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François ouvre les paupières sur un petit matin calme. Plus de vent dehors, plus de douleur sournoise dans la tête. Juste la nausée.

Des cendres dans une cheminée en pierre, une pièce faiblement éclairée par la naissance de l’aube. Il est allongé sur le canapé, sous une couverture. Il se redresse un peu, découvre Paul, assis dans le fauteuil d’en face. Son calibre sur les genoux.

— Comment tu te sens ? demande-t-il.

— Je… Je sais pas trop… J’ai mal au cœur. J’ai fait un cauchemar horrible… Un homme mort dans la chambre.

— Ce n’était pas un cauchemar, explique calmement le jeune homme. Ils sont venus cette nuit, ils nous ont retrouvés… J’ai été obligé d’en buter un.

Les lèvres de François s’entrouvrent.

— Ils sont partis, pour le moment, ajoute Paul. Je me demandais comment ils avaient réussi à nous loger et j’ai compris…

— Quoi ?

— Ils avaient placé un traceur sur ta caisse, explique le Petit. J’ai fini par le trouver et je l’ai détruit… Par contre, je ne sais pas quand est-ce qu’ils ont collé ça sur la bagnole…

— Au gîte, sans doute, répond François.

Il tourne la tête vers la chambre, distingue une traînée rouge sur le sol. Une marque écarlate qui serpente jusqu’au vestibule. De quoi arranger sa nausée.

— Où il est ? chuchote-t-il, comme s’il craignait de réveiller le mort.

— Je l’ai descendu dans la cave. À côté du garage.

— Seigneur…

— Calme-toi. C’est terminé, ils se sont tirés.

François s’est assis, les mains crispées sur le velours du sofa.

— Où… sont-ils ? Dehors, c’est ça ? Ils sont dehors ?

— Je pense, oui… Mais on va trouver une solution.

La solution, Paul la cherche depuis des heures. Et il vient justement de la trouver.

La Mercedes est sans doute embusquée, pas très loin. Les frères Pelizzari attendent leur heure, ils n’attaqueront plus de front. Ils ont peut-être appelé du renfort, mais si tel est le cas, les complices n’ont pas encore eu le temps d’arriver jusqu’ici.

Il faut échapper à leur vigilance le plus vite possible. Avant que cette baraque ne prenne des allures de Fort Alamo…

François est toujours sous le choc, les yeux englués dans le sang qui macule le sol.

— Comment les as-tu fait fuir ? demande-t-il d’une voix cassée.

— Je dormais pas, je les ai entendus fracturer la porte. Alors je me suis planqué dans la chambre et, lorsqu’ils sont rentrés, j’ai tiré. Le premier a pris une balle dans la tête, les deux autres se sont barrés. Il faisait nuit, ils n’ont pas voulu risquer leur peau. Et moi, je les ai ratés… Le problème, c’est qu’il reste encore les deux frères… C’est les plus mauvais, les plus dangereux !

— Les deux frères ?

— Les frères Pelizzari, ceux à qui j’ai piqué la coke.

Soudain, François se rue dans les toilettes. Paul soupire mais ne bouge pas de son poste d’observation. Davin revient au bout de dix minutes, évitant de regarder l’hémoglobine cette fois.

— Il faut leur rendre cette drogue ! s’écrie-t-il. Il faut arrêter ça !

— Rien ne peut plus les arrêter, maintenant. Même si je leur donne la came, ils me tueront. J’ai descendu Marco et ça, ils ne me le pardonneront jamais.

— Marco ?

— Le chauffeur de la Mercedes, au gîte… Le troisième frère. Je n’ai plus que deux solutions : les tuer ou disparaître à l’autre bout de la planète. Mais les tuer tous, je n’y arriverai pas… Disons au moins descendre ceux qui me courent après pour que je puisse vendre la marchandise et me tirer… François, je veux plus que tu risques ta vie pour moi. T’as rien à voir avec tout ça. J’aurais dû m’en aller depuis longtemps. Alors je vais détourner leur attention, je vais partir seul avec la BM. Je foutrai le cadavre sur le siège passager, ils n’y verront que du feu… Ils me suivront. Comme ça, tu pourras partir de ton côté, quelques heures plus tard, avec le 4 × 4 qui est dans le garage. Je l’ai essayé, il marche. Ensuite, je m’occuperai d’eux.

