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Paul ouvre soudain les yeux, réveillé par des gémissements. Il se rend à tâtons dans la chambre, allume une lampe de chevet ; il s’assoit sur le rebord du lit et constate tristement les dégâts.

Le visage dévasté par la douleur, les mâchoires serrées, François fixe le néant. Un petit filet salé coule sans discontinuer de son œil gauche.

Inutile de lui demander s’il souffre ; il suffit de le regarder.

— T’arrives pas à dormir ? demande doucement le Petit.

— Ça fait mal… Trop mal.

Paul hésite puis pose une main sur le front plissé de François. La première fois qu’il ose ce geste.

— Je reviens, dit-il simplement.

Il disparaît quelques minutes, rapplique avec deux boîtes de morphine. Double dose comme à chaque fois.

Tant pis pour le risque d’overdose.

François l’observe tandis qu’il prépare l’injection, incapable de protester. Pourtant, la perspective de s’abandonner à la drogue le terrifie. Perdre le contrôle, être à la merci de tous les dangers.

Mais quels dangers ? La mort ? Celle-là même qui nécrose déjà son cerveau ?

Paul relève un peu la manche de son pull, pique dans l’avant-bras. Il sait faire preuve d’une étonnante délicatesse, parfois. François ferme les paupières, résigné à déposer les armes. À son grand étonnement, Paul s’allonge à côté de lui.

Commence alors la fameuse attente. Celle où on compte les minutes, les secondes.

Le front de François redevient lisse, son œil cesse de pleurer.

Paul respire mieux. Comme si le mal était partagé, la délivrance aussi.

— Ça fait du bien…

— Ouais, acquiesce le Petit. Quand tout s’arrête, ça fait du bien.

— Pourquoi tu t’en prends pas un peu ? suggère Davin.

— Non. Je dois veiller sur toi. Mais je vais rester là… Ça te dérange pas ?

— Bien sûr que non.

Il attrape son flingue qui lui blesse le dos, le dépose sur le chevet. À portée de main.

De longs instants de silence s’ensuivent. Seulement troublés par le vent qui s’acharne sur la baraque.

Lentement, François s’en va.

Fin du supplice.

— T’as plus mal ?

— Si… Mais c’est rien comparé à tout à l’heure.

— Tant mieux.

Le corps qui s’allège de ces tonnes de douleur. Puis une douce sensation d’ébriété.

— Tu m’en veux ?

— De quoi ?

— Ben… De tout ça ! Des flics après nous, des tueurs… De t’avoir embarqué dans tout ce bordel ! De t’avoir braqué avec mon flingue.

— J’étais en colère, j’ai eu peur…

— Ça va s’arranger, on va s’en sortir.

— Non, Petit. Je ne crois pas. Mais pour moi, ce n’est pas grave.

— Dis pas ça !

— Je voudrais seulement savoir…

— Quoi ?

— Qui tu es… J’aimerais savoir qui tu es.

Cette question lui brûle les lèvres depuis longtemps. Mais seule la morphine lui insuffle le courage d’affronter la réponse qu’il augure terrifiante.

Paul fixe le mur. Il n’a plus envie de mentir. N’y parvient plus, d’ailleurs. Mais il ne trouve pas la force de dévoiler la vérité. Trop brutale, trop laide. Trop sale.

— Ça ne fait rien, murmure François. On a encore le temps… tu me parleras quand tu le voudras.

Paul le remercie d’un regard ému. Il a soudain très envie de s’injecter une ampoule lui aussi. Ça détendrait ses muscles, ça lui viderait un peu la tête. Mais non, il doit garder les idées claires et ses réflexes intacts.

Le danger se rapproche. Il est là, tout près. Il pourrait presque le toucher. Comme une fragrance dans l’air, ce parfum de mort qu’il connaît si bien.

François est soulagé, maintenant. Il vogue sur une mer d’huile, savoure chaque instant de non douleur. Il décolle, doucement. S’éloigne de toute cette merde. Mais il sait qu’il ne restera pas oiseau très longtemps. Ces ailes ne sont qu’empruntées, provisoires. Chimériques. Il profite donc du voyage, modifiant ses souvenirs, à sa guise.

Flo n’est pas morte. Personne n’est mort, d’ailleurs. Il se prend même à imaginer une autre fin à cette errance.

Il est bien, simplement. Voudrait que jamais cela ne finisse.

Quand il devine que Paul se lève brusquement du lit, il ne comprend pas pourquoi.

Lui n’a pas perçu les pas devant la maison.

Armé de son pistolet, le jeune homme se fige près de la porte menant au garage, à l’affût du moindre bruit. Mais il n’entend que les battements lents de son cœur mêlés aux gémissements plaintifs du blizzard. Fausse alerte. Un animal qui vagabonde dans le jardin, sans doute…

Il pose son arme sur la cheminée, s’attarde face aux braises rougeoyantes.

Soudain, il a un léger sursaut ; quelqu’un essaye d’ouvrir la porte d’entrée.

Il ôte la sécurité du Beretta, rejoint François qui semble s’être endormi.

C’est bien, songe le jeune homme. S’il roupille, il ne se rendra compte de rien. Il n’aura pas peur avant l’heure.

Paul, le pistolet dans la main droite, coupe sa respiration pour écouter les chasseurs approcher. La porte d’entrée qui cède, les pas dans le vestibule puis le salon. Le rayon lumineux d’une lampe torche.

Il se fige, dos au mur, pile en face de la porte de la chambre. François, allongé sur le lit dans l’angle opposé de la pièce, ne risque pas de se prendre une balle. Sauf si Paul rate sa cible.

Ça ne lui est jamais arrivé. Mais il faut un début à tout.

La poignée tourne en un grincement discret, la porte s’ouvre lentement. Paul, bras tendus devant lui, tient la mort au bout des doigts. La torche s’éteint, les tueurs comptent sur l’effet de surprise.

Ils vont être servis.

Paul distingue une silhouette massive dans l’encadrement, devine une main qui cherche l’interrupteur. Son doigt a déjà commencé à enfoncer la détente. Et, lorsque la lumière jaillit, il n’hésite pas une seconde.

Il est le plus rapide.

Une seule balle, qui entre par le front de Riccardo et arrache l’arrière de son crâne.

François bondit sur le lit, pousse un cri rauque et atterrit sur le sol.

Les deux frères prennent la fuite, Paul s’élance à leur poursuite. Mais il a un temps de retard et finit par les apercevoir dans le jardin. Il tire, pressentant qu’il va manquer son gibier. Pas assez de visibilité. Le rugissement du moteur de la Mercedes, les pneus qui crissent sur le gravillon.

Le silence reprend ses droits. Ils abandonnent la partie, reviendront plus tard.

Paul retourne dans la chambre où François est cloué dos au mur, en face du monstrueux cadavre qui n’a pas eu la décence de fermer les yeux avant de crever. Le Petit s’approche doucement de son ami, momifié contre la cloison.

— J’ai pas pu faire autrement… Ils étaient venus pour nous tuer.

— Il n’est pas mort, murmure François. Il est pas mort…

Paul l’attrape par le bras pour le conduire dans le salon. Mais il faut enjamber le corps et François se tétanise encore. Avec le pied, il pousse doucement la masse inerte. Il veut juste vérifier qu’il ne s’agit pas d’un cauchemar. Il se raidit d’effroi, de la tête aux pieds, et porte une main devant sa bouche.

— Viens ! prie Paul en le tirant par le poignet. Viens, faut pas rester ici.

François secoue la tête, refusant la vérité.

L’instant d’après, il perd connaissance et glisse lentement dans les bras du gamin.

* * *