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De la chance… ? François sourit tristement.

De toute façon, il sera plus fort que n’importe quelle maladie. Il le sait, même s’il n’a jamais été malade. Question de volonté. Il ne va pas se mettre à pleurnicher ou à déprimer. Il va se battre et vaincre. Oui, dans la vie, tout est question de volonté. Il n’existe pas d’ennemi invincible. Il a toujours eu ce qu’il désirait, toujours atteint ses objectifs.

Il a voulu Florence, il l’a eue.

Il a voulu devenir un brillant avocat, il a réussi.

Jamais rien ne lui a résisté.

Rien ni personne.

Une heure et demie plus tard, son tour arrive enfin. La secrétaire le précède jusqu’au grand cabinet. Le professeur Ibrahim s’est levé pour l’accueillir. Poignée de main un peu molle, légèrement fuyante. Légèrement moite. Sourire un brin compatissant.

Ibrahim plaque les clichés de l’IRM puis ceux du scanner sur un panneau lumineux. Le cerveau de François s’étale soudain en pleine lumière. De façon indécente.

Il ne devine pas grand-chose sur ces photos intimes, ne discerne pas le monstre ayant insidieusement germé dans son crâne.

Pour Ibrahim, en revanche, tout semble désespérément clair… Pourtant, il reste muet, prolongeant le suspense. Il observe, scrute le moindre détail. Puis les images défilent une à une sur l’écran du PC.

Le temps passe, François n’ose parler, de peur de déconcentrer le génie de la neurochirurgie.

— Suivez-moi, s’il vous plaît.

Davin sursaute rien qu’au son de sa voix. Il talonne le toubib jusqu’à une petite pièce jouxtant le bureau. Auscultation et interrogatoire en règle.

Ça n’en finira donc jamais ?

Et marchez tout droit, les yeux fermés, et est-ce que vous voyez bien ma main lorsque je la place sur le côté ? Je la vois si bien que je la vois double ! C’est sans doute mauvais signe… Les réflexes du genou, maintenant, puis ceux du bras. Est-ce que vous sentez mes doigts sur votre jambe ? Yeux fermés, touchez le bout de votre nez avec votre index, main droite, puis main gauche… Très bien… Pourtant, je crois que je l’ai raté, le bout de mon nez… Avez-vous des céphalées ? Des vertiges, des nausées ? À ton avis, pourquoi je suis allé passer tous ces examens ? Parce que j’en avais marre de m’évanouir pour un rien… Des pertes de mémoire ? Il plaisante, j’espère ? Je ne suis pas sénile. Ressentez-vous de l’asthénie ? Je ne suis jamais fatigué, pauvre con ! Je suis en pleine forme.

Malgré l’énervement, François répond sagement à toutes les questions, minimisant juste un peu les symptômes, comme si ça pouvait minimiser le mal. Pour prouver qu’il n’est pas inquiet plus que de raison. Qu’il est fort. D’ailleurs, Ibrahim paraît impressionné.

Au bout d’un quart d’heure, Davin se rhabille et ils retournent tous deux dans le cabinet. Pourquoi il me regarde comme ça, le toubib ?

— Bon, je crois que votre médecin traitant vous a déjà expliqué de quoi vous souffrez, monsieur…

— Oui, d’une tumeur au cerveau.

— C’est cela. Plus précisément, il s’agit d’un glioblastome dans le lobe pariétal de l’hémisphère gauche.

Vas-y, balance ton jargon médical ! Histoire de montrer ta prétendue supériorité.

— Vous avez quel âge ?

— Bientôt quarante-huit… C’est comme un cancer, c’est ça ?

— C’est ça. C’est une tumeur cancéreuse.

Oui, d’accord. Mais Lestanza a dit qu’il suffit de l’enlever. Reste calme, François. Reste calme…

Il veut avaler sa salive mais n’en a plus. Bouche et gorge arides. Peut-être pas si fort que ça, en définitive. Le médecin replonge le nez dans le compte rendu du radiologue, François manifeste soudain son impatience.

— Vous allez m’opérer ?

— Non, monsieur.

— Non ?

Finalement, c’est une bonne nouvelle. Parce que l’idée de se faire charcuter les méninges est encore pire que tout. Trépané. Quel horrible mot…

— Le gliome n’est pas opérable. Vu l’endroit où il est situé, on ne peut pas envisager l’exérèse.

Encore son putain de dialecte scientifique !

— L’exérèse ?

— L’ablation… La tumeur est trop profonde, on ne peut pas prendre le risque d’y toucher.

Ce n’est peut-être pas une si bonne nouvelle que ça.

— Et alors ? Qu’est-ce qu’on va faire ?

— De la radiothérapie, monsieur. Ce sont des séances de rayons… Ainsi que de la chimio et un traitement à base de corticoïdes afin de limiter l’œdème dans les tissus environnants.

Chimio, rayons. Ces mots-là, François les connaît. Se dressent alors dans son imaginaire des visages émaciés, des crânes chauves. Le visage de…

Tout, sauf ça.

— Mais il n’y a pas une autre solution ?

— Non, monsieur. Il n’en existe aucune autre.

François le fixe alors droit dans les yeux et surprend de la douleur dans ce regard étranger. À partir de cette seconde, il commence vraiment à avoir peur.

La trouille de sa vie.

— Qu’est-ce qui va se passer ? s’enquiert-il d’une voix déformée.

— Eh bien, vous allez suivre le traitement et…

— Non, c’est pas ça, ma question. Est-ce que je vais guérir ?

Ibrahim hésite un instant. Brève indécision qui finit de terroriser son patient.

— Le traitement permettra de ralentir l’évolution de la tumeur.

— Ra… Ralentir l’évolution ?

— Oui.

Davin se lève, poings serrés, tel un boxeur s’apprêtant à engager le combat.

— Dites-moi la vérité, exige-t-il nerveusement. Je veux savoir ce qui va m’arriver !

— Eh bien, il faut faire les séances de rayons et ensuite…

— Je veux savoir ! s’écrie-t-il. Je veux tout savoir… Est-ce que je vais mourir ?

Ibrahim le considère un instant. Il essaie en général de ne pas entrer dans le détail. Mais il émane de cet homme une incroyable détermination. Il veut la vérité, saura débusquer le mensonge.

— Asseyez-vous, prie-t-il d’une voix calme. S’il vous plaît.

François n’en fait rien, continuant à le dévisager sans relâche.

— Est-ce que je vais mourir ?

— Oui, monsieur Davin.

Une minute de silence.

Comme un hommage, déjà.

Soixante longues secondes d’un terrible silence.

Est-ce que je vais mourir ?

Oui, monsieur Davin.

Son cœur redevient anormalement serein. Aussi serein que s’ils parlaient d’un inconnu. Seul un léger tressaillement agite sa lèvre supérieure.

— Quand ?

— Je ne sais pas.

— Combien de temps me reste-t-il ?

— Je n’en sais rien, monsieur.

— Bien sûr que si, vous le savez ! s’emporte-t-il à nouveau. Et vous allez me le dire !

Ibrahim esquisse un mouvement de recul, craignant peut-être que son patient ne lui saute à la gorge. Puis il se résigne enfin à répondre.

— Un an, peut-être deux. Si vous suivez mon traitement.

François retombe sur la chaise ; son regard tombe avec lui.

— Et… Et si je ne suis pas votre traitement ?

— Entre trois et six mois. Pas plus… Je suis désolé, monsieur Davin.

Un damné descendant sans lampe, Au bord d’un gouffre dont l’odeur Trahit l’humide profondeur, D’éternels escaliers sans rampe