— Tu t’occuperas d’eux ? Mais… ils vont te tuer !

— Pas sûr. J’ai ma chance.

François décrit des cercles autour du canapé.

— Je ne veux pas qu’on se sépare !

Paul le considère avec étonnement.

— Ben moi, je ne veux pas que tu meures à cause de moi.

— De toute façon, je suis mort. Alors je préfère continuer avec toi.

Paul cache son émotion derrière la flamme d’un briquet. Il tire sa première bouffée et réfléchit quelques instants.

— Comme tu voudras, dit-il enfin. J’espère seulement qu’on s’en sortira.

— Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Laisse-moi cogiter un peu. Tu peux aller dormir, si tu veux. Je vais rester éveillé…

— Non, j’ai plus sommeil ! Et puis il faut que tu dormes, toi aussi.

— Pas maintenant. Trop dangereux.

— T’as qu’à me donner ton arme, je surveillerai…

Paul esquisse un sourire. Sans doute en imaginant François avec le Beretta à la main, en face des tueurs du clan Pelizzari. Autant se suicider tout de suite à coups de morphine !

François retourne s’asseoir en face de son ami, le toise fixement. Comme s’il le voyait pour la première fois.

Ce matin, il ne ressemble plus à un enfant espiègle. Son visage accuse le coup, portant le poids de la fatigue, de l’angoisse. Mais un calme surprenant se dégage de son regard nuageux. Comme s’il accomplissait là une mission habituelle.

— Dis-moi la vérité, exige François. T’étais pas DJ dans une boîte, n’est-ce pas ?

Paul ne répond pas, avouant ainsi son imposture.

— Si on continue ensemble, je veux savoir qui tu es… Si tu as confiance en moi, tu dois me le dire.

Paul hésite un instant. Après tout, la vérité le fera sans doute changer d’avis. Il s’en ira de son côté.

— OK, dit-il. J’ai jamais été serveur ou DJ. Je travaillais pour les Pelizzari, à Lyon. C’est une famille mafieuse qui a la mainmise sur les trafics en tous genres et les jeux clandestins dans le sud de la France. Des gens puissants.

— Tu… Tu faisais quoi là-dedans, toi ?

— J’étais à leur service pour un travail un peu particulier.

— Un peu particulier ? répète François avec un nœud dans la gorge.

Paul se plante devant la fenêtre, feignant de surveiller les alentours. Il n’aurait jamais cru que ce serait si dur à avouer. Il inspire un bon coup, se lance.

— J’étais chargé d’effacer les problèmes.

— Ça signifie quoi ?

— Éliminer tous les gêneurs, précise le gamin. Ceux qui se trouvaient sur le chemin des Pelizzari. Les curieux, les témoins, les mauvais payeurs, les balances… On me filait l’identité de la personne à effacer et je la descendais pour leur compte. C’était ça, mon boulot.

François a cessé de respirer. Il a imaginé beaucoup de choses, ces derniers jours.

Paul dealer, Paul trafiquant ou braqueur de banques.

Mais Paul tueur à gages, ça non.

Il a en face de lui une sorte de monstre, un jeune homme dont la mort est le métier.

— J’ai pas trop eu le choix, j’ai pas voulu ce travail. C’est parce que… Parce que je leur appartiens.

— Tu leur appartiens ? Ça veut dire quoi ?

— Trop long à expliquer… Ce qui est sûr, c’est qu’un jour, j’ai voulu décrocher. Mais les Pelizzari ont refusé de me rendre ma liberté. Alors je me suis enfui… Et je suis tombé sur toi. Voilà.