Ça rebondit à l’infini contre ses parois crâniennes.
Paul arrache la chaîne qui bloque les grilles. Puis la BMW s’avance dans l’allée herbeuse tandis que le Petit referme le portail, replaçant l’attache du mieux qu’il peut. François patiente quelques mètres plus loin, Paul se hâte de grimper sur le siège passager.
— C’est OK, annonce-t-il. On a l’impression que c’est toujours fermé.
L’idée est bonne : une résidence secondaire avec un très grand jardin, un garage. Une baraque isolée à souhait, parfaite pour servir de tanière à deux fuyards.
Ils ont roulé plusieurs heures vers le nord avant de trouver asile au bord de cette petite route perdue entre Meyrueis et le mont Aigoual ; décor inconnu, plutôt inquiétant à la seule lueur d’une lune gibbeuse.
La première chose à faire est de dissimuler la BMW. Paul utilise à nouveau son Beretta. Il force la porte du garage, a la surprise d’y trouver un vieux 4 × 4 qui dort sagement à l’intérieur. François gare sa voiture juste à côté et reste quelques instants immobile derrière le volant.
Il n’a quasiment plus de forces.
— Allez, viens ! l’encourage Paul.
Une porte située au fond permet d’accéder à l’intérieur de la maison ; ils se retrouvent avec armes et bagages dans un vestibule austère et froid.
Ils s’en sont bien sortis, à l’auberge. Ils ont même réussi à récupérer leurs sacs en les faisant porter jusqu’au coffre par le majordome ! Un exploit…
— Les volets sont fermés, on peut allumer la lumière, affirme Paul.
— Et si les proprios arrivent ?
— Maintenant, à dix heures du soir ?
— Pourquoi pas ?
— On est mardi, en plus… Ils viennent certainement que le week-end. T’inquiète !
Ils allument donc la lumière, effectuent rapidement le tour de la baraque. Température cavernicole, mais ensemble plutôt agréable. Salle à manger avec cuisine américaine, cheminée, deux chambres, une salle d’eau.
— Il gèle ! On fait du feu ? propose le Petit.
— Avec quoi ? soupire François en s’écroulant dans un fauteuil.
— Ben… avec du bois ! J’en ai vu une caisse pleine dans le sous-sol. T’es fatigué, t’es malade, faut pas que t’as froid. Et puis je vais voir si on peut brancher l’eau chaude… Reste là, bouge pas. Je m’occupe de tout.
François n’a même pas le courage de le regarder s’activer. Les mouvements de l’autre sont épuisants. Il cale son front entre ses mains glacées. L’impression d’être aspiré dans un trou noir, de ne plus être maître de son destin ou même de ses réactions.
Pourquoi la mort prend-elle son temps ? Pourquoi ce jeu barbare, inhumain ?
Paul passe devant lui, les bras chargés de bûches et lui adresse un sourire. Un sourire d’enfant turbulent, un peu coupable.
Avec un flingue à la ceinture.
Bruno allume une cigarette et descend la vitre.
— Pourquoi on n’y va pas maintenant ? demande son frère en gigotant sur son siège comme s’il était parasité.
— Sois patient, Enzo. Sois patient… Tu sais que ce petit enculé est dangereux.
— On peut se le faire. Il est coincé dans un trou à rats !
— Non. Vaut mieux attendre qu’il dorme… Je ne veux pas courir de risque. C’est moi qui lui ai tout appris, je sais de quoi je parle ! S’il est réveillé, on risque tous de crever… C’est ça que tu veux ?
Enzo se renfrogne. Le type assis à l’arrière prend alors la parole.
— Comment on va savoir qu’il dort ?
Bruno soupire. Riccardo, bien piètre remplaçant de Marco. Une grosse brute, au regard bovin et à l’électroencéphalogramme désespérément plat. Mais qui sait à peu près se servir d’une arme et qui, surtout, obéit au doigt et à l’œil.
— On va simplement attendre deux ou trois heures, explique patiemment Bruno. Ensuite, on avisera.
— Ah, ouais ! bave Riccardo. Ouais…
Bruno et Enzo échangent un sourire complice ; le plus jeune des deux frères tourne la tête vers la maison, ajuste son œil perçant comme un viseur.
— Dors bien, mon Paulo. Fais de beaux rêves ! Parce que ton réveil va être difficile…
Chapitre 16
François semble hypnotisé par le feu qui danse du ventre au creux de la cheminée, irradiant une douce chaleur dans la pièce. Paul pose une casserole au milieu de la table. Visiblement, il a plus l’habitude de manier un flingue qu’une poêle.
— Voilà, Maître Davin est servi !
François n’a plus l’habitude qu’on l’appelle Maître, il est surpris.
— J’ai pas très faim, prévient-il d’un ton las.
— Encore mal à la tête ?
— Oui… Et plus de comprimés.
— J’ai trouvé de l’aspirine dans la pharmacie… T’en veux ?
— On peut toujours essayer.
Paul se hâte d’aller chercher le trésor déniché au-dessus des toilettes. François en profite pour zyeuter l’intérieur de la casserole : une boîte de conserve réchauffée. Mais le gamin a tout de même réussi à laisser brûler le fond.
Le jeune homme revient à la vitesse de l’éclair, vide le sachet dans le verre de son ami.
— J’espère que ça va marcher !
— J’ai l’impression que rien ne pourra me soulager…
Il avale néanmoins le médicament, Paul se charge du service.
— C’est pas génial, dit-il comme pour s’excuser. Mais y a rien dans les placards… enfin presque rien !
— Ça ira très bien.
Ils mangent dans un silence pénible, reflétant leur fatigue, leurs angoisses. François ingurgite quelques bouchées avec difficulté, puis renonce, l’appétit coupé par la souffrance et surtout par les derniers événements.
Il disparaît dans la salle d’eau, tandis que Paul allume la télévision. Il parcourt les quelques chaînes peinant à arriver jusqu’ici, ne trouve rien capable de capter son attention. Alors, il ajoute une bûche dans l’âtre, s’étend sur le vieux canapé en velours râpé.
François réapparaît, propre mais pas dispos ; il allume une cigarette, s’assied sur le tapis, aux pieds de Paul.
— Tu veux que je te laisse la place pour t’allonger ?
— Non, ça va. De toute façon, je fume une clope et je vais me coucher… Je suis mort.
Il pourrait rajouter de trouille, de fatigue, de douleur. De honte ou de colère.
Il pourrait rajouter bientôt.
Bientôt, je serai mort.
Mais il n’ajoute rien.
— T’as raison, repose-toi. Moi je vais rester là. Vaut mieux pas que je dors, on sait jamais…
On sait jamais ? Que pourrait-il bien se passer, encore ? Ils ont eu leur dose pour la journée !
François balance son mégot dans la cheminée et, sans un bonsoir, part dans la chambre pour s’étendre sur le plumard humide et glacé.
Paul allume la petite radio portative dégotée dans la cuisine, baisse le son pour ne pas importuner son ami. Il a posé le pistolet sur son ventre, le caresse doucement, comme s’il s’agissait d’un animal de compagnie. Son meilleur ami, peut-être…
Sans raison apparente, le jeune homme est sur le qui-vive. En alerte. Il sent un danger rôder autour de lui, l’instinct de survie lui chuchote des trucs à l’oreille.
Prémonition que la nuit ne sera pas aussi paisible qu’il y peut paraître.
Paul somnole sur le sofa, bercé par une vieille chanson des années 70. Dans la cheminée, le feu agonise ; dehors, un vent furieux s’est levé, frappant rageusement les murs de la maison.