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— On nous a volés ! Cinq gros rubis ont été volés au manteau de sainte Foy L.

Une clameur d'indignation et de colère salua cette nouvelle, mais Gerbert, déjà, ripostait, tout de suite agressif.

— C'est un abominable forfait, mais je ne vois pas pourquoi vous avez si fort couru après nous pour nous l'annoncer. Vous ne supposez pas, j'imagine, que l'un de nous est votre voleur ! Vous êtes de saintes gens, mais, nous, nous sommes les errants de Dieu !

Le plus grand des moines essuya d'un air gêné son large visage rose sur lequel la pluie faisait couler de minuscules ruisseaux et fit un geste d'impuissance.

— Les brebis galeuses du Diable se cachent parfois parmi les meilleurs d'entre nous. Et le fait d'appartenir à un pèlerinage ne constitue pas, a priori, un brevet de sainteté. Il est des exemples...

— Nous n'étions pas les seuls à Conques, hier... ou n'importe quand le vo! a été commis. J'admire votre charité chrétienne qui s'attaque d'abord aux pauvres pèlerins sans songer à cette racaille de baladins et de bateleurs qui s'exhibaient devant votre église l'autre soir.

Catherine réprima un sourire. Gerbert, apparemment, avait toujours sur le cœur son aventure de l'avant-veille. Mais le moine prenait un air encore plus malheureux.

— Les baladins sont partis hier matin, comme vous devez le savoir, et, hier, durant la procession, la statue est apparue au grand jour, intacte. Aucune pierre n'y manquait.

— En êtes-vous bien sûrs ?

C'est moi, avec mes frères ici présents, qui avons été chargés par le Très Révérend Abbé de nous assurer de son intégrité avant de la remettre dans sa niche. Je puis vous assurer qu'il n'y manquait pas la moindre pierre. Ce matin il manque cinq gros rubis... et vous avez été les seuls étrangers à passer la dernière nuit dans notre ville !

Un silence suivit cette démonstration. Chacun retenait son souffle, sentant bien que le raisonnement des moines était sans faille. Gerbert, cependant, refusait de s'avouer vaincu et Catherine, à cet instant, admira le courage et l'opiniâtreté qu'il mettait dans la défense de son monde.

— Cela ne prouve pas que nous soyons coupables ! Conques est une cité sainte, mais ce n'est malgré tout qu'une cité, peuplée d'hommes parmi lesquels le mal peut fort bien se glisser.

— Nous connaissons nos propres brebis galeuses et le Très Révérend Abbé s'en occupe depuis ce matin. Mon frère... il serait tellement plus simple de faire la preuve qu'aucun de vous ne détient les pierres volées !

— Que voulez-vous dire ?

— Que nous sommes trois seulement, mais que, si vous vouliez bien vous laisser fouiller, nous ne vous retiendrons pas longtemps.

— Sous cette pluie ? répliqua Gerbert dédaigneux. Et vous chargerez-vous de fouiller les femmes ?

— Deux de nos sœurs nous suivent de près. D'ailleurs les voici, fit le moine qui, décidément, avait réponse à tout. Et il y a, tout de suite après ce tournant, un petit oratoire où il sera possible de nous établir.

Je vous en prie, mon frère. Il y va de la gloire de sainte Foy et de l'honneur de Dieu !

En se haussant sur la pointe des pieds, Catherine vit, en effet, deux nonnes qui arrivaient par le chemin, aussi essoufflées que leurs compagnons et aussi trempées que tous les autres. Gerbert ne répondit pas tout de suite : il réfléchissait et la jeune femme, si l'indignation bouillait en elle en songeant que l'on avait dépouillé une sainte, partageait les sentiments du chef. Cette fouille devait lui répugner profondément. Comme devait l'irriter, autant que Catherine elle-même, cette nouvelle perte de temps... Au bout d'un instant, il jeta autour de lui un coup d'œil circulaire.

— Qu'en pensez-vous, mes frères ? Acceptez-vous de vous prêter à cette... désagréable formalité ?

