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— Très bien, dit François. Vous nous apporterez une bouteille de votre meilleur vin rouge. Et une vodka en apéritif.

— Bien, monsieur. Pour le vin, je peux vous conseiller un…

— Je vous fais confiance, coupe François avec un sourire décidé.

— Merci, monsieur.

Elle s’éloigne sans un bruit, François remarque alors que le malaise de Paul va croissant.

— Détends-toi, ils ne vont pas te manger.

— Je suis sûr qu’ils se foutent de moi !

— Ah oui ? Pourquoi donc ?

— Parce que je suis pas habillé comme eux, ou parce que j’ai les cheveux longs… Et puis c’est quoi, toutes ces fourchettes ?

— Il y en a une pour le poisson et deux pour les autres plats.

— Et pourquoi trois assiettes ?

— C’est juste de la décoration ! explique François avec un sourire moqueur. Fais comme d’habitude, tout se passera bien.

L’apéritif arrive, accompagné de petits canapés maison. François lève son verre.

— À notre étrange équipée !

À la mine de Paul, il comprend qu’un doute subsiste dans son esprit sur le sens du mot équipée.

— À notre étrange voyage, rectifie-t-il.

Mon dernier voyage.

Les verres s’entrechoquent un peu fort, les regards convergent instantanément vers ce duo hors du commun.

— Cul sec ! ajoute François.

Étrange secousse interne. Ils reposent leurs verres vides sur la table.

— T’en veux une autre ?

— Ouais !

La fille en noir et blanc apporte une nouvelle dose rapidement.

— On va être complètement bourrés si on commence comme ça ! s’inquiète Paul.

— Et après ?

— Ça risque de faire tache dans le décor.

— T’as peur de perdre le contrôle ? ricane François. Tu vieillis, Petit !

— Mais non, je les emmerde ! Je veux pas que tu sois mal à l’aise à cause de moi, c’est tout…

— Tu crois que j’ai honte de toi ? Tu crois vraiment ça ?

— Ben… j’ai pas tes bonnes manières et peut-être que…

— Tu sais, il y a quelques semaines, tu aurais peut-être eu raison. Mais aujourd’hui, je m’en fous complètement.

— Je t’ai pas connu avant, mais je suis sûr que t’es mieux maintenant !

— Si on veut… J’aurais quand même préféré que tout cela n’arrive pas.

— C’est pas ce que j’ai voulu dire, s’excuse Paul. C’est moche, ce qui t’arrive. Vraiment moche… T’as peur ?

François avale une nouvelle gorgée de vodka glacée. Il affiche une triste mine.

— Oui, j’ai peur. Tu peux même pas imaginer…

— À ta place, je serais mort de trouille, tu sais. Et quand j’aurai vendu la came, tu… Tu pourrais venir avec moi. On partirait loin d’ici, ensemble. Comme ça, je serai avec toi quand…

Les yeux de François s’emplissent d’un trouble intense que Paul prend pour de la douleur.

— Pardon. Je te gâche ta soirée.

— C’est pas ça… Ça me touche beaucoup ce que tu viens de dire.

— Qu’est-ce que t’en penses ?

— Je sais pas… Peut-être que j’ai envie de partir avec toi, finalement.

— Ce serait vachement cool, je t’assure.

— Moi aussi, je suis heureux de t’avoir trouvé sur ma route, traduit François. Même si tu m’en fais voir de toutes les couleurs !

L’ambiance devient trop lourde, trop chargée en émotions. Heureusement, la serveuse arrive avec le hors-d’œuvre, le fameux velouté d’asperges. Paul décide de détendre l’atmosphère à sa façon. Puisqu’ils le toisent tous d’un sale œil, il va leur donner une bonne raison de le faire.

— Ah ! s’exclame-t-il en se frottant les mains. Une bonne soupe, y a rien de mieux pour se réchauffer. C’est une super idée !

La jeune femme bicolore reste bouche bée, puis sourit à ce jeune client dont le charme ne la laisse pas indifférente.

— Bon appétit, messieurs.

— Merci, belle demoiselle ! répond Paul d’une voix tonitruante.

François s’aperçoit qu’un des couples les dévisage d’un air horrifié. Alors, il entre à son tour dans le jeu.

— T’as raison, mon gars ! Une bonne soupe, un bon pinard, y a pas mieux !

Paul éclate de rire, François le suit.

— Je sens qu’on va passer une très bonne soirée, papa ! ajoute le Petit.

Ils parlent fort, en rajoutent des tonnes. Se marrent comme des gosses.

On n’entend plus les flammes crépiter dans l’âtre ni les mouches imaginaires. On n’entend plus qu’eux. Ils deviennent l’attraction de la soirée. Certains sourient, d’autres affichent leur exaspération face à ces malotrus.

Le père et le fils ? Deux amants ? Deux amis ? Les suppositions muettes vont bon train.

— Ils vont nous foutre dehors ! chuchote Paul.

— Ça, ça m’étonnerait ! J’ai pris la suite la plus chère et payé deux nuits d’avance.

— D’avance ? Pourquoi ?

— Je suis pas un habitué. Et vu le prix, il leur faut une garantie.

— Quels gros connards ! s’écrie Paul. Ils nous prennent pour des Manouches ou quoi ?

Encore des œillades sidérées. La jeune serveuse garde un sérieux à toute épreuve. Mais, même si elle s’efforce de le cacher, elle semble bien s’amuser, elle aussi.

À la fin du repas, la salle est désertée, les deux amis échangent leurs impressions.

— T’as vu la gonzesse en robe rouge ? demande Paul avec un sourire gourmand. Celle qui était avec le type beaucoup plus vieux qu’elle…

— La pute ?

— Tu crois ?

— C’est évident…

— Elle est vachement mignonne !

— Elle est payée pour ça.

— Il va pas s’ennuyer, le débris !

— Lui non, mais elle oui ! réplique François.

Paul, bien éméché, laisse libre cours à un nouveau fou rire. La serveuse se présente à leur table.

— Ces messieurs prendront un café ?

— Ces messieurs prendront un cognac ! corrige François.

— Vous voulez être servis ici ?

— Non, ces messieurs vont dans le salon !

S’ils y arrivent, toutefois.

Ils ont trop bu, ont du mal à rallier la grande pièce où a transhumé une partie des autres clients. Ils continuent à effrayer ceux qui ont trouvé refuge ici. Ce jeu leur plaît de plus en plus. La prostituée de luxe est la seule à rire de leurs facéties un peu puériles.

Ils se sont installés face à face, dans de somptueux fauteuils. La petite serveuse dépose les verres de XO sur le guéridon en ajustant un nouveau sourire à l’attention de Paul.

Un sourire sans équivoque.

François se penche vers le gamin.

— On dirait que tu lui plais, à la demoiselle !

— Tu crois ?

— J’en suis certain. Elle te dévore des yeux… Elle est jolie, non ?

— Sans son déguisement, elle doit même être très bonne !

— Tu devrais lui glisser un mot en passant.

— J’oserai jamais !

Cette réaction étonne François. Paul qui n’ose pas quelque chose ? Qui fait son effarouché devant une fille ? Cacherait-il une certaine timidité derrière ses paroles de macho ?

— Ah oui ? À ta place, j’essaierais… T’as la trouille de te prendre un râteau ?

— Un quoi ?

François rigole à nouveau.