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— C’est fini, Gustave… Je ne suis plus ton esclave. Et Adelina non plus, tu vois.

— Allez, Paul, on se tire ! hurle la gamine.

— J’arrive, ma belle.

Paul hésite. La raison voudrait qu’il ne laisse aucun survivant derrière lui. Il sait qu’en les épargnant, il met sa propre vie en danger. Buter le Vieux et ses trois fils sous les yeux d’Adelina ?

Le visage de sa dernière victime reste imprimé dans sa tête. Il s’est juré, en lui donnant la mort, qu’il ne recommencerait plus jamais.

Non, il ne veut plus tuer. Ne veut pas alourdir sa conscience de quatre meurtres supplémentaires.

Trop de sang. Trop de meurtres.

Il n’a plus la force, soudain.

Il s’écarte de Gustave, s’approche de Bruno. Ce père qu’il croyait avoir enfin trouvé. Et qui vient de le trahir.

— Je vous laisse la vie sauve, à toi, à tes frères, au Vieux… Parce qu’il y a cinq ans, tu ne m’as pas tué. Mais si je recroise votre chemin, je n’hésiterai pas.

— Nous non plus, sois-en sûr, prévient Bruno.

Paul les enferme dans la pièce et prend enfin la fuite avec Adelina. Ils se hâtent de rejoindre la voiture de la jeune fille. Avant de partir, Paul tire dans les pneus des véhicules stationnés devant la bâtisse. Histoire de les ralentir au maximum…

— Tu m’avais jamais parlé d’Adelina, souligne François.

— C’est vrai… C’est la seule fille du Vieux. La plus jeune de ses enfants. Elle a toujours détesté son père, lui a toujours reproché d’être ce qu’il est, lui a causé des tas de problèmes… Une vraie rebelle ! Il l’avait même fait interner quelques mois dans une clinique où il a des parts. Pour qu’on la soigne. Elle avait fugué plusieurs fois, aussi, avait tenté de se suicider… Un soir, elle est venue se réfugier chez moi.

— Chez toi ?

— Oui… Elle était amoureuse de moi. C’est ce qu’elle m’a dit !

— Tu as couché avec elle ?

— T’es malade ! On ne couche pas avec la fille du patron, sinon il te coupe les couilles.

— Charmant !

— Non, je l’avais ramenée à son père… J’ai cru qu’elle allait me détester jusqu’à la fin des temps pour ça ! Mais apparemment non… elle était toujours dingue de moi !

— Que s’est-il passé après votre départ de Neuville ?

— On a foncé vers le sud. Je voulais aller chez mon pote à Marseille. Mais ils nous ont vite retrouvés.

— Comment ont-ils fait ?

— Je pense que nous avons manqué de chance, tout simplement… On a pris la direction de Lyon, c’est moi qui conduisais parce que Adelina était vraiment trop speed… Elle me disait qu’on allait vivre ensemble, se marier ! Qu’on pouvait aller en Roumanie, si c’était ce que je voulais… Moi, je t’avoue que j’avais pas vraiment envie de passer ma vie avec elle ! Mais bon, elle m’avait sauvé la mise, alors on verrait ça plus tard. En arrivant vers Lyon, des types à Gustave nous ont repérés. Il avait dû en mettre en planque dans tout le secteur… Il a des informateurs, partout, ce vieux salopard ! Des flics qui bossent pour lui aussi… Ouais, on a manqué de chance, c’est tout.

— Mais pourquoi être revenus sur Lyon ! Pourquoi ne pas être partis vers le nord ?

— Je voulais aller à Marseille, je te dis… Sur Paris, je connais personne ! On pensait qu’on avait une chance de passer au travers des mailles du filet… Mais ils nous ont pris en chasse, c’était le début de soirée. J’ai essayé de les semer, mais… Sur l’autoroute, ils ont tiré, j’ai perdu le contrôle de la bagnole, on est passés par-dessus la barrière de sécurité. Adelina n’avait pas mis sa ceinture, elle… Elle est morte sur le coup. Moi, j’ai réussi à me sauver. Parce qu’il faisait nuit noire à cet endroit-là, parce que je cours vite aussi, tu sais ! Ensuite, j’ai marché une heure, je me suis retrouvé sur le bord de cette voie rapide… Et tu t’es arrêté… Voilà. Tu sais tout, maintenant.