— Le pèlerinage nous impose l'humilité, fit Colin avec componction. Cette humiliation nous sera bonne et Monseigneur saint Jacques la mettra au nombre de nos mérites.

— C'est entendu ! coupa Catherine qui bouillait d'impatience.

Mais alors faisons vite. Nous n'avons que trop perdu de temps !

La troupe se dirigea vers le petit oratoire de pierre, élevé au bord du chemin un peu plus loin, juste à l'épaulement du coteau. De là, tout le site de Conques était largement visible, mais nul ne songeait à l'admirer. Il allait falloir attendre sous cette pluie.

— Les voyages en groupes nombreux sont vraiment une chose charmante, ironisa Ermengarde qui venait de rejoindre Catherine. Ces braves moines ferment la garde et nous surveillent comme si nous étions un troupeau de moutons galeux. Et s'ils croient que je vais me laisser fouiller...

— Il le faudra bien, ma chère amie ! Sinon, les soupçons se porteraient sur vous et, de l'humeur dont se trouvent nos compagnons, ils risqueraient de vous faire un mauvais parti ! Oh !... que vous êtes donc maladroit, mon frère !

La dernière partie de la phrase s'adressait à Josse qui, butant contre une pierre, venait de la bousculer si brutalement que tous deux s'étaient retrouvés à genoux sur le talus.

— Je suis désolé, fit le Parisien, la mine contrite, mais ce damné chemin est plus troué que la robe d'un moine mendiant. Vous ai-je fait mal ?

Plein de sollicitude, il l'aidait à se relever, chassait de la main les marques de boue sur la robe et la cape de la jeune femme. Il avait l'air si malheureux qu'elle ne se sentit pas le cœur de lui en vouloir.

— Ce n'est rien ! dit-elle en lui souriant gentiment. Nous en verrons d'autres !

Puis, avec Ermengarde, elle alla s'asseoir sur un rocher sous l'auvent de la petite chapelle dans laquelle les nonnes venaient d'entrer. On avait décidé que les femmes passeraient en premier pour que les saintes filles pussent rentrer le plus vite possible à leur couvent. Mais quelques hommes de bonne volonté, Gerbert en tête, se soumettaient dehors au désagréable examen. Heureusement, la pluie fit trêve un instant.

— Ce pays est beau ! fit Catherine en désignant le cirque gris, vert et bleu étendu à leurs pieds.

— Le pays est beau, riposta Ermengarde moqueuse, mais j'aimerais mieux qu'il soit déjà loin derrière nous. Ah ! voici mes suivantes qui sortent, allons-y maintenant ! Aidez-moi !

Etayées l'une sur l'autre, les deux amies pénétrèrent dans l'oratoire.

Il y faisait froid, humide, une écœurante odeur de moisi y régnait et la vieille dame, malgré ses vêtements chauds, ne put s'empêcher de frissonner.

— Faites vite, vous deux ! lança-t-elle rudement aux religieuses. Et n'ayez pas peur, je n'ai encore jamais dévoré personne, ajouta-t-elle goguenarde devant leur mine effarée.

Elles étaient jeunes toutes deux, visiblement impressionnées par cette grande et forte femme qui parlait avec tant d'assurance, mais ne s'en livrèrent pas moins à une fouille minutieuse qu'Ermengarde subit en piaffant d'impatience. Après quoi, la plus âgée des deux se tourna vers Catherine qui attendait son tour.

— A vous, ma sœur ! lança-t-elle en s'approchant d'elle. Et d'abord, donnez-moi cette aumônière qui pend à votre ceinture.

Sans un mot, Catherine détacha la grande poche de cuir solide dans laquelle elle gardait son chapelet, un peu d'or, la dague à l'épervier qui ne la quittait jamais et l'émeraude gravée de la reine Yolande. La simplicité voulue de son accoutrement d'errante ne lui permettait pas, en effet, de porter à son doigt un bijou de cette valeur et, d'autre part, elle ne voulait pas s'en séparer. D'autant moins qu'elle se dirigeait vers ces pays espagnols d'où était originaire la souveraine et où ses armes pouvaient être un secours, ainsi que Yolande elle-même le lui avait dit.