment tu as fait pour…

— Je les ai achetées au marché noir !

François saisit une boîte, la retourne et lit : Réservé à l’usage hospitalier.

— Au marché noir ? Avec quel fric ?

Paul soupire.

— T’es vraiment casse-couilles ! Je trouve un truc qui te soulage la tronche et tu me poses un milliard de questions !

— Où t’as eu ces boîtes ? s’obstine François.

— Ça te regarde pas. C’est mon problème. Quand on n’a pas de blé, on se débrouille.

François lâche prise pour le moment. Il n’a peut-être pas envie de savoir, finalement. Il passe dans la salle de bains et, tandis qu’il prend sa douche, la voix de Paul qui chantonne de l’autre côté de la cloison arrive jusqu’à ses oreilles.

Jusqu’où va l’emmener ce môme ? Jusqu’où osera-t-il le suivre ?

De toute façon, une seule destination possible. Un seul terminus.

La mort.

Avec ou sans lui. Par n’importe quel chemin. Car tous mènent au même endroit.

Quatre planches et des mètres cubes de terre froide.

Est-ce qu’on entend tomber la terre sur le cercueil ?

Non, mon amour, on n’entend plus rien du tout…

* * *

Col de la Cayolle, sources du Var. Ils quittent la vallée de l’Ubaye.

La route serpente en altitude, au milieu d’un paysage grandiose.

Ils sont au-dessus de la zone de combat, celle où les arbres cèdent la place à la pelouse alpine balayée par les vents et dorée par les prémices de l’automne. Tout arrive vite, ici.

Des rochers énormes, posés sur l’herbe rase et les mousses, semblent avoir été jetés là par des géants, en des temps immémoriaux.

François coupe le contact un instant, laissant sa voiture au milieu de la route. Elle est déserte, de toute façon…

Ils sortent quelques minutes affronter les rafales puissantes, l’air déjà froid. Ils écoutent ce chant si particulier, celui de la montagne qui respire lentement, calmement.

À l’horizon, une kyrielle de sommets qu’on dirait bleus leur donne l’impression d’être miniatures.

D’ailleurs, n’est-ce pas ce qu’ils sont face à cette force colossale ?

François ferme les yeux et inspire profondément comme pour puiser ici ses dernières forces. En rouvrant les paupières, il s’aperçoit que le Petit le dévisage.

Pas de pitié dans son regard, ainsi qu’il l’avait craint.

Mais de la douleur, ainsi qu’il n’avait osé l’espérer…

Ils remontent en voiture et redescendent doucement vers la civilisation.

Déjeuner dans une petite auberge et la route qui s’offre à nouveau. À coups de litres de carburant, à coups d’accélérateur, la fuite continue.

Essayer de ne pas trop penser à Flo, à l’homme dans l’Express, à Cerise. Aux tueurs qui rôdent, aux cinq kilos de cocaïne.

À la saloperie qui bouffe sa matière grise.

À avant. Ni à après, d’ailleurs.

Écouter seulement la voix chaude de Paul qui chante, encore et encore. Pourquoi chante-t-il si souvent ?

— Où veux-tu aller ? demande François à une intersection.

— Ben… J’en sais trop rien.

— Où est ton père ?

Paul se remet à fredonner, fixant la route.

— T’as pas envie d’en parler, c’est ça ?

— T’as tout compris !

François se demande pourquoi il a remis ça sur le tapis. Un peu comme s’il voulait le ramener au bercail. Le confier à son paternel avant de…

— OK. Je prends quelle direction ?

— Marseille… Je vends la came, on partage et on se sépare.

Le cœur de François se broie dans un étau. Il tente cependant de ne rien montrer.

— Pourquoi veux-tu qu’on partage ? Cet argent ne me servira à rien, tu sais… Et puis j’en veux pas. C’est de l’argent sale.

— Comme tu voudras.

— Et ensuite ? Tu iras où ?

— Loin.

François aussi, aimerait partir loin. Mais loin de quoi ? Même à l’autre bout de la terre, il sera près de la mort.

Ce n’est ni une question de lieu, ni une question de temps.

Ce temps qui défile inlassablement, le rapprochant toujours un peu plus de l’échéance.

Tic-tac.

Son horloge interne le lui rappelle sans cesse.

Il baisse la vitre car il a mal au cœur. Putain de morphine !

— Tu sais déjà où tu vas partir ?

— Les îles, peut-être…

Paul attrape son sac à dos, fouille à l’intérieur, en sort une vieille carte postale écornée, délavée. Il la montre à François qui la regarde furtivement ; une plage de sable blanc bordant une mer parfaitement bleue. Un cliché usé par les années.

— C’est là que je veux aller ! explique Paul avec un sourire de petit garçon.

— À Tahiti ?

— Ouais ! T’y es déjà allé ?

— Oui.

Avec Florence, justement. François réprime un sanglot.

Flo… Vais-je me rendre à son enterrement ? Oui, bien entendu… Je ne peux pas la laisser partir seule.

Mais aura-t-il le cran ? Osera-t-il se présenter à la cérémonie comme un coupable, un meurtrier revenant sur les lieux du crime ?

— C’est vrai ?

François sursaute.

— Hein ?

— C’est vrai que tu connais Tahiti ?

— Oui, c’est vrai…

— Raconte !

— Donne-moi une clope.

Paul se hâte d’allumer deux cigarettes en même temps, en tend une à son chauffeur.

— Alors, raconte !

— C’est très joli, il y a de belles plages, une mer limpide…

— Limpide ? Ça veut dire quoi ?

François fronce les sourcils. Limpide, ce n’est pas un mot savant, pourtant ! Mais il a déjà remarqué que le vocabulaire du Petit a des failles. Le manque d’école ou de livres, sûrement.

— Limpide, ça veut dire claire, pure… Transparente.

— Ah… Oui, bien sûr.

— Il y a aussi beaucoup de montagnes. Il pleut presque chaque jour, c’est très humide et très chaud.

Il pourrait ajouter qu’on en fait assez vite le tour, mais se ravise. Autant ne pas briser ses rêves dans l’œuf. Il continue donc son exposé, telle une agence de voyages qui vend sa destination phare, sa camelote. Paul l’écoute avec des airs d’enfant sage, subjugué par ce récit, par les couchers de soleil fulgurants. Un jeune garçon dont on ne pourrait, à cet instant, soupçonner la violence. Et lorsque François est à court d’idées, Paul reste longtemps silencieux.

Allongée sous les cocotiers, les yeux perdus dans l’immensité de l’océan, caressée par les vents du large, Marilena lui sourit tendrement…

* * *

François arrête la voiture sur une aire de repos, au bord de l’autoroute.

— On prend un café ? propose-t-il.

— Si tu veux !