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— Bien sûr que je l’aimais !

— Et tu aurais voulu qu’un homme la traite comme ça ?

— Mais non !

Paul cache son visage entre ses mains et se penche en avant. Il ne pleure pas, non. Il souffre. François revient vers lui et pose un bras sur le haut de son dos.

— Calme-toi… Parle-moi.

François ne lui extorque plus un seul mot. Il s’est enfermé dans ses enfers, refuse d’en sortir. Il lui faut de longues minutes pour retrouver la parole.

— Il la frappait tout le temps… tout le temps !

— Ton père ? Ton père frappait ta mère, c’est ça ?

Paul hoche la tête.

— Mais moi, je frappe pas les femmes !

— Je sais… Qu’est-ce qui s’est passé avec ton père ?

— Un jour, il a tapé plus fort et…

— Et elle est morte, c’est ça ?

— Oui.

— Il était violent avec toi aussi ? Il te battait ?

— Non… Pas moi, non… Enfin, pas souvent.

Pas souvent ?

— Tu veux ressembler à ton père, Paul ?

— Non !

Un cri de désespoir vient d’emplir la chambre, la suite, l’auberge.

— Alors il faut que tu changes, Petit… Faut que tu changes.

Paul inspire un bon coup. Il semble si mal à l’aise de s’être ainsi dévoilé.

— Excuse-moi. Je sais pas ce que j’ai… Tu veux que je m’en aille ?

François soupire. Cette scène lui en rappelle étrangement une autre. Mais il n’a pas le temps de répondre cette fois.

— Je veux pas partir sans toi, ajoute le jeune homme.

— Tu peux rester. Ça va.

— Tu sais, François, je… J’arrive pas à t’expliquer. C’est dur.

— Tu essaieras plus tard.

— Tu veux pas aller parler à Sarah ?

Davin écarquille les yeux.

— Mais qu’est-ce que tu veux que je lui dise ?

— Tu pourrais lui causer, toi. Tu sauras quoi faire.

— Et toi, qu’as-tu envie de lui dire ?

— Que je m’excuse… Si elle a eu peur ou quoi, je m’excuse.

— On verra. Laisse-moi me reposer, à présent.

— Personne a jamais été gentil avec moi… À part maman. Mais ça fait longtemps… Et toi, aussi.

Paul disparaît, emportant son malheur avec lui. François reste un moment immobile à contempler la pluie. La foudre tombe dans le parc, non loin de la bâtisse, il frissonne de la tête aux pieds.

Il regrette son comportement. Ces coups, toute cette brutalité. Il aurait suffi d’interrompre les ébats musclés, sous un prétexte quelconque, puis de parler à Paul, les yeux dans les yeux.

Il s’est emporté, parce qu’il a cru voir une bête, dans cette chambre.

Alors que Paul est seulement un enfant à qui on a oublié d’apprendre l’amour.

Un enfant devenu un homme.

Un homme dangereux. Désormais, François le sait.

* * *

Finalement, il a accepté. Parce qu’il n’a plus le choix.

La boîte d’antalgiques est vide, sa tête pleine de fureur. Il s’est injecté la drogue lui-même, Paul à ses côtés.

Maintenant, ils attendent. Le miracle, la guérison passagère. La délivrance.

— Tu veux savoir comment j’ai eu la morphine ?

— Je le sais, petit con ! Je l’ai lu dans le journal. Un braquage d’hosto, ça passe pas inaperçu !

— Y a pas eu de casse. J’ai blessé personne.

— Je suis au courant… Mais ne recommence jamais ça, OK ?

— OK.

Paul est content. Si François peut à nouveau parler, c’est qu’il va mieux. Sa tête encore lourde de douleur s’enfonce dans l’oreiller, ses yeux se ferment doucement. Alors, Paul s’éclipse sur la pointe des pieds en promettant de revenir, bien sûr.

Il passe dans sa chambre, puis dans sa propre salle de bains. Il a fait monter le dîner, ce soir. Mais François n’y a pas touché. Son plateau est reparti intact vers les cuisines. Paul aussi a manqué d’appétit. Il est tourneboulé, désorienté. Sous la douche, il repense aux paroles de François.

François qui a bien voulu aller glisser quelques mots à la jeune serveuse, en début de soirée, avant que le mal ne le crucifie sur son lit. Il n’a rien révélé de cette entrevue sauf que ça s’était bien passé. Et c’est tout ce qui compte pour Paul. Que François n’ait plus honte de lui.

Mais ça, c’est impossible. Parce que ce qu’il a fait subir à cette fille, ce n’est rien. Rien à côté de…

Il sort de la douche, s’enroule dans une serviette et s’effondre sur son lit. Il descendrait volontiers au bar boire quelques verres, pour laisser la nuit s’avancer. Mais il n’ose pas affronter Sarah. C’est la première fois que ça lui arrive. Quelques filles lui ont déjà reproché son attitude. Et après ?… Ça lui était égal. Elles n’avaient rien compris, sans doute. N’y connaissaient rien aux mecs, voilà tout ! D’ailleurs, la plupart n’ont jamais rien dit. Au contraire…

Peut-être avaient-elles peur de moi. Peut-être qu’elles aussi, ne connaissaient rien d’autre.

Il ne s’était jamais posé la question… Mais aujourd’hui, les coups et les paroles de François ont atteint leur cible. Des questions, il s’en pose. Se torturant le cerveau depuis des heures.

Parce que François compte pour lui. Tellement que ça l’effraie. Il devient une sorte de modèle. Si différent de ceux qu’il a eus jusqu’à présent…

Les pourquoi succèdent aux comment et aux quand. Les questions, ce n’est pas nouveau. C’est même parce qu’il s’en est trop posé qu’il est là ce soir. Parce qu’il a commencé à changer, justement. Mais va-t-il y arriver ? En aura-t-il seulement le temps ?

Car dans cette auberge, il n’y a pas qu’un seul homme en sursis. Il y en a deux.

Le temps passe, à la vitesse de l’ennui. Paul, toujours sur son pieu, fume cigarette sur cigarette. Jusqu’à ce que quelqu’un tape à la porte de la suite. Il enfile son jean à la va-vite, s’approche. Il n’ouvre pas, bien trop méfiant.

— Paul ? C’est Sarah…

Dans la pénombre de l’alcôve, François sourit.

Lorsqu’il a entendu la jeune femme entrer, il n’a pas pu s’en empêcher. Il est allé à pas de loup jusqu’à la chambre du Petit, a collé son oreille contre la porte. Juste pour se rassurer. Car Paul reste un mystère. Imprévisible. Et si jamais il recommençait ?

Mais ce qu’il perçoit le réconforte. D’ailleurs, ce n’est pas le gosse qui parle. C’est Sarah.

Elle est bien, cette fille ! Il a de la chance d’être tombé sur elle.

Apparemment, Paul est dans ses petits souliers… Il se laisse amadouer, apprivoiser. Tout juste s’il ose bouger.

François retourne dans son antre, rassuré.

Il n’y a qu’une femme qui puisse lui apprendre. L’initier.

Demain, le Petit aura un autre visage.

Sur cette certitude, François sombre doucement dans un sommeil peuplé de délires et de mort.

Quand la pluie étalant ses immenses traînées D’une vaste prison imite les barreaux, Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux
Les Fleurs du mal, LXXVIII, « Spleen »