Paul allume une cigarette. François fixe ses chaussures.

— Cette fille est morte en te sauvant la vie…

— Je sais. Elle se serait suicidée de toute façon. Enfin, je crois… C’est peut-être ce qu’elle a voulu d’ailleurs. Partir avec moi, c’était du suicide !

— Dire que tout cela venait de se passer lorsque je t’ai pris en stop, murmure François. Tu avais l’air si calme, pourtant !

— Question d’habitude.

— J’avais deviné que tu fuyais, mais… de là à imaginer tout ça !

— Je m’en doute. Ça doit être un choc pour toi.

— Un sacré choc, même ! Mais… pourquoi n’es-tu pas parti les mains vides ? Pourquoi avoir piqué cette came ? Si tu t’étais enfui sans rien, peut-être ne t’auraient-ils pas poursuivi ?

Paul sourit tristement.

— Ils en ont rien à foutre de la came ! Enfin, ils la veulent mais… c’est secondaire.

— Ah bon ?… Quoi alors ? Ils veulent venger Adelina ?

— Adelina ? Ils en ont rien à foutre non plus ! Déjà qu’ils la supportaient pas ! Elle les a trahis, alors…

— Mais qu’est-ce qu’ils veulent dans ce cas ?

— Moi, d’abord. Et puis… ça.

Paul ouvre son sac, il en sort la grosse pochette cartonnée.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ce que j’ai fauché aux Italiens. C’est ça qu’ils veulent récupérer à tout prix… ça et moi. Parce que je sais tout. Ce qu’il y a là-dedans, mais aussi d’autres choses. Et parce que j’ai buté Marco. Ils ont tout un tas de raisons, tu vois !

François ouvre la pochette. Il l’avait bien remarquée, mais ne s’était pas douté que c’était la clef… Il trouve un dossier et une drôle de cassette dans son boîtier Sony.

— Digital BETACAM, lit François. C’est quoi ?

— La cassette que j’ai récupérée dans la caméra.

— Quelle caméra ?

— Je suis allé en Somalie pour descendre une journaliste italienne et son cameraman.

Davin reste la bouche entrouverte un instant. Comme s’il venait de recevoir une gifle.

— Tu… Tu as tué une femme ? dit-il enfin.

— C’était pas la première fois.

Encore un nouveau coup. Plus dur que les autres, peut-être.

— C’était une journaliste qui menait une enquête là-bas.

François examine le dossier. Des tas de photos défilent sous ses yeux horrifiés. Soudaine envie de vomir quand il voit un jeune garçon somalien étendu sur un lit d’hôpital, les bras et le visage entièrement brûlés. Comme si on l’avait trempé dans un bain d’acide. Et puis, d’autres clichés, encore. Des fûts éventrés, gisant sur des plages. Des amoncellements de sacs plastique, aux abords de bidonvilles. Sacs plastique que d’autres gosses viennent fouiller, pieds nus. Au milieu des seringues, des compresses souillées… Il ne lit pas très bien l’italien, ne comprend donc pas tout.

Mais les images parlent d’elles-mêmes.

— C’est quoi, toute cette merde ?

— Ces dernières années, le Vieux avait décidé de se lancer dans une nouvelle activité, avec ses fils. C’est surtout Bruno qui gère ça… Le trafic de déchets toxiques. Gustave s’est associé à un cousin à lui, en Italie. Pelizzari se chargeait de la collecte en France et en Belgique, tandis que son cousin avait l’Italie et l’Allemagne… Et les États-Unis, aussi.

— Un trafic de déchets toxiques ?

— Oui. Les normes ici, pour le recyclage de ces saloperies, sont très strictes. Ça coûte beaucoup d’argent. Environ mille dollars la tonne. Avec nous, c’était huit dollars la tonne ! Tu commences à piger ?… On récupère les déchets, on les fout dans des conteneurs, on les transporte par camions. Ensuite, selon ce que c’est, on les charge sur des bateaux, à Hambourg, Le Havre, Gênes ou Marseille. Et on les emmène en Afrique… Parfois en Asie.