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Ils marchent jusqu’à la cafétéria, heureux de se dégourdir les jambes. Après un tour dans les toilettes, un coup d’eau sur le visage, ils s’attablent dans la grande salle vide et commandent deux expressos.

— Tu vas aller à l’enterrement de Florence ?

Les mains de François se crispent sur la tasse.

— Je crois, oui.

— Vaudrait mieux pas.

— Pourquoi ?

— Ben… Tu vas avoir encore plus mal.

— Peut-être. Mais c’est ma femme ! C’était ma femme…

— J’ai peur que les mecs qui me courent après t’attendent là-bas.

François n’avait pas pensé à ça.

— Tu as peut-être raison.

Encore un bon prétexte pour être lâche.

— Et toi, tu ne crois pas qu’il est encore trop tôt pour retourner à Marseille ?

— Ils ne me retrouveront pas, assure le jeune homme. De toute façon, vaut mieux que je traîne pas trop.

— Ah oui ? S’ils savent qui est ton pote, ils n’auront aucun mal à te localiser, tu sais… Ils nous ont bien repérés dans un trou perdu !

— Ouais, mais Marseille, c’est immense ! Je n’irai pas chez lui. Je l’appellerai, on se filera rancard.

— Je crois que tu devrais renoncer à ça, s’obstine François. Tu devrais abandonner ce paquet de drogue devant un commissariat. Tu pourrais trouver un boulot et…

— Mais t’es barge ! chuchote Paul. Je vais pas jeter deux cents plaques par terre ! Ça va pas ou quoi !

— Tu préfères mourir ?

Paul soupire, allume une cigarette.

— Écoute, ils me lâcheront pas, de toute manière. Si je ne quitte pas ce pays, ils finiront par me mettre la main dessus et me feront la peau. Même si j’ai plus la came.

François lui jette un regard terrifié.

— Ils me retrouveront, j’te dis ! Dans un mois, un an, dix ans… C’est pas le genre de mecs à laisser tomber ! Je t’ai expliqué : je sais des choses. Je sais trop de choses… Alors il faut que je vende cette poudre et que je me barre à l’autre bout du monde. C’est ma seule chance. Tu comprends ?

— Ce que je comprends, c’est que t’es complètement cinglé !

— Mais non ! Si mon plan réussit, je me la coulerai douce sur une plage avec du pognon plein les poches !

— Et s’il foire, ton plan ? Hein ?

— Eh bien je mourrai… Ainsi va la vie ! De toute façon, ça sera une perte pour personne.

— Ah oui ? Et ta famille ?

Paul détourne la tête.

— Quelle famille ?

François n’ose pas dire ton père. Il connaît d’avance la réaction. Ils restent longtemps murés dans un silence agacé, un peu gêné. François fixe le comptoir, tandis que Paul regarde en direction du parking. Soudain, il se redresse légèrement sur sa chaise.

— Merde…

Une voiture de gendarmerie, deux types en uniforme qui s’intéressent de près à la BMW.

— Qu’est-ce qu’ils veulent ? demande François d’un ton nerveux.

— J’en sais rien… Mais on se casse d’ici vite fait !

— Quoi ?

— Faut pas qu’ils nous trouvent ! Allez, viens !

— Je veux pas laisser ma voiture ! On va pas partir à pied ! Je vais aller leur parler, voir ce qu’ils veulent.

— Hors de question. Allez, amène-toi !

François hésite, reste quelques secondes debout, près de la table, observant avec angoisse les deux gendarmes. Mais lorsqu’il les voit s’avancer vers la cafétéria, il panique et se rue en direction des toilettes.

Paul s’y trouve déjà, en train d’ouvrir la petite lucarne au-dessus des lavabos.

— On s’arrache par là ! Bouge ton cul !

François grimpe sur une des vasques ; il a du mal à suivre le jeune homme dont l’agilité est prodigieuse. L’ouverture est étroite, permettant tout juste le passage. Paul est déjà de l’autre côté, à l’attendre.

— Magne, putain !

François parvient à se faufiler et retombe lourdement sur le bitume. Ils contournent la cafétéria, lorgnent les deux militaires en train de parler avec le serveur qui montre du doigt les sanitaires.

— Allez, fonce ! ordonne Paul.

Ils courent à toute vitesse jusqu’à la BM, s’engouffrent dedans. François a pris le volant, Paul sort son pistolet et tire dans les pneus de la voiture de gendarmerie.

— Roule !

La gomme crisse sur l’asphalte, la voiture s’élance vers la voie d’accélération, s’éloignant du danger à une vitesse hallucinante. Les uniformes s’évanouissent dans le rétroviseur.

— On prend la première sortie ! indique Paul en rangeant son arme dans le sac.

— Merde ! T’es malade ou quoi ? Ils vont prévenir les renforts et nous attendre au prochain péage !

— Accélère ! Prends la première sortie que tu trouveras ! répète-t-il.

— Mais qu’est-ce que tu me fais faire !

Quelques minutes plus tard, une opportunité se présente. François ralentit à l’approche du péage, scrute l’horizon, craignant à chaque instant d’apercevoir les voitures bleues, les gyrophares, les hommes armés. Mais tout est calme. Il insère sa carte dans l’automate, la récupère l’instant d’après. À peine la barrière levée, il redémarre à fond, collant Paul à son fauteuil.

— Du calme, murmure le jeune homme. Tout va bien… On est hors de danger, maintenant.

— Facile à dire ! On a juste les gendarmes aux basques !

— Ils ont dû trouver ton nom sur le registre du gîte, ils doivent rechercher ta voiture.

— Il faut arrêter tout ça, s’expliquer avec eux… Je peux très bien y aller seul, ne pas parler de toi. Dire que j’ai vu la fusillade, que j’ai eu peur et…

— Non ! On va pas risquer de finir en taule. On va changer de bagnole, voilà tout…

— Certainement pas !

— Il faut au moins changer les plaques.

— J’arrive pas à croire que je suis en train de faire ça ! J’arrive pas à le croire…

— Arrête de stresser ! conseille Paul en allumant l’autoradio.

Il se met à chanter, comme s’il refusait d’être contaminé par l’angoisse de François qui traverse l’habitacle telle une ligne à haute tension. Sur les ondes, un air mélancolique qui lui rappelle quelqu’un. Mais qui, déjà ? Paul se creuse la cervelle. Ça y est, il se souvient… Un appartement un peu sordide. Un homme fredonnait cette mélodie sous sa douche. En s’approchant, Paul avait pris quelques secondes pour l’écouter avant de…

— Je sais pas pourquoi je te suis, dit soudain François comme s’il se parlait à lui-même. Je comprends pas… Je ne sais même pas qui tu es !

— C’est vrai, concède Paul avec un étrange sourire. Mais on s’entend bien tous les deux, non ? On est bien ensemble… En tout cas, moi je suis bien avec toi.

Chapitre 12

La nuit a englouti vignes et collines.

François essaye de retrouver son chemin dans l’obscurité.

— T’es sûr que c’est par là ? s’inquiète Paul.

— Certain ! Ce décor me parle…

Avignon derrière eux, Saint-Rémy-de-Provence n’est plus très loin.

— Ça fait longtemps que t’es pas venu ici ? questionne le Petit.

— Oh oui ! C’est une auberge où j’allais parfois avec ma première femme.

— T’as été marié ?

— Oui, bien sûr.

Pourquoi bien sûr ? On peut bien passer une vie sans se marier !

— Comment ça se fait que vous êtes plus ensemble ?

— T’es bien curieux, je trouve !

— C’est elle qui s’est barrée ou c’est toi ?