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— Ils sont là… Les plaques ont été changées, mais c’est bien leur bagnole. Pas de doute.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demande Enzo avec un sourire de croque-mort.

— On ne peut pas intervenir pour le moment. Alors on attend qu’ils sortent.

* * *

François s’est rallongé sur son lit. Une bonne heure est passée depuis son coup de grisou.

Il est épuisé par cet accès de colère qui lui laisse un goût amer dans la bouche. Il a toujours mal à la tête, bien sûr, mais c’est supportable comparé à ce matin. Pourtant, il n’arrive pas à s’endormir, comme s’il avait bu des litres de café. Des litres d’adrénaline. Il n’a pas entendu Paul partir ; il est certainement prostré dans sa chambre, en train de se remettre de sa raclée. De ruminer cette mémorable correction.

— Je peux entrer ?

François tourne la tête et aperçoit le jeune homme sur le seuil. Il ne répond pas, s’assoit juste sur le matelas, des fois que l’autre ait des envies de vengeance. Il n’a pas dit non, alors Paul ose quelques pas et vient se poser sur la banquette, en face de lui.

— Qu’est-ce que tu veux ? demande sèchement Davin. Du blé, c’est ça ? T’as qu’à te servir dans mon portefeuille.

— Non, c’est pas ça… On peut parler ?

— De quoi ?

— De tout à l’heure.

— Je ne crois pas qu’on ait grand-chose à se dire, toi et moi.

D’un geste nerveux, François prend son paquet de cigarettes sur le chevet. Il attend, le visage fermé, dans un silence seulement déchiré par les coups de tonnerre. Mais le Petit ne parle pas, semblant avoir perdu de son assurance. Il joue avec ses doigts, comme avec de la pâte à modeler. Un hématome impressionnant orne sa mâchoire.

— Je savais pas que tu cognais si fort ! commence-t-il avec un sourire embarrassé.

— Moi non plus. Comme quoi, on en apprend tous les jours sur soi-même… Et sur les autres.

Paul baisse les yeux.

— Ton mal de tête va mieux ?

— T’es pas venu me causer migraine, non ? Alors parle, qu’on en finisse.

La voix est rêche, cassante. Pourtant, François souffre. En reniant ce fils illégitime, il a peur de se retrouver seul. Mais il préfère encore la solitude à la compagnie de ce…

— J’ai pas tout compris, attaque le jeune homme.

— Vraiment ? Tu veux que je te réexplique, peut-être ?

— Non… Je veux que tu sais…

— Que tu saches, rectifie Davin de façon mordante.

Le Petit cesse de parler un instant.

— Pourquoi tu t’es énervé comme ça ? demande-t-il finalement. Qu’est-ce que j’ai fait ?

— Qu’est-ce que tu as fait ? répète Davin avec un sourire méchant. Tu as forcé cette fille à se mettre à genoux et tu lui as enfoncé ta bite au fond de la gorge… Tu veux que je continue ? Que je répète les paroles que j’ai entendues ?

Le malaise de Paul va grandissant. Il cherche ses mots.

— Je sais pas être…

François s’impatiente.

— T’essaies de me dire quoi, là ? Que tu ne sais pas te conduire avec une fille ? Je m’en suis aperçu, figure-toi !

— J’ai toujours fait comme ça.

— Ben, ce sera loin de moi, dans ce cas. Parce que tu me donnes envie de gerber.

— Je m’excuse, alors.

— C’est pas à moi qu’il faut présenter tes excuses, petit con : c’est à elle !

— Mais je l’ai pas forcée ! se défend Paul. C’est elle qui est venue dans ma chambre. Elle était d’accord…

— Ben voyons ! Elle ne savait pas à qui elle avait affaire en se pointant ici ! J’ai vu son visage… tu l’as humiliée, brutalisée… Tu l’as traitée comme une merde ! Et tu crois quoi ? Qu’elle allait se mettre à appeler au secours ? Non ! Elle n’avait pas vraiment le choix ! Si son patron la surprend dans le pieu d’un client, elle est virée, figure-toi ! Arrête un peu de me prendre pour un con, tu veux ? Ne me dis pas que c’est elle qui t’a supplié d’agir comme ça !

— Non, admet timidement Paul.

François sent une telle détresse en face que sa colère descend d’un cran.

— Tu crois qu’une nana aime se faire traiter de la sorte ?

— Je sais pas…

— Tu t’en fous, c’est ça ?

— Y en a qui aiment !

François ricane.

— T’as regardé trop de pornos, Petit !

— Non…

— Alors, t’as un sacré problème ! Ton père t’a rien appris ou quoi ? Déjà qu’il t’a pas appris à parler correctement le français… Il ne t’a pas non plus inculqué les bonnes manières ?

Là, il a frappé durement. Le visage de Paul se contracte encore plus. Il va peut-être se jeter sur lui. François prépare la riposte, les poings serrés. Mais le môme reste figé sur le sofa.

— Mon père, c’est une ordure !

Ça, Davin s’en doutait un peu. Il enfonce le clou, appuie là où ça fait mal.

— Et tu es comme lui, c’est ça ? C’est génétique ?

— Je suis pas comme lui ! s’insurge Paul.

— Alors pourquoi tu te conduis ainsi ? Tu crois qu’elle méritait ça, cette fille ? Elle est mignonne, gentille…

— Je sais pas…

— Tu me gonfles avec tes je sais pas ! s’emporte l’avocat. Aucune femme ne mérite ça.

François écrase rageusement son mégot au fond du cendrier et se lève pour la suite de sa tirade.

— Une femme, c’est délicat, c’est précieux. Ce n’est ni un jouet, ni une chose. Tu comprends, ça ?

— Oui mais… Je l’ai pas frappée !

— Manquerait plus que ça ! s’écrie Davin. Si je t’avais vu la cogner, je t’aurais passé par la fenêtre ! Une femme, il faut la respecter. Toujours. Si tu n’y arrives pas autrement, c’est que tu as un sérieux problème, mon garçon.

Paul détourne son regard.

— Je sais pas… être tendre, confesse-t-il enfin.

Voilà un aveu difficile à entendre. François se rassoit sur le lit, un peu lessivé par cette conversation ou plutôt ce monologue moralisateur.

Il devine une main tendue vers lui. Le gosse est là, à chercher de l’aide. Mais Davin n’est pas certain qu’il mérite qu’on lui porte secours. Le visage de Sarah reste imprimé dans sa tête.

— Je suppose que tu as traversé des choses difficiles. Mais ça ne justifie pas ce que j’ai vu et entendu tout à l’heure.

— Je m’excuse, j’t’ai dit…

— Je m’en fous de tes excuses ! prétend François. Je veux comprendre, c’est tout. Tu ne penses qu’à toi, c’est ça ? Tu ne penses qu’à prendre ton pied et rien d’autre… Tu as tort.

François s’installe finalement près de lui.

— Tu as tort parce qu’il n’y a rien de plus beau…

Paul fixe la moquette, ses pieds nus.

— Je sais pas être différent… Ça me fout mal à l’aise !

— Je ne te suis pas très bien, avoue François. C’est quoi ton problème ? Tu penses que si tu es gentil, tendre ou attentionné, tu n’es pas un homme, c’est ça ?

Paul ne répond pas.

— Si c’est ça, tu te trompes. Un homme, ce n’est pas un gros con qui maltraite une fille ! C’est tout le contraire.

François se relève et va se planter devant la fenêtre. La pluie continue à marteler furieusement le sol. Il se retourne et fixe à nouveau le jeune homme droit dans les yeux.

— Tu aimais ta mère, Paul ?

Le gosse plonge dans un abîme, François comprend qu’il vient de tirer le rideau qui cache l’atroce vérité en coulisses.